lundi 31 janvier 2011

Le petit chaperon rouge

*illustration de Claire DEGANS

Un ami pour Lucas

© Chun-Liang YEH et Bobi+bobi/ HongFei

"Un ami pour Lucas" de Chun-Liang YEH et illustré par Bobi+bobi est une petite merveille trop courte.
Lucas est un garçon heureux, il grandit avec ses jouets dans une belle maison mais ses rêves sont bien plus grands. En sortant dans le jardin, près de la forêt, des éclats roux lui offriront un instant d'amitié: un renard.

Tout est subtilité. On ne peut pas lire ce livre sans penser au passage du "Petit prince" de Saint-Exupéry où le petit garçon apprivoise un renard. Mais l'auteur se défend d'avoir été aussi inspiré que cela. Il part d'une vraie rencontre, d'une rencontre comme dans la vie. Une rencontre fugace. Et c'est vrai que le renard reste sauvage, inapprivoisé, libre et sans parole.

© Chun-Liang YEH et Bobi+bobi/ HongFei

Un enfant avec ses envies, ses rêves d'amitié, de complicité, et la vie qui lui offre un soupçon de magie. Une amitié d'un instant, une amitié gratuite, peut-être très éphémère. Une amitié qui ne demande rien en échange, peut-être même pas de lendemain. Chun-Liang YEH apporte aussi une sensibilité à la nature, porte ouverte sur les rêves, les possibles des enfants et à ce renard joueur et curieux. "Quelques pas plus loin, le petit renard s'arrête et regarde Lucas, la tête penchée vers la gauche, comme si de rien n'était."

© Chun-Liang YEH et Bobi+bobi/ HongFei

Bobi+bobi propose là, comme toujours, des illustrations aux hachures et aux aplats tout en douceur. Entre un univers bien cloisonné, le monde de Lucas n'a rien de domestiqué ou de lisse: les poils du renard comme les herbes ou les cheveux de Lucas.

Voici trois questions sur l'amitié posées à l'auteur : Chun-Liang YEH y parle de l'amitié comme trésor d'une vie, de la naissance de ce sentiment, aussi multiple que les amitiés et de ce rapport à l'autre, dans la richesse de l'autre.


TROIS QUESTIONS SUR L'AMITIÉ à Chun-Liang YEH - I -
envoyé par HongFei-Cultures. - Découvrez plus de vidéos créatives.

TROIS QUESTIONS SUR L'AMITIÉ à Chun-Liang YEH - II
envoyé par HongFei-Cultures. - Films courts et animations.

TROIS QUESTIONS SUR L'AMITIÉ à Chun-Liang YEH - III -
envoyé par HongFei-Cultures. - Regardez plus de courts métrages.

dimanche 30 janvier 2011

Tu verras


"Tu verras" de Nicolas FARGUES est un livre coup de poing. Il retrace l'après-drame d'un père perdant son fils unique de 12 ans dans un accident de métro.
Colin a une quarantaine d'années et, après le divorce d'avec la maman, il vivait seul avec son fils Clément. La mort de son enfant le bascule dans le chaos. Il fait le point sur sa vie. Devenu père par accident, il se rend compte que sa raison d'être était son fils.

Il est bien question là du deuil de l'enfant et de la continuité de la vie tout autour. Les désillusions sont aussi là, dans cet entourage décevant, si peu altruiste, si égoïste, en plein malaise. Mais c'est aussi une focalisation sur l'avant et le juste après drame: reprendre les détails de la vie de ce fils pré-adolescent, retrouver ses comportements et sa façon d'être au monde.
Parce que le livre est bouleversant dans la description cynique mais non moins pertinente des relations parentales. Colin reprend tous les fondements de sa parentalité. Il était père aimant, exigeant, colérique mais aussi empli de valeurs, de son temps, de sa propre éducation bourgeoise. Se décrit alors tout le quotidien du jeune homme avec ce père, conflit de générations. Ces remontrances sur une époque, une mode, ces injonctions pour l'avenir. Clément si poli, si docile, si aimant, si bien élevé parti avant même d'avoir vécu. Ce Clément s'habillant à la mode du rap, écouteurs aux oreilles, dénigrant le bon orthographe qu'il maitrise pour se mettre à la hauteur des gars qui ont la côte.
La pré-adolescence est rendue crue. Le livre dévoile un jeune garçon trop tendre pour cette société. Un fils en perte de confiance, en déroute. Un jeune perdu entre ce père trop intransigeant, le fantasmant adulte, et une norme trop sexuée pour ses premiers désirs. Ce père découvre le monde dans lequel vivait son fils, avec ses communications, ses inspirations, ses premiers émois et ces attaques. La mort n'apparait plus que comme un symptôme de société, une souffrance à être comme les autres.

