jeudi 27 février 2014

Petits romans de Bernard FRIOT pour lecteur débutant

Les lutin commence ses lectures de petits romans. La collection "éclats de rire" de Milan poche cadet répond tout à fait à la demande: une quarantaine de pages écrites en gros et toujours beaucoup d'illustrations. Nous avons succomber aux propositions de Bernard FRIOT, bien-sûr.

© Bernard FRIOT et Aurélie GUILLEREY/ Milan Jeunesse

"Les pieds de Pierre" illustré par Aurélie GUILLEREY est une histoire avec trois fins possibles.
Pierre se lève un jour en découvrant que ses pieds ont grandi. Sa mère est énervé, il exagère, il faut aller le rechausser. Et puis à l'école, les camarades se moquent de lui, avant de découvrir l'horreur: il ne s'est pas déguisé mais a bien des immenses, longs, plats, énormes pieds.
Certains racontent qu'il a grandit de tous ses membres encore et encore, d'autres qu'il a choisi de s'évaporer dans l'océan et il se pourrait même qu'il ai disparu, pfiou, il ne restait de lui que ses pieds.

© Bernard FRIOT et Aurélie GUILLEREY/ Milan Jeunesse

L'(es) histoire(s) recèle(nt) des finesses. Oui Bernard FRIOT joue avec des situations burlesques mais aussi avec les émotions, la honte, la solitude.
Le sentiment de trouver sa place est au cœur du livre. Il y a ainsi plusieurs fins possibles, des heureuses, des solitaires, des remarquées, des mystérieuses mais aussi des drôles ou tragiques. Jusqu’à ce que l'on ne s'intéresse plus à ce qu'il est devenu.
Tout n'est pas forcément doucereux. C'est aussi cela que j'aime chez cet auteur. il reprend des thèmes qui peuvent embarquer les enfants mais ne laisse pas de côté la réflexion. Est-si drôle?

© Bernard FRIOT et Aurélie GUILLEREY/ Milan Jeunesse

Les illustrations d'Aurélie GUILLEREY apportent une poésie de plus, des ambiances et paradoxalement des visages expressifs.

***
"Tomaso et les trois ogresses" illustré par Eric GASTE est une histoire qui fait peur. Cela commence comme un conte de fée.
© Bernard FRIOT et Eric GASTE/ Milan Jeunesse

"Il était trois fois une ogresse très laide et très cruelle.
Non, reprenons.
Il était une fois trois ogresses très laides et très cruelles."
"Rassurez-vous: ces horreurs appartiennent au passé. Cela fait des années et des années que Sislafa, Chouignagna et Tricatra n'ont pas goûté à la chair fraîche d'un bambin bien nourri. Eh oui, les enfants d'aujourd'hui ne s'égarent plus dans la forêt."
Enfin c'est sans compter sur Tomaso, un garçon vif, aventureux. Il n'arrive même pas à rester en place dans sa chambre, dans l'appartement, il veut voir dehors. Et bien-sûr avec leur chanson pour ensorceler les enfants, il est vite pris au piège. Les ogresses, mises au régime sans bambin depuis si longtemps, s'en remettent à la recette maternelle. Avec des carottes, des choux ou des navets? Elles ont oublié. Reste le livre de cuisine... mais elles ne savent pas lire.
"Et le repas fini, elles rotent à répétition et pleurent à chaudes larmes."

© Bernard FRIOT et Eric GASTE/ Milan Jeunesse

L'histoire de Bernard FRIOT est truculente. N'est pas piégé qui semble l'être. Alors oui, elles mangent, se goinfrent. Mais Tomaso est courageux et astucieux. Et la relève n'est pas celle que l'on croit.
Une petite merveille!

© Bernard FRIOT et Eric GASTE/ Milan Jeunesse

Les illustrations d'Eric GASTE jouent sur le rire plus que sur la peur et elles sont vraiment moches les trois soeurs.

 

mercredi 26 février 2014

Les chevaliers de la Table Ronde

Je n'avais encore jamais lu d'adaptation de la légende des chevaliers de la Table Ronde (même les écrits originaux d'ailleurs). Le parti-pris des "Chevaliers de la Table Ronde" d'Anne JONAS et illustré par Vincent DUTRAIT est de suivre deux personnages.

© Anne JONAS et Vincent DUTRAIT/ Milan Jeunesse
Merlin l'enchanteur nait presque comme une bête humaine, poilue et dés la naissance possesseur de dons fabuleux. Il grandit en aidant un royaume, confisque un enfant et met sur le trône un Arthur capable de sortir Excalibur l'épée de son fourreau de pierre. Puis il introduit une nouvelle forme de chevalerie, de fidélité au Roi mais aussi de quêtes dignes en créant la Table Ronde. Mais cet être plein de mystères laisse le Roi Arthur et ses chevaliers pour succomber à son amour pour la Dame du Lac, Vivianne.

© Anne JONAS et Vincent DUTRAIT/ Milan Jeunesse

Apparait à la cour un jeune homme, Perceval. Il veut être chevalier mais loin d'attendre le consentement du roi, il suit son éthique. Par ses péripéties, il montre à quel point il ferait un chevalier de la Table Ronde pertinent.

