jeudi 30 octobre 2014

La couleur du lait


Mary a les cheveux couleur du lait. Blonde? A reflets? Elle est la petite dernière d'une famille de fermiers. Le père, rude et froid, aurait aimé avoir des garçons pour l'aider à la tâche. Ce sont pourtant quatre filles qui s’échinent jours et nuits dans ses champs.
Est-ce parce que celle-ci a une pâte folle? Est-ce pour son caractère bien trempé et franc? Mary se verra prêtée au service du pasteur Graham au presbytère. Elle a 15 ans et tout son monde change.
Dure à la tâche, elle s'ennuie dans cette nouvelle maison où le plus clair de son temps est pris à s'occuper de Madame. Remonter les draps, les oreillers, refaire le lit, aérer... cette pièce bleue.
Elle rejoint Edna, déjà employée à tenir la maison.

Se mettre au service de personne n'est pas le même travail que celui de la terre. La matière et les bêtes lui offraient une reconnaissance. Les actes au service d'une maison semblent déchargés de fond et pourtant. Ce sont ses attentions à la malade de la pièce bleue et à son grand-père cloitré dans la réserve de pommes, là-bas à la ferme, qui tiennent Mary. Elle a une présence réelle.
Elle ne joue pas, ne s'attache à aucun rôle, elle est juste elle-même.

"alors de quoi est-ce que vous voulez discuter? vous m'avez pas appelée ici rien que pour boire le thé et causer de la pluie et du beau temps?
tu es vive. je ne parlerais pas d'intelligence parce que tu n'es pas instruite, mais tu as quelque chose.
quoi donc?
une astuce innée peut-être, de l'esprit.
et c'est pas comme un cerveau instruit?
non, je ne crois pas, c'est informe, plus animal, plus primitif.
animal?
je ne voulais pas t'insulter. les animaux sont des survivants, ils n'ont pas besoin qu'on leur enseigne quoi que ce soit. mais ne t’inquiète pas de ça.
je m’inquiète pas. quand je ne peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas. si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
le révérend a joint les mains.
tu sais que tu aurais beaucoup à apprendre au reste du monde?
j'ai ri. et moi je crois que j'ai rien à apprendre à personne.
mais si . mary."

Ce passage au presbytère va lui retirer la naïveté qu'elle avait encore, elle n'est pas dupe du fiston coureur de jupons, comme elle ne l'est pas de l’ambiguïté du maître. Et pourtant, vive, intelligente, elle est humiliée, bafouée. Elle se résout à l'être aussi pour s'offrir une autre richesse, celle de la lecture et de l'écriture. Cette éducation lui est fatale. Autant Edna n'avait de futur que ses suaires, autant Mary pensait avoir un avenir.

Ce court roman, "Couleur de lait" de Nell LEYSHON, marque l'ouverture d'un autre possible qu'est l'alphabétisation. C'est aussi la fin d'une vie simple, franche, dure mais où Mary pouvait être solide. Elle ne pouvait pas, comme cela, changer de monde. Neil LEYSHON nous offre là la parole écrite de son héroïne, une écriture sans majuscule aux phrases courtes, presque factuelles.

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vendredi 24 octobre 2014

L'Inde à l'honneur dans les livres jeunesse

J'ai profité de la fête colorée et joyeuse de Diwali pour lire autour de l'Inde. Nous l'avions fêtée ainsi il y a deux ans. Des albums et des livres un peu plus pointus, de quoi se plonger avec les enfants dans ce pays si riche de cultures. Les liens vous renvoient aux billets dédiés aux livres cités.

*source peinture Kalighat, Dolls of India

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Les textes fondateurs:


La fête de Diwali est liée à Rama, roi mythique, un des avatars de Vishnu. L'histoire de ce souverain est racontée dans l'épopée mythologique Ramayana. La version de Sanjay PATEL, "Ramayana, la divine ruse", est parfaite. Très stylisée, elle apporte une fraicheur et une lisibilité à cette mythologie.


Un second grand récit marque la culture hindoue, il s'agit du plus long poème du monde. Notre version de cette oralité de la civilisation de l'Indus nous vient d'une enfant. "Le Mahabharata" raconté par Samhita ARNI est un peu brouillon mais il est très impressionnant.

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L'Inde offre une multitude d'évocations exotiques. 


