"Cette trahison inacceptable, un uppercut ricanant et elle aimerait bien les trancher, ces trucs - elle ne prononce pas le mot seins -, cette reddition qui la précipite vers les autres : les filles du lycée. Auxquelles Dorina a tellement le désir de ressembler aujourd'hui, alors qu'elles étaient d'accord, avant, pour convenir que ces filles sont molles molles molles, du rahat*! On peut s'enfoncer en elles comme dans des coussins confortables. Et aujourd'hui, elle en vomirait, d'être devenue, elle aussi, confortable. Laide. Informe. Elle se manque, oh, oui elle se manque, et ce petit rituel aussi, auquel Nadia s'adonnait jusqu'à l'été dernier, le soir dans son lit: passer sa main sur son ventre tendu par les mâts que formaient les os saillants de ses hanches et, s'endormir alors, rassurée.
Ça progresse. Le Mal la recouvre, lape sa vie passée, doucement. [...]
Et tous ont l'air d'espérer que l'incident soit provisoire, pas cette lèpre qui l'envahit sous leurs yeux. Ils se tiennent à distance, Béla, son père. A la fin de la journée, s'il est satisfait, Béla hisse les fillettes sur son dos et il court dans la gymnase, elles rebondissent en riant, le visage rougi de plaisir. Je ne pourrai plus de toute ma vie être à califourchon sur ses épaules, se dit Nadia en les regardant, peut-être qu'il craint qu'elle ne suinte à travers ses collants, elle aussi a peur que quelque chose ne s'écoule d'elle sans qu'elle n'y puisse rien, elle est fendue, élargie. Sa sueur aussi semble s'être alourdie, le soir, elle renifle ses aisselles, stupéfaite d'y retrouver l'aigreur tenace qui imprègne la blouse de sa mère. Malade. Débraillée de l'intérieur. Béla tapote ses omoplates maladroitement pour l'encourager, il cherche sans doute un espace d'elle qui ne soit pas atteint."
(extrait de "La Petite Communiste qui ne souriait jamais" de Lola LAFON, Babel Actes Sud; photo de rahat*)
*confiserie roumaine (rahat loukoum)