samedi 23 juillet 2016

"La suie des rues" - La maison dans laquelle


" "Quand je parlais de la "suie des rues", qu'est-ce que tu imaginais? Réponds à cette question et je répondrai à la tienne. Tu croyais que j'allais t'emmener à l'Extérieur? Que je m'y baladais le soir, quand j'étais de mauvais poil, et que cette fois, j'avais décidé de te prendre avec moi? Comme ça, tranquille?"
Fumeur attrapa ses cigarettes:
"Ce que je voulais savoir, c'était ce que tu entendais pas la "suie des rues". Qu'est-ce que cette question a de si terrible.
- Ce n'est pas ce que tu as demandé. Ta question était: "On va vraiment dans la rue?"
- Non. J'ai commencé par te demander ce que l'expression signifiait. Mais, admettons, comme tu dis si bien. Pourquoi pinailler autant? Tu avais parfaitement compris ce que je voulais dire!"
Sphinx ébranla de nouveau la corbeille.
"Quand tes questions sont plus stupides que toi, c’est déjà pénible, Fumeur. Mais quand elles sont carrément débiles, c'est insupportable. Elles sont comme le contenu de cette corbeille. Tu n'aimes pas l'odeur qui s'en dégage? Moi, ce qui me débecte, c'est celle qui se dégage des mots vides, des mots morts. Il ne te viendrait jamais à l'idée de me jeter ces mégots au visage, n'est-ce pas? Alors pourquoi ça ne te gêne pas de m'accabler de paroles vides de sens, putrides, sans te demander une seconde si ça m'est agréable ou non? Tu t'en fous complètement en fait."
A ces mots, Fumeur pâlit, et sa cigarette se ramollit entre ses doigts moites.
"Bon sans, je te tape vraiment sur les nerfs... Tu sais, je peux carrément arrêter de te poser des questions, il suffit de le dire.
- Interroge-moi tant que tu veux, mais sur ce que tu ignores." "

(extrait de "La maison dans laquelle" de Mariam PETROSYAN, éditions Monsieur Toussaint Louverture; source photo de Tchernobyl de Gerd Ludwig)

vendredi 8 juillet 2016

Le voyage céleste extatique

© Clément VUILLIER/ 2024

Il s'agit d'un tout petit objet. Pas forcément une bande dessinée d'ailleurs, plutôt un recueil de gravures et ses légendes.
Un petit dialogue entre un initié et un novice. Cosmiel guide Jean dans une découverte d'une autre forme de vérité. Le monde ne serait pas comme il se voit. L'infiniment petit comme l'infiniment grand ne dépendraient pas de la logique connue. Les contractions seraient de mises et le centre ne serait alors que l'immensité. Au centre de la Terre, vessie retournée, il y aurait l'univers, la Lune, le Soleil et Pluton. C'est une remise en question de notre foi dans les sciences vers une ouverture plus cosmique. A bien y relire, je n'ai pas tout saisi, comme s'il s'agissait d'une forme d'initiation métaphysique. Mais est-ce bien nécessaire de tout comprendre?

© Clément VUILLIER/ 2024

Ce serait une version de l’œuvre d'Athanasius Kircher, scientifique jésuite, tournée vers une approche de dieu et de cosmologie. Cet homme est connu aussi pour ses mauvais postulats scientifiques et serait passé à côté de beaucoup de théories.
Les illustrations en noir et blanc sont des paysages de montagnes, de glaciers, de pierres, de vents. Très minéral et lunaire. Vous trouverez une fontaine ou des tuyauteries. Quelques fois des formes géométriques ou bien des mesures. De quoi? Aucune idée. Mais suivre les deux petits personnages en toge dont l'un a les yeux auto-éclairants est un beau parcours dans des perspectives surréalistes.
Le tout donne un exercice de style bien plaisant. De la fantaisie avec un peu de métaphysique.

© Clément VUILLIER/ 2024

Merci aux éditions 2024 et à l'opération Masse critique de Babélio.