Le deuil apporte son lot de ruminations et de remises en cause. Remise en cause d'une manière d'être père, avec toutes les valeurs, la responsabilité et la culpabilité. Un éclatement aussi des conforts intellectuels: ne pas se positionner face aux femmes, resté dans le consensus mou et séducteur et aussi un non-investissement dans les questions de société, de ce racisme quotidien de la négligence.
La vie, après le deuil, offre aussi son lot de dangers, ses solutions de fortune que peut être la drogue. Il y a peut-être un espoir de vie et pas seulement en tant que spectateur, l'espoir de ne pas qu'être un père qui n'a pas su profiter de son fils.

Ce livre est sélectionné pour le Prix Landerneau 2011. Merci à Fait&Gestes.

vendredi 28 janvier 2011

Une lettre

*source Joanna HELLGREN

Et suivez la source pour lire un interview de cette jeune illustratrice suédoise, en anglais... et d'autres interviews en français ici et . Découverte grâce au "Frère nocturne", son œuvre mérite le détour...

mercredi 26 janvier 2011

Les lettres du secret


"Les lettres du secret" de Bae YOO-AN nous raconte l'histoire d'un jeune garçon coréen, Jang-un, issu d'une famille très pauvre. Sa mère est morte, son père invalide d'une de ses mains, ne pouvant plus exercer son emploi de tailleur de pierre et sa grande sœur Deok, vendue comme domestique dans une grande famille pour payer un peu les dettes, il doit surmonter sa condition, d'enfant, de pauvre, et se trouver une voie dans la vie.
Une rencontre avec un gentilhomme, en haut de la montagne, va être le début de la chance. En échange d'eau pure pour les yeux du vieil homme, ce dernier lui offre du riz (denrée rare), puis des cours d'écriture et de lecture en se servant d'un nouvel alphabet.

Jang-un, très courageux et laborieux, va s'échiner à faire survivre la maisonnée tout en accentuant ses passions: cette nouvelle écriture et la taille de pierre.
La nouvelle écriture est d'abord un langage quasi secret. Jang-un s'en sert pour communiquer avec sa sœur. Cette connaissance est un privilège gardé pour les proches, les amis, gardée aussi pour se prémunir des lettrés malhonnêtes utilisant l'analphabétisation de la population pour leurs intérêts. Puis Jang-un va au fil des mois intéresser plus d'un avec ces symboles tracés sur la terre.
La taille de pierre apparait aussi là, comme transmission du père, comme incarnation du jeune homme dans ce qui l'entoure. C'est aussi un apprentissage à la tâche, au labeur, une formation technique sur la matière mais aussi une formation de l'esprit. Dans chaque pierre le sujet est là en puissance, prêt à se mettre à vibrer, à frémir, à vivre bien avant que le sculpteur ne le mette à jour.