"Radhika, la petite hindoue" de Chrystel PROUPUECH et illustré par Sabrinah propose de découvrir le pays à regard d'enfant en y mettant les mains.


Rudyard KIPLING nous a proposé, lui, d'y découvrir la jungle et ses aventures, autour des animaux ou de Mowgli, l'enfant élevé par eux. Ses "Histoires comme ça" en offrent un bel exemple.

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La place des femmes est elle très ancrée dans la tradition. Les choses bougent doucement mais deux propositions peuvent nous faire vivre la situation d'une enfant en âge d'être mariée. A chaque fois, l'instruction est une voie vers l'émancipation.


Le premier, un album pour les plus jeunes, celui d'une enfant qui s'interroge sur le mariage et sur la place d'une femme en Inde: "Rouge Bala" de Cécile ROUMIGUIERE et illustré par Justine BRAX.



Le second, "Un sari couleur de boue" de Kashmira SHETH, un roman sur le passage de fille à femme, d'enfant à mariée et propose aussi cette descente aux enfers qu'est le veuvage féminin.

Rouge Bala

"Rouge Bala" de Cécile ROUMIGUIERE et illustré par Justine BRAX offre une porte ouverte vers cette Inde aux traditions millénaires et où les petites filles sont mariées bien tôt.

© Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse

Bala a douze ans. Cet été, elle est seule à jouer autour de la rivière, sa grande sœur, Lali, est partie avec son mari avant la mousson. Elle avait treize ans. La cérémonie était magnifique, les plats doucement épicés. Lali portait un sari finement brodé, le point rouge bien rond sur le front.
Alors pourquoi Bala est-elle si nostalgique? Parce que si le prince charmant arrivait maintenant par bateau, là, juste devant elle, elle ne serait pas quoi lui dire sans sa sœur? Un peu. Les jeux d'enfants n'ont pas la même saveur. Et puis, elle commence à prendre quelques formes de femme. Et puis d'ici un an, elle sera mariée par son père.

© Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse

Et puis il y a cette rencontre inattendue. Une femme sur un bateau. Pas un prince charmant, non, une femme qui fuit son mari. Bala découvre une faille possible dans la relation maritale, celle de l'infertilité.
C'est décidé! Bala veut plus de liberté. Choisir son mari, continuer l'école. Mais que vont dire ses parents? Et puis d'autres angoisses naissent pour sa sœur: est-elle heureuse?

Cécile ROUMIGUIERE apporte dans chacun de ses textes une profondeur. Dans cet album, l'enfant est aux prises avec son corps, ce mystère de l'avenir. Mais c'est aussi presque une année pour changer de vie, d'une petite fille à la femme subissant les coutumes.
Le sujet est doucement abordé, les portes sont juste entr'ouvertes vers un avenir féminin plus choisi, ici ou ailleurs, grâce aussi à l'éducation.

© Cécile ROUMIGUIERE et Justine BRAX/ Milan jeunesse

Les illustrations de Justine BRAX sont colorées, aux aplats avec des motifs comme sur du tissus. Elle apporte aussi dans cet album une impression d'étouffement dans ce paysage si grand. Une immensité subie ou une prise de liberté comme un enfant.

N'hésitez pas à lire le très beau billet de  Lily ici.


jeudi 23 octobre 2014

Un sari couleur de boue

Acheté il y a pourtant longtemps, je m'attendais à un livre rêche, je tardais encore et encore. Et non. Kashmira SHETH s'inspire de sa grande-tante pour décrire son héroïne dans "Un sari couleur de boue" et le résultat est un bel hommage à cette jeune fille et à toute l'Inde qui change.


Leela a 13 ans. Elle aime les saris colorés, les fêtes, les amies, les gourmandises et les bracelets. Sa vie est réglée depuis longtemps, fiancée, mariée, elle va bientôt vivre son anu, cérémonie qui l'emportera dans sa belle-famille auprès de son jeune époux Ramanlal. Elle est gâtée par la vie, chouchoutée par ses parents, elle a été à l'école jusque là. Et puis même sa belle-mère semble lui vouloir du bien, même son mari, qu'elle n'a pas encore le droit de connaître ni de regarder dans les yeux, semble l'apprécier.
Et puis, son jeune époux meurt de la morsure d'un serpent. Son monde s'écroule. Plus de feu aux joues ou d'impression dans le ventre pour ce jeune homme. Un grand chagrin. Et la fin de la vie. Elle ne sera plus qu'une veuve, une widhwa, sans le droit de se remarier, sans le droit de prendre position dans la société, sans le droit de se vêtir à nouveau comme une femme. Plus de magnifiques saris, bijoux de poignets, d'oreilles, de doigts de pieds, de nez. Plus de maquillage au khôl sur la tempe pour prévenir le mauvais œil ou de rouge sur le front pour marquer son état. Elle ne portera que des chidri (sari couleur de boue réservé aux veuves dans l’État du Gujarat), se rasera la tête.

