mardi 22 avril 2014

Un jour, avec un regard fier: "Je ne t'ai jamais fait honte" - La place



" Des vaches du matin à celles du soir, le crachin d'octobre, les rasières de pommes qu'on bascule au pressoir, la fiente des poulaillers ramassées à larges pelles, avoir chaud et soif. Mais aussi la galette des rois, l'almanach Vermot, les châtaignes grillées, Mardi gras t'en va pas nous ferons des crêpes, le cidre bouché et les grenouilles pétées avec une paille. Ce serait facile de faire quelque chose dans ce genre. L'éternel retour des saisons, les joies simples et le silence des champs. Mon père travaillait la terre des autres, il n'en a pas vu la beauté, la splendeur de la Terre-Mère et autres mythes lui ont échappé."

(extrait de "La place" d'Annie ERNAUX, Gallimard)

mercredi 16 avril 2014

Plus loin, sur une pierre plate dans l'eau, gisait un harelde. - Le livre d'un été


"- Mais c'est le printemps! dit Sophie. Ils ne meurent pas maintenant, ils sont tout nouveaux et viennent à peine de se marier, c'est toi-même qui l'as dit.
- Certes, dit la grand-mère, mais cela n'empêche pas qu'il vient de mourir.
- Comment est-il mort alors? hurla Sophie.
Elle était très en colère.
- D'amour inconsolable, expliqua sa grand-mère. Il a chanté et "gaglé" toute la nuit pour sa cane, mais un autre est arrivé et la lui a volée, alors il a plongé la tête sous l'eau et s'est laissé emporter par le courant.
- Ce n'est pas vrai, cria Sophie, et elle se mit à pleurer. Les hareldes ne peuvent pas se noyer. Raconte comme il faut.
Alors la grand-mère raconta qu'il s'était tout simplement heurté la tête contre un rocher, il chantait et "gaglait" si fort qu'il ne regardait pas où il allait et cela lui était arrivé juste au moment où il était le plus heureux.
- C'est mieux, dit Sophie. On devrait peut-être l'enterrer?
- C'est inutile, répondit la grand-mère. A la marée haute, il s'enterrera lui-même. Les oiseaux de mer doivent être enterrés comme les marins."

(extrait de "Le livre d'un été" de Tove JANSSON, Albin Michel, Livre de poche; source du timbre de Harelde kakawi)

dimanche 13 avril 2014

Ulysse

Encore une énième version de l'Odyssée d'Ulysse me direz-vous? Oui, une version que nous devons tout de même à Christine PALLUY proposant de belles petites ouvertures sur les histoires tentaculaires de la mythologie grecque. "Ulysse" illustré par Benjamin ADAM est une bande dessinée destinée aux jeunes lecteurs. Autant les petits albums que nous pouvons maintenant retrouvés dans la collection "coffret à histoires" sont à lire à partir de 5 ans, autant là, le format est destiné à être lu et non seulement écouté.

© Christine PALLUY et Benjamin ADAM/ Milan jeunesse

Ulysse, roi d'Ithaque, par sa ruse, va mettre fin à la Guerre de Troie et souhaite rentrer chez lui retrouver sa famille. Mais il s'est mis bon nombre de dieux à dos et son retour va être semé d'embûches.
Tout le retour est présenté mais seuls certains épisodes sont mis en scènes, les autres sont juste résumés. Nous retrouvons ainsi les monstres Polyphème, Charybde et Scylla, les sirènes et les femmes tentarices Circé, Nausicaa et Capylso.

© Christine PALLUY et Benjamin ADAM/ Milan jeunesse

Le récit est court et permettra aux plus jeunes de mieux suivre. Les très beaux partis-pris sont les titres de chapitres avec les différents personnages importants en médaillon ainsi que le discours de certains intervenants en voix off pendant l'action très bien mis en avant avec juste leur tête.

© Christine PALLUY et Benjamin ADAM/ Milan jeunesse

Benjamin ADAM propose une bande dessinée très belle dans les principales actions et symboliques dès que les dieux s'en mêlent. J'aime beaucoup aussi son choix de couleurs.