Ce livre est un roman pour les enfants à partir de 9 ans mais il offre un contenu riche sous une écriture très fluide. Il nous replonge dans une Corée traditionnelle où le labeur quotidien est obligatoire pour les plus modestes : les menus travaux du quotidien mais aussi les tâches pour gagner un peu d'argent. Et nous sommes à leur table et à leur chevet aussi (avec présentation de la nourriture et des soins traditionnels). En ce sens, le livre apporte aussi un contenu plus dense.
Mais encore plus, c'est ce parti-pris qu'est l'alphabétisation d'un peuple comme enjeu politique qui domine le récit. Soit le passage des idéogrammes chinois, exclusivement réservés aux lettrés (parce qu'il fallait le temps de les maîtriser) à l'alphabet coréen, le hangeul (hangul), accessible au plus grand nombre. Historiquement c'est Sejong le grand, roi coréen du 15ième, qui a inventé et imposé cette écriture. La valeur de l'écrit prend alors tout son sens: celui d'une transmission des savoirs, d'une communications des faits et des sentiments, d'une puissance de tout un chacun.

Vous trouverez un avis pertinent . En attendant de prendre une pierre et d'avoir envie d'y tailler un crapaud sur la tête duquel j'écrirais chance!

lundi 24 janvier 2011

Petits meurtres et autres tendresses

© Kitty CROWTHER/ Seuil

"Petits meurtres et autres tendresses" de Kitty CROWTHER est une proposition pour adulte. Un album de dessins avec une phrase accolée, des mots doux, de beaux sentiments.... non, non, oh surtout non: plutôt toutes les possibilités de mettre fin à une vie de couple... des plus petits sévices comme sur les illustrations présentées là, aux plus grandes tortures ou morts.

Ce petit livre est jubilatoire quand il y a une "petite percussion discordante" dans l'harmonie du couple. Un livre à tourner page à page pour découvrir toute l'animosité en dessins, en grimaces, en regards mauvais.

"Louise, fini de jouer, sors-moi de là!"
© Kitty CROWTHER/ Seuil

© Kitty CROWTHER/ Seuil

Hi, hi, hi, jouissif, il y en a pour les deux partenaires. Les illustrations de CROWTHER sont toujours superbes, les femmes et les hommes sont bien normaux, avec des vices, des défauts (et pas que cachés), ils sont grimaçants et sadiques.
C'est une bonne claque qui permet, à force de tourner les pages, d'avoir encore plus d'amour pour l'autre, notre autre... après lecture.

Ici un autre avis mais je ne retrouve pas le blog qui m'a donné envie de suivre CROWTHER aussi dans ces péripéties-là. Même si vous devez avoir compris que je suis vraiment très très admirative de toute l'œuvre de cette auteure/illustratrice, colonne de droite sur auteurs ;)

Le signe de la lune

© Enrique BONET et José Luis MUNERA/ Dargaud

"Le signe de la lune" de Enrique BONET et illustré par José Luis MUNUERA est une bande-dessinée très réussie. Ce grand tome d'une centaine de pages présente un conte maléfique, voire macabre, inspiré d'une légende espagnole.

Les illustrations monochromes donnent le ton... Nous allons suivre des enfants la nuit, à travers leurs peurs et les légendes du pays. Artémis, la plus jolie jeune fille du village, emmène son petit frère dans la forêt, il faut absolument aller voir la lune, elle est dans sa période croissante, brillante, et elle l'appelle. Deux jeunes hommes sont amoureux d'elle, Brindille, qui sait parler aux animaux, avec sa sensibilité et sa fragilité, plus à l'aise dans la forêt que parmi les hommes, et Rufo, jeune chef d'une bande de petits chenapans. Une balade en pleine nuit à la lueur de la lune, un jeu d'enfants, entre enjeux enfantins, amour, bravade, envie, rancune, fierté, orgueil et méchanceté d'adulte. Un drame se trame, un drame où les enfants ont leur part mais aussi les adultes.
Le drame est là, l'espoir est peut-être tout de même en l'homme adulte, les enfants deviennent grands.

