"Une lointaine Arcadie" de Jean-Marie CHEVRIER est un conte sur l'humanité auprès de la nature.
Matthieu perd tout, sa femme, sa librairie, son chien et même les investissements pour sa retraite. Il décide de ne pas en rester là avec cette vie décevante mais d'en changer, de partir, d'aller en décroissance. Il se remémore un personnage familial, oncle Gerbault, ermite presque sauvage qui vivait dans la Creuse. Il fuit dans la masure et l'univers de cet homme. Une fuite mais aussi une reconstruction de l'homme... ou déconstruction pour ne pas "revenir au monde", devenir rien.
Ainsi nous suivons Matthieu vers les origines archaïques de l'homme et dans son labeur de perdre toute son humanité. Le prétexte n'est pas la conscience écologique mais bien le fait de devenir transparent, inutile, inconsistant, sans envie ni passion, juste en survivance.
Il détruit peu à peu sa fonction d'homme, ne souhaite plus à reconnu comme tel et n'accepte que par obligation juste une indication de ce qu'il est, un humain, face à ce voisin suivi à la corde par son fils, aveugle et attardé, Francis. Cela ne lui permet plus d'être intégré aux autres hommes. "Un prénom ne sert qu'à répondre et je n'ai plus à répondre de rien à personne."
Il délaisse ses relations, se ferme à la sensualité et cherche juste à revenir aux intuitions, aux astuces de survie en terrain vierge et naturel. Il ne fait que suivre le cours des jours: des travaux physiques, des promenades sans but dans la montagne, des réaménagements de solidité (et non de confort) pour la maison ou le jardin. Ce n'est pas un retour pour la nature, mais bien une envie de disparaitre, de succomber à la solitude de la nature (et non celle de la ville, des marins). L'humanité fuie est tout de même présente, brutalement éprouvée par "l'imbécilité" de l'enfant attardé et aveugle, Francis, une part d'homme, atrophié physiquement, comme lui le devient mentalement et intellectuellement.
"Cette évocation, dans la candeur passéiste de l'école de Brive, flattait l'imaginaire en faisant fi de l'inconfort, des duretés sournoises et du terrible écho de soi-même pour celui qui vit seul. Cette vie demandait probablement un esprit frustre, sans souci de culture, et s'adressait à un personnage que la guerre avait si malmené dans sa chair que cette rudesse lui paraissait douce parce qu'elle était le fruit d'un ordre naturel du monde."
Oui mais il a beau faire, sa culture littéraire le suit. Celle-là même qui sert de trame à sa décroissance: Virgile, Homère ou Beckett le stimulent, l'entourent, le confortent pour au final lui indiquer le mur.
L'entrée en nature est picturale et culturelle. Bien-sûr les animaux offrent une leçon de chose sur la vie et la mort, les plantes deviennent sources de cours de botanique. Mais la nostalgie de l'enfance, de cette part de ruralité, est devenue aussi intellectualisée, confortée par des lectures d'adolescent (Lodon, Curwood). Et la nature n'est plus, elle a perdu son côté sauvage. Même la compagnie d'une vache, ruminant des campagnes profondes, ne lui apporte qu'un semblant de sens à cette nouvelle (non-)vie. Sa démarche de décroissance découle d'une réflexion philosophique emprunte de toutes les références mythologiques aimées par Matthieu: la génisse est Io, princesse Héra changée en vache par Zeus.
Et puis les femmes reviennent dans ce silence des mots, des sensations humaines. Sonia puis Paule. La pensée de Matthieu s'enlisait, laissant la temporalité s'échapper. Les regrets des douceurs sensuelles sont là mais aussi cette invitation à réinventer un univers, comme si toute cette démarche était une erreur: des sonorités à retrouver, une musique intérieure faite d'improvisations gutturales; puis une sensation tactile, passionnelle.
Un très très beau billet, très argumenté ici, d'autres aussi savoureux ici et là. Ce livre est dans la sélection du prix Landerneau 2011. Merci à Faits&Gestes.
