Sur fond de seconde guerre mondiale, Drago JANCAR nous présente la Yougoslavie en prise avec les rapports de force, le multi-culturalisme et la vie malgré tout. "Cette nuit, je l'ai vue" est aussi, avant tout, son histoire à elle, Veronika.
Stevan, lieutenant dans l'armée yougoslave, a vu son fantôme en cet été 1945. Cela fait 8 ans qu'il n'a plus de nouvelles, qu'elle est partie de leur appartement pour rejoindre son mari. Il l'avait rencontrée pour lui donner des cours d'équitation. Ils s'étaient disputés sur l'emploi des chevaux à la guerre puis s'étaient aimés.
Veronika est une jeune femme bourgeoise, mariée à un riche homme, Léo Zarnik, qu'elle aime. Mais rien ne la retient: sur un coup de tête elle peut partir voir la mer, apprivoiser un animal de compagnie extraordinaire ou apprendre à piloter un avion. Elle peut aussi en aimer un autre et ne trouver rien à redire. Elle a disparu une nuit avec son mari. Qu'est-elle devenue? Stevan l'imagine dans ce magnifique château que son mari avait acheté quand elle l'avait rejoint lui l'amant. Elle était repartie vers une vie plus conventionnelle, vers Léo, attirée par cet environnement de vallons et de balades equestres. Il l'espère vivante, sortie des tumultes de la guerre grâce aux ressources du mari. Mais elle a disparu sans rien dire... quatre autres proches se posent la question.
Josipina, la mère de Veronika, espère que sa fille a passé la frontière. Elle l'attend à la fenêtre, Veronika va tourner à l'angle de la rue et lui dire que tout va bien. Horst Hubermayer, le médecin militaire allemand, se souvient lui aussi. Comment oublier cette femme, cette beauté et le temps entre parenthèse qu'offrait le couple dans ce temps de guerre.
Et puis il y a les gens du personnel, la gouvernante et un aide palefrenier, homme à tout faire. Le regard est différent, c'est aussi un rapport de classe, de décence, de forces aussi.
A travers les confidences des uns et des autres, la personnalité de cette femme apparait dans sa fragilité et son charisme. L'amoureuse, la désinvolte, la bourgeoise, l'entêtée, la fantasque, la magnifique. Veronika cristallise les passions, le repos en tant de guerre et les angoisses. A travers les souvenirs d'elle, elle apparait encore plus mystérieuse, en prise avec des aspirations de femme mais plus encore de liberté.
"Le jour où je finis ma peine, je la trouvai en larmes. Je pensai qu'elle était touchée par la "dert", la dert était ce sentiment triste qui se dégageait de cette comédie musicale, Kostana, l'aspiration à la vie de la femme enfermée. Mais ce n'était pas ça."
Le livre est une avancée vers le malaise. Le deuil d'un amour est bien le moindre mal. C'est le sentiment de trouble en période de guerre, la disparition, le manque, l'absence et le récit d'une culpabilité. Pour les uns, Veronika est le symbole d'une liberté de pensée, d'une bulle d'oxygène même si sa propre liberté était réduite. Elle ne se donnait pas de frontière. Est-ce qu'ils ont fait défaut, ne l'ont-ils pas soutenue?
La
violence apparait aussi sous un autre jour. Elle n'est pas réservée au front, en temps de guerre, elle est insidieuse et peut entrainer des quiproquos, des envies. A travers Veronika, c'est
l'histoire d'une cassure, d'une envolée des tensions au sein d'un peuple au multi-culturalisme.
Un indice?
Ici... puis d'autres très bons avis
ici et
là.