© Enrique BONET et José Luis MUNERA/ Dargaud

Cette bande-dessinée suinte de cette noirceur des hommes, petits ou grands, de cette méchanceté du regard par rapport à l'autre, au différent. Ce sont les petites malices, les grands vices, les petites erreurs et les grandes, que nous suivons là.
Mais la couleur est présente, par point, par le rouge de la cape d'Artémis: un espoir! Et oui parce que l'histoire, coupée en deux, amène aussi son lot d'humanité. De celle sortie dont ne sait où comme Merveilles, personnage extraordinaire, sorte d'Arlequin, colporteur de malice, de joie, d'amour, d'immortalité de l'humanité. De celle qui revient, enfermée qu'elle a été par la souffrance. De celle qui aurait pu être là, si tant est que la vie l'avait soutenue.
"Le signe de la lune" est un drame mais aussi un retour vers nos peurs, celles extérieures de la nuit ou de la vie, mais aussi nos propres angoisses intérieures. Cette bande-dessinée est pour adultes ou enfants très avertis... mais d'un autre côté les contes de Grimm ou de Perrault n'ont pas fait plus gentil!

© Enrique BONET et José Luis MUNERA/ Dargaud

"Quelqu'un a créé la forêt pour que les enfants s'y perdent.
Appelons-le Dieu. Appelons-le Grimm le bicéphale.
Il l'a semée d'arbres noueux, irriguée de rivières dont les eux donnent la vie et la mort, et enveloppe d'un voile de brouillard. Ensuite, il a suspendu au-dessus des arbres la lune et l'étoile Polaire, car il fallait que les enfants se perdent, mais pas complètement.
Puis il a lâché les loups."
Alex ROMERO Sociologue et expert en Culture Populaire
(extrait de la préface du "Signe de la lune")

Vous trouverez là d'autres avis explicites, rappelant que José Luis MUNUERA est très connu pour les "Spirou et Fantasio" plus ciblés enfant, remercions le duo de nous offrir ici une œuvre plus noire, plus rude et passionnante: ici, ou . Et retrouvez l'interview de l'illustrateur ici.

jeudi 20 janvier 2011

L'oiseau Canadèche


Si vous entrez par hasard dans la lecture de "L'oiseau Canadèche" de Jim DODGE, ce ne sera pas un hasard si vous le relisez presque aussitôt: ce court roman est un petit bijou.

Nous suivons le quotidien d'un grand-père de près de 100 ans et de son petit-fils de 20 ans. Un quotidien exclusivement soumis aux passions de chacun, aux excès, à l'amour filial et à la dévotion pour un canard, une femelle pas ordinaire, l'oiseau Canadèche.
C'est une histoire d'hommes en Californie. Jake, que nous découvrons assez jeune, en prise avec ses mariages éclairs et surtout ses passions dévorantes que sont le jeu, l'alcool, les voyages en solitaire et le refus de tout travail ou imposition. Johnathan, dit Titou, son petit-fils, orphelin arrivé à 3 ans dans le ranch du grand-père. Et quelques autres seconds rôles au souvenir puissant: par exemple les deux indiens, l'agonisant et Johnny Sept-Lunes.
Les femmes sont expédiées loin, vite fait, bien fait. Par le grand-père: en divorces couteux, en agression verbale, hachoir à viande à la main, à l'attention de l'assistante sociale ne voulant pas lui céder la tutelle de son petit-fils. Par le petit-fils: en ignorant toutes les donzelles. Par le destin: la mère disparue de mort violente pendant un moment de doux partage avec son fils. Elles sont pourtant pas si loin, le ton est souvent grivois, les femmes sont le plus souvent sexuées et peuvent être rêvées nombreuses autour d'un homme.

Le livre est truculent d'anecdotes et de duels animaliers. L'emploi du temps s'égraine identique chaque semaine bien loin de toute contrainte sociale ou financière. Ils vivent en autarcie, au plus près de la nature, de l'héritage du plus jeune et de la distillation de whisky du plus vieux. La vie est simple, libre, originale (surtout): barrières et clôtures érigées par Titou tous les jours, tout le temps, depuis ses 11 ans, les "guitares à Titou" ; sieste imbibée, goutte à goutte ou au goulot de Jake; duels aux échecs d'après-diner; réunion de joueurs de poker ; cinéma à ciel ouvert, parlant, caquetant, vociférant, mâchouillant; chasse au sanglier, guerre contre ce Cloué-grouin.