Pendant un an, Leela ne pourra ni sortir de chez elle, ni accompagner sa famille dans les tâches quotidiennes, ni participer à aucune fête. Elle vivra la mise au coin, c'est à ce khuno palvo de deuil que l'auteure choisit de nous convier.
La fin de l'enfance, de l'adolescence prend ici le goût du manque. Leela décrit toutes ces choses qui apportent la joie, l'enthousiasme dans cette Inde du début du siècle. Les couleurs, odeurs, chaleurs et vents, les plats, fêtes, discussions de village.
Il y a aussi le poids des coutumes, elle est devenue pour certains une raand. Une non-personne voire une à fuir, à mépriser, à dénigrer. Le poids des traditions est lourd et cette année va dérouler toutes les nuances de cet état et permettre de micro-changements.
Leela, perdue, anéantie, va pourtant trouver un autre chemin en reprenant l'école à la maison, avec cette enseignante aux idées progressistes. Elle est soutenue par un grand frère parti en ville. Elle qui se morfond va prendre la plume pour écrire sur les bruits du monde écoutés de son coin, comme un devoir de classe. Elle lira le journal et l'intellectuel Narmad. Jour après jour, ses sens s'éveillent, son esprit aussi. 

Lentement, doucement, elle change. De petite fille choyée, elle devient en attente. De couleurs, de touchers de sari. Puis de discussions, d'apprentissages, de lectures et de débats. Brahmane (classe la plus haute), elle se prend d'amitié avec une rabari de basse caste. De thés en thés, elle apprend que l'écriture, la lecture et les mathématiques ne sont pas les seuls apprentissages nécessaires. L'actualité comprise, la littérature essayiste abordée, elle devient un esprit critique. Gandhi(ji) réveille l'Inde dans ses rapports à la colonisation et à l'agriculture. Leela y lit aussi toute une ouverture sur l'égalité des sexes, une prise de position possible pour chacun dans le monde.

"- Veux-tu du thé? lui demandé-je en avançant vers elle.
- Ho've, bien-sûr! crie-t-elle.
- Allons à la maison alors.
J'attrape son coussin et son ouvrage et la laisse prendre sa tasse. Elle reste assise sur le seuil de la cuisine en attendant qe je prépare le thé.
- Leelabon, qu'est-ce que tu lis toute la journée?
Je lui tends mon livre. [...] Le thé est prêt, elle me tend sa tasse et je la sers. Je bois le mien dans une tasse en argentan, assise à côté d'elle.
Elle souffle sur son thé avant d'en boire une petite gorgée.
- Il est bon.
De son autre main, elle tourne les pages du livre.
- C'est la légende de Rama et Sita?
- Non.
- Alors de quoi ça parle? Nous [les rabari] ne savons pas lire, mais nos anciens nous racontent beaucoup d'histoires sur Rama et Sita, sur le combat de Rama contre Ravana. Ils nous parlent aussi de Krishna, qui volait du beurre et qui a anéanti le méchant roi Kansa. Nous écoutons tellement d'histoires que, si on devait les écrire dans le ciel, elles le rempliraient entièrement, il n'y aurait plus de place pour les étoiles.
- Il y a d'autres histoires que tu ne connais pas.
- Alors raconte-m'en une de ce livre.
Il n'y a pas d'histoires dans ce livre. C'est juste un texte.
- Mais si ça ne raconte pas une histoire, de quoi ça parle?"