Matthieu perd tout, sa femme, sa librairie, son chien et même les investissements pour sa retraite. Il décide de ne pas en rester là avec cette vie décevante mais d'en changer, de partir, d'aller en décroissance. Il se remémore un personnage familial, oncle Gerbault, ermite presque sauvage qui vivait dans la Creuse. Il fuit dans la masure et l'univers de cet homme. Une fuite mais aussi une reconstruction de l'homme... ou déconstruction pour ne pas "revenir au monde", devenir rien.
Ainsi nous suivons Matthieu vers les origines archaïques de l'homme et dans son labeur de perdre toute son humanité. Le prétexte n'est pas la conscience écologique mais bien le fait de devenir transparent, inutile, inconsistant, sans envie ni passion, juste en survivance.
Il détruit peu à peu sa fonction d'homme, ne souhaite plus à reconnu comme tel et n'accepte que par obligation juste une indication de ce qu'il est, un humain, face à ce voisin suivi à la corde par son fils, aveugle et attardé, Francis. Cela ne lui permet plus d'être intégré aux autres hommes. "Un prénom ne sert qu'à répondre et je n'ai plus à répondre de rien à personne."
Il délaisse ses relations, se ferme à la sensualité et cherche juste à revenir aux intuitions, aux astuces de survie en terrain vierge et naturel. Il ne fait que suivre le cours des jours: des travaux physiques, des promenades sans but dans la montagne, des réaménagements de solidité (et non de confort) pour la maison ou le jardin. Ce n'est pas un retour pour la nature, mais bien une envie de disparaitre, de succomber à la solitude de la nature (et non celle de la ville, des marins). L'humanité fuie est tout de même présente, brutalement éprouvée par "l'imbécilité" de l'enfant attardé et aveugle, Francis, une part d'homme, atrophié physiquement, comme lui le devient mentalement et intellectuellement.
"Cette évocation, dans la candeur passéiste de l'école de Brive, flattait l'imaginaire en faisant fi de l'inconfort, des duretés sournoises et du terrible écho de soi-même pour celui qui vit seul. Cette vie demandait probablement un esprit frustre, sans souci de culture, et s'adressait à un personnage que la guerre avait si malmené dans sa chair que cette rudesse lui paraissait douce parce qu'elle était le fruit d'un ordre naturel du monde."
Oui mais il a beau faire, sa culture littéraire le suit. Celle-là même qui sert de trame à sa décroissance: Virgile, Homère ou Beckett le stimulent, l'entourent, le confortent pour au final lui indiquer le mur.
L'entrée en nature est picturale et culturelle. Bien-sûr les animaux offrent une leçon de chose sur la vie et la mort, les plantes deviennent sources de cours de botanique. Mais la nostalgie de l'enfance, de cette part de ruralité, est devenue aussi intellectualisée, confortée par des lectures d'adolescent (Lodon, Curwood). Et la nature n'est plus, elle a perdu son côté sauvage. Même la compagnie d'une vache, ruminant des campagnes profondes, ne lui apporte qu'un semblant de sens à cette nouvelle (non-)vie. Sa démarche de décroissance découle d'une réflexion philosophique emprunte de toutes les références mythologiques aimées par Matthieu: la génisse est Io, princesse Héra changée en vache par Zeus.
Et puis les femmes reviennent dans ce silence des mots, des sensations humaines. Sonia puis Paule. La pensée de Matthieu s'enlisait, laissant la temporalité s'échapper. Les regrets des douceurs sensuelles sont là mais aussi cette invitation à réinventer un univers, comme si toute cette démarche était une erreur: des sonorités à retrouver, une musique intérieure faite d'improvisations gutturales; puis une sensation tactile, passionnelle.
Un très très beau billet, très argumenté ici, d'autres aussi savoureux ici et là. Ce livre est dans la sélection du prix Landerneau 2011. Merci à Faits&Gestes.