© Christine PALLUY et Benjamin ADAM/ Milan jeunesse

Je suis ravie de ce format souple, petit et au prix tout doux. Un seul bémol, les écritures sont quelque fois difficiles à lire car toutes petites et les personnages sont aussi peu identifiables. Et pourtant ce n'est pas la faut de l'illustrateur.

lundi 7 avril 2014

Cette nuit, je l'ai vue

Sur fond de seconde guerre mondiale, Drago JANCAR nous présente la Yougoslavie en prise avec les rapports de force, le multi-culturalisme et la vie malgré tout. "Cette nuit, je l'ai vue" est aussi, avant tout, son histoire à elle, Veronika.


Stevan, lieutenant dans l'armée yougoslave, a vu son fantôme en cet été 1945. Cela fait 8 ans qu'il n'a plus de nouvelles, qu'elle est partie de leur appartement pour rejoindre son mari. Il l'avait rencontrée pour lui donner des cours d'équitation. Ils s'étaient disputés sur l'emploi des chevaux à la guerre puis s'étaient aimés.
Veronika est une jeune femme bourgeoise, mariée à un riche homme, Léo Zarnik, qu'elle aime. Mais rien ne la retient: sur un coup de tête elle peut partir voir la mer, apprivoiser un animal de compagnie extraordinaire ou apprendre à piloter un avion. Elle peut aussi en aimer un autre et ne trouver rien à redire. Elle a disparu une nuit avec son mari. Qu'est-elle devenue? Stevan l'imagine dans ce magnifique château que son mari avait acheté quand elle l'avait rejoint lui l'amant. Elle était repartie vers une vie plus conventionnelle, vers Léo, attirée par cet environnement de vallons et de balades equestres. Il l'espère vivante, sortie des tumultes de la guerre grâce aux ressources du mari. Mais elle a disparu sans rien dire... quatre autres proches se posent la question.
Josipina, la mère de Veronika, espère que sa fille a passé la frontière. Elle l'attend à la fenêtre, Veronika va tourner à l'angle de la rue et lui dire que tout va bien. Horst Hubermayer, le médecin militaire allemand, se souvient lui aussi. Comment oublier cette femme, cette beauté et le temps entre parenthèse qu'offrait le couple dans ce temps de guerre.
Et puis il y a les gens du personnel, la gouvernante et un aide palefrenier, homme à tout faire. Le regard est différent, c'est aussi un rapport de classe, de décence, de forces aussi.

A travers les confidences des uns et des autres, la personnalité de cette femme apparait dans sa fragilité et son charisme. L'amoureuse, la désinvolte, la bourgeoise, l'entêtée, la fantasque, la magnifique. Veronika cristallise les passions, le repos en tant de guerre et les angoisses. A travers les souvenirs d'elle, elle apparait encore plus mystérieuse, en prise avec des aspirations de femme mais plus encore de liberté.
"Le jour où je finis ma peine, je la trouvai en larmes. Je pensai qu'elle était touchée par la "dert", la dert était ce sentiment triste qui se dégageait de cette comédie musicale, Kostana, l'aspiration à la vie de la femme enfermée. Mais ce n'était pas ça."
Le livre est une avancée vers le malaise. Le deuil d'un amour est bien le moindre mal. C'est le sentiment de trouble en période de guerre, la disparition, le manque, l'absence et le récit d'une culpabilité. Pour les uns, Veronika est le symbole d'une liberté de pensée, d'une bulle d'oxygène même si sa propre liberté était réduite. Elle ne se donnait pas de frontière. Est-ce qu'ils ont fait défaut, ne l'ont-ils pas soutenue?
La violence apparait aussi sous un autre jour. Elle n'est pas réservée au front, en temps de guerre, elle est insidieuse et peut entrainer des quiproquos, des envies. A travers Veronika, c'est l'histoire d'une cassure, d'une envolée des tensions au sein d'un peuple au multi-culturalisme.

Un indice? Ici... puis d'autres très bons avis ici et .

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