... ou l'art de lire comme une ouverture sur le monde!

mercredi 22 octobre 2014

Le Mahabharata

J'avais envie de plonger aussi dans les "mythologies" du monde, la gréco-romaine si riche dont notre culture garde les traces ne retirant rien à l'intérêt des autres.
Longtemps les occidentaux ont cru que les plus anciennes civilisations mêlant l'écriture, les villes, l'agriculture et la religion se situaient en Mésopotamie ou en Égypte, en oubliant la civilisation de l'Indus. Et pourtant si les conditions climatiques avaient été différentes, les mythologies d'avant l'arrivée des Aryens seraient beaucoup plus considérées.
De ce peuple survit deux épopées, le Ramayana apporte un premier récit et nous adorons suivre la version de Sanjay PATEL. La seconde est transmise de génération en génération, chantée dans son intégralité, le Mahabharata. J'avais choisi de commencer par une version jeunesse, peut-être plus abordable, avant de lire d'autres écrits.

© Samhita ARNI/ Gallimard jeunesse

Je ne vous dirais pas que vous comprendrez tout à la première lecture du "Mahabharata" raconté et illustré par Samhita ARNI. L'auteur des 2 tomes est une enfant. Elle a 8 ans quand elle dicte à sa grand-mère le premier et 12 ans quand elle écrit le second. La gamine bien éveillée a appris à lire pour ne plus se contenter de réciter les histoires lues par ses parents. Elle dévore alors les bibliothèques à sa disposition, souvent avec les textes anciens, religieux. Pour ne pas s'ennuyer, elle suit le conseil parental: réinventer un récit. Elle choisit volontairement le plus dur!

© Samhita ARNI/ Gallimard jeunesse

L'épopée guerrière est longue et cumule un nombre de personnages importants. Il n'y a pas un héros à suivre mais une multitude de personnages principaux. Les rois ont mis au monde des enfants, d'un côté, cinq frères, les Pandava, de l'autre leurs 100 cousins, la fratrie Kaurava. Ils se combattent pour prendre possession de la région nord-ouest de l'Inde.
Le récit commence avec les unions et les naissances. Tout est alors merveilleux et dramatique. Les dieux, les devoirs, les droits, les envies prédisent la vie. Dès le début, les détails sont d'une richesse d'évocation impressionnante. Du brillant, des saveurs, du luxe, des odeurs mais aussi beaucoup de saletés, de difformités, de laideurs. Des qualités choisies une à une pour les enfants des uns, une masse sanglante informe coupée en 100 et plongée pendant 9 mois dans l'huile pour les autres. Des abandons, des adoptions. Une femme épousant 5 frères.

© Samhita ARNI/ Gallimard jeunesse

Puis la nature humaine reprend ses droits. Les cousins se jaugent, s'en veulent, se mettent au défi. Une partie de dés où l'un des frères joue toute sa richesse, ses frères et sa femme. Un exode de 12 ans, un déguisement/travestissement d'une année.
Mais aussi ce destin nécessaire: la guerre. Il est dit qu'il ne restera que très peu de survivants. Tous les rois prennent position, ils sont tous tués en moins de 20 jours. Tête tranchée, corps ouvert. La jeune auteure ne nous épargne rien. La vengeance et l'honneur dictent leur loi. Les divinités et démons sont extrêmement nombreux et à chaque portion de vie, de guerre ou de mort, les miracles sont présents.

© Samhita ARNI/ Gallimard jeunesse

Les dessins au feutre ou encre noir de la jeune auteure sont de plus en plus précis, ils ancrent la spontanéité de son récit et marque son intérêt pour les personnages et les costumes. La noirceur n'est pas absente à la guerre bien-sûr.

© Samhita ARNI/ Gallimard jeunesse

La version de Samhita ARNI est une suite de très courts chapitres, assez factuels. Il sera intéressant de se pencher sur une autre version pour mieux saisir tous les pans de cette aventure. La nature humaine et les mauvais choix conduisant les hommes (et les divinités), une approche morale, de l'art de gouverner et une spiritualité, doivent apparaitre derrière les cruautés et les éclats fantastiques. A suivre et version à relire. J'attends avec impatience la version de cette enfant, devenue femme, sur le Ramayana vue par Sita, la déesse, l'épopée par les yeux d'une femme, actuellement non traduite.

samedi 18 octobre 2014

Lotte fille pirate

Un album grand format très coloré, une enfant blonde sur ce vert d'une forêt luxuriante. "Lotte fille pirate" de Sandrine BONINI et illustré par Audrey SPIRY présente la spontanéité de l'enfance, son émerveillement.