*source première édition anglaise illustrée par Harry HORSE

Le style est plein de gouaille, de finesse. De toutes les scènes émanent des sons, des coups de sang, des grimaces, des rires tonitruants, des cris ou des cancanements. Les divergences de position entre les deux hommes, sur la boisson (tout de même consommée par Titou mais de manière moins transfusée), la chasse, la pêche, la mort, mettent aussi en avant leur solitude soutenue, leur complémentarité.
Les caractères sont bien trempés, Titou, Pépé Jake mais aussi Canadèche (canard obèse, limite alcoolique, fervente de film d'amour et canard de chasse) et Cloué-Groin. Le grand-père se croit immortel, doté de ce secret qu'est la recette du "Vieux Râle d'Agonie". Et c'est aussi toutes ces démonstrations d'invincibilité et ce nouveau défi de la sagesse que doit insuffler l'immortalité qui apportent cet humour décapant: évaluer les dégâts, faire un bilan méthodique de sa personne.

*source édition allemande illustrée par Atak

En plus de ces effluves bien alcoolisées, de ces démonstrations d'humeur à l'excès, il s'agit aussi de ces démonstrations de la vie et les obnubilations humaines: un canard Canadèche (ou plusieurs) et un sanglier Cloué-Grouin, tous deux animaux presque de compagnie tant ils ont leur place au quotidien, sont des révélateurs vitaux, d'un état naturel, de la continuité et des clins d'œil de la vie.

Rajout du 24/01/2011: le livre est aussi un bijou pour sa postface écrite par Nicolas RICHARD, qui offre des focus sur les merveilles et une folle envie de découvrir encore cet auteur.

lundi 17 janvier 2011

Les petits philozenfants... se questionner tout bout de chou

La collection "Les petits philozenfants" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Delphine DURAND aux éditions Nathan est arrivée chez nous naturellement, elle est destinée aux enfants à partir de 3 ans, ne vous en privez pas.
A chaque album, Phil, tout jeune enfant, se pose une question fondamentale et va la poser au référent. Mais souvent l'adulte n'a pas pris le temps de répondre et Phil est déboussolé et laissé seul à son questionnement. Heureusement son doudou Zof le pousse à chercher un autre intervenant, qu'il soit objet, animal ou humain. Ainsi, page par page, la question reste la même, la réponse change: d'un simple constat à une réponse tronquée amenant un doute à Phil, partant vers une autre réponse etc... Phil et son doudou Zof déambulent ainsi entre les réponses jusqu'à la dernière plus "ouverte".
Le livre se lit comme une histoire, Phil change de participant en suivant des pointillés dans l'illustration. Le philosophe étant Zof le doudou, qui reformule la limite des réponses, relance l'enthousiasme du bambin.
Les thèmes sont l'acte de grandir et d'apprendre, l'amour, la vie et les limites/dangers, espérons que la collection s'étoffe encore plus.

© Oscar BRENIFIER et Delphine DURAND/ Nathan

"Pourquoi je vais à l'école" a été le premier, lu comme une histoire du soir avant la première année de maternelle. La question est posée à la maitresse mais celle-ci n'a pas le temps d'y répondre, alors Phil décontenancé mais soutenu par son doudou va aller poser la même question à la cloche de l'école, à l'escalier etc... Le constat, l'activité, la transmission du savoir, le travail, le jeu, se faire des copains, grandir, apprendre sont présentés simplement avec des mots d'enfant et une illustration enjouée. Le "turlututu" de Zof dans cet album permet vraiment à l'enfant de rester dans l'histoire/questionnement, d'en rire et de vouloir d'autres réponses. Ce livre permet vraiment de proposer à l'enfant une entrée à l'école avec sa propre interrogation toujours active.

© Oscar BRENIFIER et Delphine DURAND/ Nathan

"Pourquoi je ne fais pas ce que je veux ?" démarre d'une question posée au papi décontenancé par cette interrogation portée par un enfant. J'ai d'ailleurs aimé cette référence à une éducation où l'enfant devait se taire par rapport aux adultes et jouer avec ceux de son âge. L'action de ne pas faire et le fait d'être obéissant, être contraint, trop petit, naif, sage, aimant, la loi et le danger... ce sont les thèmes vus, juste aperçus mais laissant le questionnement complet en suivant un "saperlipopette" de Zof jouissif.

