dimanche 16 avril 2017

"Habituellement, je n'aime pas les concours car je suis affreusement déçu si je ne gagne pas, mais j'aime toujours chercher des oeufs." - Les mémoires de papa Moomin


"- Cher peuple! Chers sujets loufoques, écervelés et turbulents! Vous avez reçu ce qui vous convient le mieux. Vous ne méritiez ni plus ni moins. Dans Notre sagesse centenaire, Nous avions réparti les œufs dans trois sortes de cachettes: premièrement dans les endroits qu'on rencontre obligatoirement si l'on court ça et là ou si l'on est trop paresseux pour chercher. Ces prix-là sont bons à manger. Deuxièmement dans des endroits que l'on trouve à condition de chercher calmement, avec méthode et science. Ces prix-là sont utiles à quelque chose. Mais, troisièmement, nous avions choisi des cachettes qu'on ne peut découvrir sans être doué d'imagination. Et ces prix-là ne servent strictement à rien. Écoutez-moi bien, chers sujets incorrigibles! Qui d'entre vous a cherché avec le plus de fantaisie: sous les pierres, dans les ruisseaux, à la cime des arbres, dans les bourgeons de fleurs, dans ses propres poches ou près des fourmilières? Qui donc a trouvé les œufs 67, 14, 890, 999, 223 et 27?
- Moi! criai-je si fort que je sursautai, confus. Une toute petite voix se joignit à la mienne:
- 999.
- Avance, pauvre troll, dit le Souverain. Voici les lots inutiles du fantaisiste. Aimes-tu cela?
- Énormément, Votre Majesté, dis-je dans un soupir de bonheur en voyant, émerveillé, ce que j'avais gagné."
(extrait de "Moomin, les mémoires de Papa Moomin" de Tove JANSSON, Le petit lézard)

samedi 15 avril 2017

Les trois vies d’Antoine Anacharsis


Au début, dans le ventre de sa mère, bercé par ses mélopées lui racontant l’océan, son île, les baleines, les tortues, son histoire et son trésor (de pirate), il est Taan. Il n’est pas encore né, il est témoin. Il aurait pu naître à Madagascar, esclave sur un bateau négrier mais ce sera par magie.
 Sa seconde vie démarre dans l’océan. Le Docteur Blind le découvre en Afrique, l’adopte, lui l’enfant Antoine. Ils partent ensemble à la recherche du trésor de son ancêtre. Il leur faut des indices, une aide, celle d’Edgar Allan Poe peut-être, qui semble expert dans sa nouvelle du « Scarabée d’or ». Ils partent vers l’Amérique et se perdent en chemin. Esclave, voleur, fuyard, rattrapé et mutilé, Antoine perd goût au trésor, aux amis, à la famille et devient baleinier.
Sa troisième vie coïncide avec l’invention de son nom de famille, Anacharsis. Il déambule maintenant sans but ou si, un retour, vers ses origines, son histoire

Alex COUSSEAU propose un roman dit de formation
La formation est effective, un héritage oral, la lecture, l’écriture, voir ici, la conscience des peuples. L’initiation est proposée au héros et au lecteur : d’enfant poursuivant un fantasme vers un responsable de famille.
L'auteur embarque son lecteur avec une multitude de vies, mêlant ce qui peut plaire (chasse au trésor, expérience forte de baleinier), du fantastique réel ou fictif (spiritisme, Phileas Gage, Edgar Allan Poe) et des cartes géographiques.

Il s’agit d’un magnifique roman d’aventures mêlant le réel et l’imaginaire. C’est érudit sans être un roman pédagogique. Nous parcourons le monde en poursuivant le vrai cryptogramme du pirate La Buse et découvrons une époque, le IXème siècle (esclavagisme, baleiniers, ruée vers l’ouest américain, avancées technologiques – chemin de fer, daguerréotype). L’océan apporte sa magie avec sa faune fantastique, tortue, cachalot ou kraken. Le récit apporte péripéties et symboles forts.
Aussi, l’auteur permet une réflexion, sans être pesante, sur l’esclavagisme, la colonisation et les différences entre les peuples.

"Il y a de la beauté dans cette lutte pour tenir debout" - Equinoxe


"Je me dis tous les jours qu'il est un peu trop tard. Je ne pourrai jamais combler ces dix dernières années perdues à ne rien apprendre, rien comprendre. Je ne serais jamais Gene Kelly, Pollock, Virginia Woolf ou Chris Killip. Je n'ai pas le souffle. Je ne suis pas équipée pour cela. C'est douloureux. Je l'ai cru avant, un peu. Je m'étais secrètement raconté cette histoire-là, à l'âge où on peut faire semblant de croire en son talent, où on espère qu'il va se construire pièce par pièce devant soi. Je pense à tout cela. Je rumine encore et encore. Je sais que c'est inutile.

Il faut que je réduise mon ego. Ne plus me laisser envahir par ce que je ne suis pas.

Je bute tous les jours sur le mur insupportable de mes limites, et pourtant je continue.

Comme sur un vélo.

Si je m'arrête, je tombe."
(Extrait des "Équinoxe" de Cyril Pedrosa; édition Aire libre)

jeudi 13 avril 2017

"Une bête furtive qui habitait ma maison" - Le soir du chien

En ce moment des lectures comme des portraits. De magnifiques femmes, des tempéraments, des vies hors de ce que nous attendons d'elles.


Ici Marlène, aimée...
"Elle m'a parlé; très vite, elle m'a parlé, dans une langue comme neuve, qu'elle semblait se découvrir. J'écoutais. Elle ne me regardais pas, ne me touchais pas. Elle se laissait regarder; je ne la touchais pas. Je la buvais, sans la désirer comme désirent les hommes, avec le ventre. J'étais pris. Elle racontait, dans la lumière des après-midi, et le bruissement de la plage, troué de cris d'enfants. Elle racontait sa mère, sa grand-mère, ses sœurs, la boulangerie, le salon, et les hommes; le grand-père, Georges, son père. Elle disait avec une confiance assourdissante, donnée, comme pour toujours. Elle avait une voix grave, presque voilée, monocorde et ténue; une voix venue des longues steppes du silence et qui n'était pas de son âge. Chaque après-midi, je revenais. Elle ne semblait pas m'attendre et ne s'étonnait pas de me retrouver sous le parasol rayé de bleu. Nous ne nous baignions pas."

peut-être perdue...
"C'était un coup dans mon ventre, un nœud, un creux. C'était d'abord de la douleur, une question de corps. Il fallait se rassurer, continuer, attendre pour savoir, pour voir. Je ne me suis pas battu. Se battre comment. On n'a droit à rien. Chacun s'appartient, dans la solitude de sa peau. Je n'ai pas pleuré; devant elle. Je ne l'ai pas suppliée."

(extrait de "Le soir du chien" de Marie-Hélène LAFON, points)