© Sandrine BONINI et Audrey SPIRY/ Sarbacane

Lotte est une pirate, oui môme et oui une fille. Elle vit dans une cabane au bord de l'eau, faite de bois et de tissus, dans laquelle elle accumule de petits trésors. Elle aime s'aventurer, découvrir, jouer. Elle se fait des amis des animaux de la jungle et vit avec son compagnon fidèle un toucan, Igor.
Elle est pétillante et indépendante. Quoique... Des voisins vont aménager à la ferme, son père lui a dit. Lotte n'est pas aussi autonome que dans ses rêves mais, cette fois, c'est pour de vrai, la vie dans la cabane.

© Sandrine BONINI et Audrey SPIRY/ Sarbacane

Lotte est une petite héroïne magnifique: espiègle, un peu délurée, elle rêve les yeux ouverts. Entre les lignes apparaissent les parents, leur culture (Stravinsky) et une idée du pays. Un environnement peuplé de faune et flore luxuriante où la solitude de la fillette est complète.
Mais elle va devoir faire avec les autres, renoncer en partie à ses rêves, à moins qu'elle les partage.

Les couleurs des dessins d'Audrey SPIRY sont extrêmement saturées. Lotte a la peau blanche et les nuances des pays chauds. Le soleil est là et l'enchevêtrement végétal aussi. L'illustration est aussi fantasque que le monde inventé.

© Sandrine BONINI et Audrey SPIRY/ Sarbacane

Une belle mise en scène de la rêverie, des aventures (sous contrôle) des enfants, de leur besoin de solitude quelque fois et de réconfort souvent.
J'aime les trésors trouvés, les amitiés sauvages rêvées. Il y a un chouilla de Kipling, de Fifi brindacier et de princesse au petits pois dans cette enfant.


jeudi 16 octobre 2014

Premiers atlas


J'aime quand la géographie est incarnée. J'aime que nous puissions la toucher, la savourer, la rêver... à défaut de la parcourir.
J'aime aussi l'idée que les plus petits lecteurs puissent profiter d'elle et de toutes ses richesses. Voici donc un pêle-mêle des premières approches que nous avons chez nous.


"Mon premier Larousse du Monde" est un parfait début. Il présente la Terre dans sa globalité: la proportion d'eau et de terre, les latitudes et longitudes, les distances. Puis les différents biotopes possibles, les indices géologiques.
Après une planisphère colorée, ce sont les continents qui défilent, découpages politiques et drapeaux, et avec eux une double page pour des pays caractéristiques. La faune, la flore, les productions, les us, coutumes et légendes.
Une partie très intéressante est aussi celle consacrée aux pays producteurs: de café, de chocolat, le bois de construction, le coton etc...
Vous voyez sur la photo l'Inde avec son tea-time, les éléphants.


"Mon premier atlas à reconstituer" édition Auzou amène ce qui me parait essentiel aussi: la manipulation. Il s'agit d'un puzzle de pièces aimantées, à la forme des pays.
Avec son petit livret associé, une double page est proposée par pays ou ensemble de pays. Une face avec la géographie et l'autre avec des informations administratives et politiques. La photo montre le sous-continent indien.


"Tour du monde de Mouk à vélo et en gommettes" de Marc BOUTAVANT est lui essentiellement ludique. En suivant Mouk, un ours globe-trotteur, l'enfant découvre double page à l'appui un endroit du globe exotique. La part belle est faite aux cultures, saveurs et langues du pays. Les gommettes repositionnables sont aussi un plus. Sur la photo pêle-mêle, l'Inde est à l'honneur aussi. Celle juste au dessus nous amène dans le Sahara.

Parce que, oui, nous avons déjà abordé ce pays ici et ou d'une autre manière la Grande Bretagne ou l'Afrique noire avec un autre livre, "Cartes, voyage parmi mille curiosités et merveilles du monde" d'Aleksandra MIZIELINSKA et Daniel MIZIELINSKI dont je parle là .
De la géographie incarnée, quoi!

   

mercredi 15 octobre 2014

"Bien, où en êtes-vous avec l'Effacement?" - L'étrange vie de Nobody Owens




"Bod avait espéré qu'il ne lui poserait pas cette question.