© Oscar BRENIFIER et Delphine DURAND/ Nathan

"Dis, papa, pourquoi tu m'aimes?" reprend l'acte d'aimer: être aimé, aimer tel chose, aimer tel être, les qualités pour être aimé (doux, gentil, pas dérangeant), la solitude, l'attention. C'est autant le sentiment que les conditions de questionnements ou les limites des réponses qui sont soulignés par le "taratata" de Zof. Du papa décontenancé au papa salutaire.

"Dis, maman, pourquoi j'existe ?" reprend cet acte de vie, naissance, existence indépendante de la grandeur, de l'activité, de l'utilité. Encore une fois, les réponses montrent le panel des limites de nos raisonnements mais Zof est trop consciencieux pour se laisser distraire et emmène Phil a demander encore et encore, "nom d'un petit bonhomme"!

© Oscar BRENIFIER et Delphine DURAND/ Nathan

D'ailleurs ces livres ne s'arrêtent pour ainsi-dire pas, Zof émettant souvent un doute, une question finale, ouvrant encore à la réflexion. Il ne nous reste plus qu'à discourir sur les questions philosophiques même avec nos plus petits, dès 3 ans... Et nous continuerons avec la collection Philozenfants, elle aussi formidable, j'en parle très rapidement.

mercredi 12 janvier 2011

Lecture sur le vif

Trois heures après, le livre est refermé et mon insomnie constructive..."Storr, Architecte de l'ailleurs" de Françoise CLOAREC... j'en parle plus tard.

* Marcel STORR

mardi 11 janvier 2011

Journal d'un apprenti moine zen

© SATÔ Giei/ Picquier

"Journal d'un apprenti moine zen" de SATÔ Giei est un carnet de bord d'un véritable moine. Il s'agit d'un témoin fort de ce qui se passait au sein même des temples bouddhistes japonais en 1940.
Ce sont comme de petites "anecdotes" (à ne pas prendre au sens anecdotique mais biais, pan d'histoire) proposées par thème qui se lisent avec facilité, une double page par focus avec à chaque fois une illustration de l'auteur pour illustrer le propos.

L'auteur présente cette vie monastique avec ses conditions d'entrée et de sortie, l'une et l'autre pas évidente, la première faite de mises à l'épreuve sur plusieurs jours, la seconde d'une honte possible ou liée aux conditions de vie, saisonnalité et fonction au sein de la communauté.
Mais c'est bien le privé d'un temple qui nous habitons pour un temps. Sa temporalité: au quotidien, au fil des heures et des saisons, en prise aux conditions de vie "prière", "propreté des lieux", "mendicité", "remerciements", "événements historiques". Son paradoxe: une négation de la différence individuelle dans les travaux communs, les rituels et le quotidien, un don de soi personnel dans les services rendus et une apogée de son individualité dans le chemin spirituel. Sa dureté: labeur journalier, temps prédéfini (surveillé et soumis à "châtiment") de prière, abnégation du corps (dans la vêture comme dans la rudesse des poses de méditation, contre-carrée par des temps de repos, des temps de marche méditative ou de très peu nombreuses fêtes explosives). Ses temps forts: méditations, prières, repas, entretiens journaliers très durs avec le maître, mendicité, sorties.
Le chemin du "un sui" (nuage et eau, nom désignant le moine zen) est long, épuisant, exigeant, âpre. Mais ce dénuement est aussi accompagné d'une grande joie de vivre, d'une communion, d'un partage. Nous découvrons de nombreuses voies du bouddhisme zen (de celles que je repère, béotienne que je suis en la matière) : ne s'attacher à rien, n'attendre rien pour mieux avancer, le corps délié des conjonctions superficielles avec des besoins juste satisfaits, une exigence de dureté voire même de souffrance, un caractère exempt de colère, l'éveil, les réflexions ou plutôt absence de réflexion mais bien vie présente autour des koans (questionnements élévatoires aux limites de l'absurde) et aussi incroyable qu'il n'y paraisse la possibilité de vice pour ne pas contrecarrer l'aversion de l'hypocrisie humaine.
Ce sont les pas à pas, les moments phares, les interactions qui sont présentés encore plus que le cheminement spirituel. C'est aussi leur rapport aux autres, extérieurs au temple, relation de survivance, relation spirituel (ou de foi), relation de communauté etc...
Les repas, le thé, ont aussi une part belle, autant dans la frugalité et l'éveil à la concentration que dans les exceptions aussi particulières. J'en parle un chouïa là.


