[...] s'enquiert-il. Non, répond Jens, sans même lever les yeux. Dans ce cas, nous pourrions peut-être chanter? Non. Vous devez bien connaître quelques vers, par exemple de Bjarni, un homme comme vous... Non. Et de Jonas? Non plus. [...] Et bien, dans ce cas, déclare le gamin, je vais me réciter quelques poèmes tout seul, vous me pardonnerez de les dire à haute voix, je préfère, cela me permet de mieux sentir la texture des mots. Et qu'est-ce que cela t'apporte? interroge Jens, réticent, mais son compagnon ne lui répond pas et là, au creux de cette neige et de cette tempête, à côté d'un homme qui n'aime pas les mots, il récite deux poèmes de Jonas, deux autres de Steingrimur, Thorsteinsson, deux encore de Krisjan Fjallaskald, le poète des montagnes, il les récite avec application et Jens ne se fâche pas, il se contente de s'éloigner un peu et de baisser les yeux, comme s'il voulait s'enfuir. Puis, après toutes ces paroles parlant de fleurs, d'amour, de regrets, d'azur et de ténèbres, le gamin entreprend de dire un poème d'Olof fra Hlöoum. Les vieux livres affirment que cela porte malheur de déclamer des strophes composées par une femme alors qu'on est cerné par la tempête. Tu sais que je n'exige nul amour en retour, commence-t-il, il pose sa moufle couverte de glace sur son coeur giflé par la neige et:
"Tu sais que je n'exige nul amour en retour,
Les jeunes le demandent, l'implorent et l'espèrent. -"
[...]
Il n'est pas toujours aisé de supporter la poésie, elle peut entraîner l'être humain dans des directions inattendues. on m'a donné des ailes, mais où donc est l'air pour voler? [...] La poésie vous tue, elle vous donne des ailes, vous les agitez un peu et sentez l'enchantement vous envahir. Elle vous ouvre des mondes nouveaux, puis vous ramène brutalement à la tempête et aux souillures du quotidien."
(extrait de "La tristesse des anges" de Jon Kalman STEFANSSON, édition Folio; source peinture d'Heckel VILEM)
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