- Pas mal, dit-il. Enfin. Vous voyez, quoi.
- Non, maître Owens. Je ne vois pas. Faites-moi donc une petite demonstration.
Bod se sentit accablé. Il inspira un grand coup et fit de son mieux, les yeux mi-clos, pour essayer de disparaitre.
Mr Pennyworth ne fut pas ravi de sa prestation.
- Nul. Vous n'y êtes pas. Vous n'y êtes pas du tout. Flotter et s'effacer, mon garçon, ainsi que font les morts. Flotter entre les ombres. S'effacer de la conscience. Essayez encore.
Bod essaya plus fort.
- On vous voit comme le nez au milieu de la figure, s'énerva Mr Pennyworth. Et votre nez est particulièrement visible. Tout comme le reste de votre visage, jeune homme. Tout comme vous. Au nom de tous les saints, videz votre esprit. Maintenant. Vous êtes un chemin désert. Vous êtes une porte ouverte sur le néant. Vous n'êtes rien. Les yeux ne vous voient pas. Les âmes ne vous perçoivent pas. Là où vous êtes, il n'y a rien ni personne.
Bod fit encore un effort. Il ferma les yeux et s'imagina disparaîre dans la maçonnerie tachée du mur du mausolée, devenir une ombre dans la nuit et rien de plus. Il éternua.
- Lamentable, soupira Mr Pennyworth. Absolument lamentable."

(extrait de "L'étrange vie de Nobody Owens" de Neil GAIMAN, illustration de Dave McKEAN pour le livre)

mardi 14 octobre 2014

Une histoire de la vie

Ce pourrait être juste un livre de cours, un très long exposé de science et vie. Ce serait ne pas faire honneur à ce livre de Gilles MACAGNO, "Une histoire de la vie, 4 milliards d'années".

© Gilles MACAGNO/ Ellipses

Tout simplement parce que le contenu est passionnant! Il s'agit bien d'un propos très scientifique mais le tout est donné avec énormément d'humour, textes et dessins de cet auteur/illustrateur.

© Gilles MACAGNO/ Ellipses
 
Quand est-ce que la vie est née sur Terre? Tout est là. En partant des périodes géologiques et de la dispositions des continents sur la planisphère, l'auteur (ancien professeur de sciences naturelles au lycée) nous décrit les évolutions importantes.

 © Gilles MACAGNO/ Ellipses

Les premières cellules, LUCA, les microbes, les premiers animaux au corps mou, puis les carapaçonnés et les cordés (vertébrés).
Les plantes et les arthropodes hors de l'eau puis l'apparition des poumons et des pattes.
La fécondation perfectionnée, pour les végétaux avec le pollen, la graine ou la fleur, pour les animaux avec l'apparition de l’œuf à la coquille dure, du lait.
L'invasion des airs par les arthropodes puis les autres.

Le livre peut être lu en passant certains chapitres plus pointus sur la biochimie, molécules, ADN, génétique etc. L'auteur propose aussi les différentes hypothèses scientifiques sans prendre partie: sur la disparition des dinosaures par exemple.

© Gilles MACAGNO/ Ellipses

Mais la présence des dessins d'anatomie, de schémas, les encarts sur la respiration, la cellule, la patte etc... sont ici porteurs de sens même pour les plus jeunes. Ainsi que l'échelle des temps et des apparitions révélatrices.

© Gilles MACAGNO/ Ellipses



mercredi 8 octobre 2014

Un grand pot de pommade - Fifi princesse


"Malheureusement, il n'y avait pas de marchand de piano en vue. En revanche, en passant devant une parfumerie, les enfants aperçurent dans la devanture un grand pot de pommade et, à côté, une pancarte qui disait: "Souffrez-vous de vos taches de rousseur?
- Qu'est-ce qu'ils disent? demanda Fifi qui ne savait pas très bien lire, puisqu'elle ne voulait pas aller à l'école, comme les autres enfants.
- Il est écrit: "Souffrez-vous de vos taches de rousseur?"
- Voyons, voyons, répéta Fifi, pensive. Une question aimable mérite une réponse aimable. Allez, on entre.
Fifi poussa la porte du magasin avec Tommy et Anika sur ses talons. Une dame d'un certain âge se tenait derrière le comptoir. Fifi alla droit vers elle.
- Non, dit-elle d'un ton ferme.
- Pardon? répondit la dame.
- Non, répéta Fifi.
- Je ne comprends pas...
- Non, je ne souffre pas de mes taches de rousseur!
La dame comprit alors. Elle jeta un coup d'oeil à Fifi et s'écria:
- Mais, ma petite, tu en es couverte!
- Bien sûr. Mais je n'en souffre pas. Je les adore! Allez, salut!
Au moment de sortir, Fifi se retourna et cria:
- Si jamais vous avez une pommade qui fait pousser les taches de rousseur, vous m'en ferez livrer sept ou huit pots!"