© SATÔ Giei/ Picquier

Autant dire que ce livre offre une bien belle ouverture sur leur quotidien, en nous proposant aussi cette authenticité (merci aussi au traducteur d'avoir laissé le vrai lexique japonais). Une manière de relativiser par rapport à nos vies.

lundi 10 janvier 2011

The sunday books (les livres du dimanche)

J'ai acheté "The sunday books" de Mervyn PEAKE et Michael MOORCOCK comme on se procure avec délice un livre de transmission.

© Mervyn PEAKE et Michael MOORCOCK/ Denoël

Cet objet est une sorte d'ovni. Ce sont des pages que le quidam n'auraient jamais dû voir. Mervyn PEAKE, talentueux illustrateur de Lewis CARROLL ou de Robert Louis STEVENSON, et romancier lui-même, offrait des moments privilégiés à ses deux fils. Dans l'île de Sercq où il vit, pas grand chose à faire pour ses deux garçons et la présence d'un papa poule artiste fait le reste. Il se met à inventer des histoires en pure improvisation et les illustre. Ce recueil d'illustrations de Mervyn PEAKE nous arrive amputé des histoires, poèmes et chansons. Un de ses amis, célèbre romancier, Michael MOORCOCK, nous sort du champ familial ces pages intimes et leur offre une parure de texte. Ce ne sont pas celles d'origine bien-sûr mais l'esprit est conservé.

© Mervyn PEAKE et Michael MOORCOCK/ Denoël

Ainsi ce livre nous offre une histoire parallèle de pirates et d'indiens. Sorte de confession des héros communs et ordinaires, c'est le ton qui amène ces histoires à devenir extraordinaires. Les personnages sont des pirates, des indiens ou des animaux fantastiques. Leurs confessions apportent une dose d'humour bien réchauffante: le ridicule des noms de bateaux, les trésors recherchés (par exemple un pudding de Noël), la canaillerie (et naïveté) des pirates, des courses de chevaux aux duo (trio) étonnants, les indices modernes d'une vie à choisir ou des mélanges zoologiques (un hibou parent d'éléphanteaux).

© Mervyn PEAKE et Michael MOORCOCK/ Denoël

Mais ce qui fait la force de ce livre est ce rapport très intime à ces destinataires. Mervyn PEAKE a créé pour ses fils, ainsi ce père propose des références multiples, des indices familiaux, des jeux de mots que MOORCOCK a dû recréer et une atmosphère : un lac Mickey-ho-ho, des annonces passées dans le "Corsaire express" ou "La gazette du corsaire" pour trouver un capitaine de piraterie.

Les histoires ne tiennent pas vraiment debout, il s'agit d'improvisations revisitées par un auteur se mettant à la place de PEAKE, nous passons du coq à l'âne, de chansons, de clins d'œil, d'illustrations apparemment plus marquantes etc. Mais c'est aussi la force d'un tel livre: il s'agit bien d'une transmission. Transmission d'un père à ses fils, imaginaire partagé, fortifié et amplifié, humour familial. L'introduction de Michael MOORCOCK fait partie intégrante du livre offrant effectivement une biographie de PEAKE mais surtout une idée de l'esprit de cet illustrateur et des dimanches en famille.

© Mervyn PEAKE et Michael MOORCOCK/ Denoël

De quoi donner vraiment envie de faire partie d'une famille de créatifs.