Contes du Far West


Il n'est pas tant question de grands espaces, de vent sec, de désert brulant ou de virevoltants mais bien de faux héros. Le Far West de O.HENRY n'est qu'un lieu cristallisant les attentes. Ce sont bien les personnages qui ont le beau rôle.
Un homme veut offrir un Noël aux enfants de sa ville mais sa ville n'en compte aucun. Un autre a fraudé les comptes de sa banque mais pas tant que ça... ou si bien plus. Des amants choisissent l'amour au détriment de la guerre que ce font leur parents. Un altruiste récupère un homme un peu délabré pour le requinquer contre son gré. Un mendiant se retrouve dans la carriole de cow-boys. Un homme souhaite faire le beau pour une belle donzelle. Un autre cow boy aimerait se consacrer à l'art.
Des hommes, pas les plus beaux ni les plus vaillants. Il y a bien un cow boy, un ranchero, un braqueur de banque ou un sherif, ils côtoient leur caricature tout en offrant leur faiblesse. Ils se pourraient être mollassons, ils n'en sont pas moins très humains. La plume d'O.HENRY est belle, sophistiquée même dans la bouche des plus démunis.
O.HENRY est tendre avec les hommes, tendre avec la vie qui pourtant malmène. Il parle de liberté, d'amour, d'amitié par petites bribes en décrivant les moments de vie où l'ironie et la facétie se jouent d'eux, gentillement. Même si la conscience n'est pas toute pure, il est toujours possible de se racheter.
La fin présente toujours un revirement. Oui au fur et à mesure des nouvelles, elle peut être attendue mais elle est si bien amenée que ce serait dommage de s'en priver.

Merci aux éditions Phébus et à l'opération Masse critique de Babelio.
tous les livres sur Babelio.com

dimanche 3 juillet 2016

"Et on se saute dessus. Comme deux chats qui se battent. Jusqu'au sang." - Guadalquivir


"Parce qu'on aurait pu continuer comme ça toute la nuit. Jusqu'au petit matin. A se battre sans fin. Et pas un de nous deux n'aurait abandonné. Parce qu'on le sait maintenant: on est pareils tous les deux. Écorchés l'un et l'autre. Je réalise pourtant que Kenza vient de me sauver la vie. Alors ma main cherche la sienne. Et, comme un signe de paix, nos doigts se mêlent. Et le souffle court, l'un contre l'autre, nos corps se serrent pour se réchauffer. Nos yeux pleurent. De ne pas pouvoir dire ce qu'ils voudraient. Toute la rage qu'on a. Et tout l'amour qu'on a. Tout ce feu, toutes ces flammes qui restent bloqués là, à l'intérieur. Toutes ces braises qui nous déchirent et sur lesquelles on ne peut pas mettre de mots sans saigner. Parce que cette vie fait de nous des animaux, privés de paroles et la bouche pleine de crocs. Des bêtes féroces qui mordent la main qui se tend. Parce qu'on a grandit trop vite avec au milieu de nous un grand vide brûlant. Alors on se serre et on se réchauffe. Et on pleure et on rit. En même temps. Comme le soleil et la pluie."

(extrait de "Guadalquivir" de Stéphane SERVANT, Scripto Gallimard; source photographie Lauren WITHROW)

"Parce qu'une image, même glorieuse, ça ne remplacera jamais un père et l'amour qu'il aurait pu vous donner." - Guadalquivir


"C'est jamais facile de vivre avec celui qui n'est plus là. C'est comme des braises qui brûlent tout au fond (et Béchir pose sa main sur son ventre). Des braises qui réchauffent et qui brûlent à la fois. On ne peut pas les éteindre parce qu'elles sont à l'intérieur de soi. Parce qu'elles font partie de soi. Et c'est comme si elles vous consumaient à chaque instant, à petit feu. Elles vous réveillent la nuit et elles vous font courir à travers le monde, comme un dément. Dans ces moments-là, on ferait n'importe quoi et on donnerait tout pour éteindre la brûlure. Et pourtant, certains soirs, elles vous réchauffent, elles vous rassurent et vous donnent la force d'avancer à travers la nuit. Comme une étoile. Ça devient la plus belle lumière qui soit. Tu vois, Frédéric, c'est pour ça qu'il ne faut pas chercher à éteindre ce feu. Parce qu'il peut devenir ton guide. Alors il faut prendre soin de l'entretenir en faisant toujours attention à ne pas se brûler. C'est le plus difficile. Et je sais que tu peux y arriver."

(extrait de "Guadalquivir" de Stéphane SERVANT, Scripto Gallimard; source photographie "At home" de Saul LEITER)