(extrait de "Fifi princesse", suite de "Fifi brindacier" d'Astrid LINDGREN; illustration de Stian HOLE extraite de sa série "Garmann" parce que sa petite rouquine m'a tellement plu)

mardi 7 octobre 2014

Professeur Astrocat aux frontières de l'Espace

Un énorme coup de cœur pour ce livre!
J'ai une certaine fascination pour les documentaires destinés aux enfants. Je ne sais pas, cette impression de continuer à apprendre alliée à beaucoup d'illustrations, de comparaisons mais aussi une certaine distance au propos. L'abstrait est explicité avec beaucoup d'images et souvent les informations sont moins noyées dans un jargon scientifique.
Et pourtant je ne suis pas trop attirée par l'espace, en soi. C'est beau, imposant, énigmatique mais presque austère.

© Dominic WALLIMAN et Ben NEWMAN/ Gallimard jeunesse

"Professeur Astrocat aux frontières de l'Espace" du Dr Dominic WALLIMAN et illustré par Ben NEWMAN est un ovni! Le parti-pris des illustrations très stylisées pourrait être décontenant. Et pourtant non.
Le professeur chat Astrocat passe d'une page à l'autre avec d'autres animaux spectateurs, élèves. Il nous présente simplement Univers, galaxies, système solaire, les étoiles dont le soleil, les planètes et leurs lunes.

© Dominic WALLIMAN et Ben NEWMAN/ Gallimard jeunesse

Il indique les moyens humains (satellites, fusées, télescopes) mis en place pour comprendre et apprendre toutes ces données. Et décrypte les avancées, puis les futurs, les voyages dans l'espace, la vie extra-terrestre.
Les informations sont claires mais complètes pour de jeunes lecteurs. Le propos du physicien est très accessible grâce aux comparaisons (gravité comme une corde ou un élastique, la vie comme le choix d'une Boucle d'Or, une matière si lourde qu'un morceau d'elle grand comme un sucre est aussi lourd que l'Everest etc...).

© Dominic WALLIMAN et Ben NEWMAN/ Gallimard jeunesse

Le coté scientifique est accompagné par de la poésie et de l'aventure, les ciels de nuit mais aussi des pêches aux diamants, la tornade de Jupiter, des Titan(iens) respirant et nageant dans leurs pets...

© Dominic WALLIMAN et Ben NEWMAN/ Gallimard jeunesse

Les illustrations, stylées années 60, sont assez géométriques. Les couleurs passées et le grain du papier apportent aussi ce côté rétro. Mais ce chat astronaute et son compagnon souris apportent une dose de décontraction et d'humour.
Un duo contenu et contenant parfait!


vendredi 3 octobre 2014

Pilules bleues


© Frédérik PEETERS/ Atrabile

Une bande dessinée comme une confession. Un pendant de vie croqué pour l'auteur lui-même presque plus que pour les lecteurs. Et puis non, il y a aussi ce magnifique message qui nous atteint. "Pilules bleues" de Frédérik PEETERS est l'histoire autobiographique d'un amour naissant. Le croisement amoureux de notre narrateur et d'une femme pâle et frêle mais si intense qu'est Caty.
Ils se côtoient un peu, se perdent de vue, se revoient. Elle aimante l'esprit du jeune homme et un jour la petite musique de l'amour commence. Douce, tranquille, sans accroc. Ou presque.
Parce qu'ils veulent du sérieux, elle dévoile sa face noire, la maladie: elle est séropositive comme son fils de 4 ans.