L'avis de Nebal, très complet, détaillé et pertinent,

mercredi 5 janvier 2011

Le paradisier (roman flottant)

"Le paradisier" de Frédéric CLEMENT est un livre, musée, collection, poème. Nous suivons Raphaël MOINEAU, gardien de musée à la main abimée figée en forme de bec. Au cours d'une visite guidée d'un groupe de touristes italiens, le guide interpelle d'un "Ovo" une jeune femme habillée de jaune, puis une plume sur un tableau, une autre...

"Ovo

Trente-six jours que, du bout de ma langue, je le fais rouler sur mon palais. Le mouille. Que j'en savoure le velouté. Le sèche. Le fait cliqueter sur mes dents de devant. Claquer sur mes molaires. Le coince entre mes canines. Quelquefois. Je serre à l'entendre craquer."

Raphaël découvre l'interstice, celui qui nous laisse observer les anges dans cette autre lumière, cette poussière de chatons, d'aigrettes de pissenlit et particules de roseaux. Il part à la recherche de ce mot, à Naples et son château Dell'ovo, à la recherche de cette faille. Il va rencontrer les Vigilants, les anges de proximité... Ils prendront la parole, se confieront, offriront à connaître certains napolitains, certaines histoires. "Que même les anges ont leurs limites. Que sans doute il avait tout essayé, comme c'est le boulot des anges: La douceur, la violence, les chuchotements, les cris, les coups, peut-être. Mais que les anges craquent. Même les anges renoncent."

Frédéric CLEMENT nous emmène dans le désenchantement, la question de l'enfer et du paradis. Il nous conduit à cette faille des vies, entre accrocs et chocs, entre illumination et altération. Il nous livre un livre de musique, de couleur, de poussière, de plumes et de volatiles... les mots roulent, s'envolent, tourbillonnent, piaillent, sérénadent, prennent couleurs et textures. C'est avec toujours autant de plaisir que nous le suivons dans son univers. Ici très sombre avec quelques éclaircies.
Mais n'espérer pas passez à côté des oiseaux en cage ou des passereaux de nos rues, ni même à côté d'une plume perdue sur nos trottoirs sans repenser à ce livre... des envies de ptérophilie pourraient même vous prendre... et vous condamner pour le meilleur et pour le pire.

*source aquarelle de Sylvie de Flandre

Un autre avis ici et un extrait mis en image, chuchoté et ébruité par l'auteur lui-même.
LE PARADISIER de frédéric Clément (Roman flottant)
envoyé par frederiClement. - Regardez plus de courts métrages.

mardi 4 janvier 2011

Très belle année

"Lire est une perte de temps"... à l'inverse de cet adage familial, je vais lire, continuer à me perdre dans les pages, dans les illustrations, lire pour fuir, pour m'évader, lire pour revenir, aller au fond de moi, réfléchir et digérer, lire pour ouvrir sur la vie, sur le monde, lire à voix haute pour les yeux qui pétillent de celui qui ne lit pas encore, lire à voix haute pour le sourire au coin des lèvres de celui qui écoute ma voix quand il ne lit plus.

Lire encore, lire pour moi, pour eux, lire pour se délecter, pour en parler, pour partager...

*source sculpture "La lectrice" de Roger LANGEVIN

Très belle année de lectures, divertissantes, constructives, soutenantes, déstabilisantes et fondatrices.

lundi 3 janvier 2011

Le livre de Noël

"Car il me faut expliquer comment les choses se passent à Marbacka le soir du réveillon. On a le droit de tirer une petite table au chevet de son lit et d'y poser une bougie, et puis l'on a e droit de lire aussi longtemps qu'on le désire. Et cela constitue le plus grand des plaisirs de Noël. Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau de Noël, un livre que l'on avait jamais vu auparavant et que personne d'autre dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l'on pourra en lire les pages l'une après l'autre, pour autant que l'on sache rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l'on a pas reçu de livre?"
(extrait de Selma LAGERLÖF, "Le livre de Noël", conte extrait du livre du même nom)
*source illustration de Gustave DORE, des "Nouveaux contes de fées" de la Comtesse de Ségur