© Frédérik PEETERS/ Atrabile

Ce sont tous ses sentiments à lui qui arrivent par soubresauts... des demi-secondes incluant tous les extrêmes, possession, pitié, fuite, passion, désir, punition, rejet, tristesse, abus; de bonnes doses de courage, d'admiration aussi. Leur amour physique est sous la pesante contrainte de la transmission possible, cette camisole. La bande dessinée présente l'intimité d'une union, d'une compréhension, d'un besoin de soutien. Elle marque son temps aussi dans les interactions aux autres, à la famille, aux amis.
La maladie reste toujours effrayante avec ce traitement, ces pilules bleues, ces inspections personnelles de toutes les plaies, ces passages à l'hôpital du petit garçon. Mais elle y gagne un visage, un avenir; surtout depuis la réédition de cette BD dix ans plus tard avec un "épilogue" sur la vie qui continue des protagonistes. Elle dépeint aussi une énorme bulle de compréhension de la part du médecin.
Un rhinocéros n'est pas souvent rencontré dans la rue, un mammouth l'est beaucoup plus dans les réflexions existentielles de l'auteur. Ce côté fantastique ne déstabilise pas et donne à penser aussi à nous lecteurs. Puis Caty est dévoilée dans ce qu'elle croit être sa culpabilité, puis son courage, sa force, son enthousiasme.

Ce récit est bouleversant de sincérité, d'amour et aussi de fraicheur. La spontanéité des sentiments et ce défi sur la vie est un message salvateur, pour eux... et pour nous.

Des fois je me dis que nous avons une bibliothèque jeunesse familiale aussi pourvue qu'une librairie!

État des lieux des dernières semaines:


Des classiques demandés à corps et à cri par le lutin pour les histoires du soir:
- La Comtesse de SEGUR reviendra en force avec la suite de la trilogie commencée par "Les malheurs de Sophie", côté filles encore avec "Les petites filles modèles"... "Les vacances" seront pour plus tard.
- "Fifi princesse" et "Fifi à couricoura" d'Astrid LINDGREN parce que la petite rouquine à tresses fait des siennes en ce moment le soir et, qu'après le thé pris dans la maison de ses amis, c'est bientôt la fin du premier volume.
- "Le Petit Nicolas" de Jean-Jacques SEMPE et René GOSCINNY regroupant les trois premiers volumes d'anecdotes ("Le Petit Nicolas", "Les récrés du Petit Nicolas" et "Les vacances du Petit Nicolas")
Bon, à y regarder de plus près c'est flagrant: il s'agit d'histoires de bêtises d'enfants, de malices, de caprices, de petites sauvageries...
Et puis, mon choix se porte aussi sur les anciennes versions. Pas du tout de référence au film ou au dessin animé avec une nouvelle tête de Nicolas, je suis fidèle à celle de SEMPE... bah oui parce que. Les illustrations de mon livre laissé ailleurs pour Sophie. Quand à Fifi, il s'agit de la traduction la plus fidèle. Quand aux illustrations, d'autres auraient pu me tenter comme la très particulière de Philip GIORDANO.

Deux petits documentaires:
- "Que se passe-t-il dans le monde au temps de la construction des pyramides" de Thierry DELAHAYE et Benjamin BACHELIER
- "Professeur Astrocat aux frontières de l'espace" de Dominic WALLIMAN, et illustré par Ben NEWMAN, j'en parle là

Et puis parce qu'un album de Mélanie RUTTEN ne se refuse jamais: "La source des jours" ou le début de "L'ombre de chacun"... dont je ne vous ai pas encore parlé (mais que fais-je donc?)

D'accord! - Pilules bleues


"- Lui et moi nous n'avons plus droit ni à l'exception, ni à l'insouciance... C'est terrible pour un enfant, non?!
- Tu exagères... il a l'air bien j'trouve...
- Mm... Pour le moment... mais s'il réagit mal? Si sa croissance en souffre? ... S'il gonfle?...
- Conneries!... Conneries conneries conneries... la seule chose à faire c'est d'être heureuse... et de le rendre heureux!...
- D'accord!...
- Quoi? 
De toutes les fois où j'ai pu aimer, je n'ai jamais ressenti de réelle admiration.
- Je suis d'accord... je vais essayer!...
Je ne parle surtout pas de fascination, ou de vénération, mais de cette admiration qui inspire le respect... comme quand quelqu'un accomplit quelque chose dont on reconnait, avec une moue de la bouche et un hochement de tête, qu'on en serait soi-même incapable... [...] de cette admiration qui donne de la joie et l'envie d'offrir son aide..."

(extrait de "Pilules bleues" de Frédérik PEETERS, Atrabile; j'en parle là)