© Anne JONAS et Vincent DUTRAIT/ Milan Jeunesse

Au fil des pages, ce sont bien deux personnages emblématiques qui apportent de la tenue au récit. Les thèmes chers à cette légende apparaissent: la chevalerie et ses principes, les rapports de classes, les duels, les tournois et le mystère de la magie et de la sorcellerie.
Quelques amoures sont vite présentées mais plus encore le réel intérêt semble ces objets magiques, comme la coupe du Saint Graal.
Et cette table si mythique prend de la dimension. Elle n'est pas un immense rectangle où chacun est assis de manière très précise et selon sa classe. "Elle pourrait, selon les circonstances, accueillir douze, cinquante ou même cent cinquante chevaliers, pourvu qu'ils comptent parmi les plus braves. Un seul siège, placé à la droite du roi, resterait vide tant que ne se serait pas fait connaitre le meilleur chevalier du royaume. Si un autre que lui usurpait cette place, il serait aussitôt englouti par la terre et ne reverrait jamais le jour."

© Anne JONAS et Vincent DUTRAIT/ Milan Jeunesse

Vincent DUTRAIT apporte des illustrations classiques où les hommes peuvent montrer leur férocité. Les atours des chevaliers ainsi que les brumes et poussières sont magnifiques.

C'est ainsi une belle première ouverture sur cette légende comme on pouvait s'y attendre des éditions Milan jeunesse.

 

mercredi 12 février 2014

Dans l'or du temps

J'avais beaucoup apprécié "Une part de ciel" de Claudie GALLAY. Je savais ainsi qu'en entrant dans cet autre roman j'y trouverais de la nuance dans les rapports humains. "Dans l'or du temps" offre une merveille de relation entre un homme et une vieille femme.


Le narrateur, un homme taciturne, mari et père de deux jumelles de 7 ans, est au bord de la mer, dans la maison de vacances. En rentrant de faire des courses pour le gâteau, il aide une vieille femme chargée à porter quelques kilos de poires jusqu'à chez elle. Est-il plus aimable? Plus lent à repartir? Plus curieux? Moins bavard? Alice, la vieille femme, le choisit pour donner du temps au temps.
Entre eux beaucoup de silences. Entre eux beaucoup de tensions, de malaises. Mais il ne semble pas savoir quoi faire de sa vie et la vue de poupées rituels indiennes, les kachinas hopi, va être le premier fil pour se parler. Enfin pour qu'elle parle.
Qu'elle dévoile une ethnie, les hopi, à travers de grands personnages culturels et artistiques. Une découverte interne de leur mystère, de cette spiritualité importante. Mais plus encore qu'elle parle d'elle sans presque rien dire. Clémence, sa soeur, muette par choix est comme une ombre dans ses visites de l'homme. La propre famille de ce dernier semble être une charge temporaire. Alice et le narrateur ont besoin de temps, de créer un lien, de passer le témoin, de ne pas mourir dans le regard de l'autre.

Je dois dire que j'ai été un peu moins attirée par les passages de journaux intimes ou de vies avec les hopis. Mais le retour dans la maison d'Alice sont magnifiques.

"J'ai repris un croquant. C'était trop compliqué comme rencontre. J'ai regardé par la fenêtre. Il ne pleuvait presque plus.
Je me suis levé.
- Je dois partir.
Elle n'a pas bougé. J'ai cru qu'elle ne m'avait pas entendu. Ou pas compris.
J'ai replacé ma chaise, ma tasse sur le plateau. Je suis allé jusqu'à la porte.
- Vous vous attendiez à quoi? elle a dit brusquement.
Je me suis retourné. Elle était assise, les deux mains en coupe autour de sa tasse. Elle me regardait.
- Vous vous attendiez à quoi, hein? Que l'on parle des heures, comme si on se connaissait de toujours? Mais vous ne savez rien des rencontres...
Elle a fait une grimace.
- Vous n'avez même pas fini votre thé.
C'était vrai. La tasse à demi vide. Le liquide légèrement verdâtre. La cuillère à côté.
- Je n'aime pas le thé.
Le livre, sur la table. Il était resté ouvert.
- Je n'aime pas Opalka non plus.
- Qui vous demande d'aimer?... Contentez-vous d'être là. A ce que vous faites. Ce serait déjà un progrès, vous ne croyez pas?
- Je suis en vacances.
- Et alors?
Sa voix, soudainement désagréable. Je n'avais plus envie de l'entendre."


*source magnifique photo Farshad

Alice veut offrir sa parole et cherche par tous les moyens à croire que cet homme sera le bon. Enfin a-t-elle le choix? Les lucioles sont éphémères et ne choisissent pas d'être mangées par les crapauds, le tout est de continuer à briller encore un peu, même en transparence dans leur ventre.

"Vous savez ce que font ces mygales monstrueuses que l'on trouve dans certains pays? Elles injectent un liquide à l'intérieur de leur proie et ce liquide transforme la chair en bouillie dont elles peuvent alors se nourrir.
Elle s'est essuyée les mains sur le devant de son pantalon.
- Vous me faites penser à cela, vous prenez. Vous ne donnez rien... Je ne sais pas ce que vous faites là. Ça vous intéresse donc tant que ça, cette histoire? ... Breton, les kachinas. Je le vois bien, quand j'en parle, votre regard change.
Elle m'a regardé. Violemment"

Et l'homme va enfin faire des choix, prendre position, s'émouvoir... Alice est tellement têtue.

Le très bel avis de Lily et celui de Mirontaine contribueront à vous donner envie de cet échange initiatique.

lundi 10 février 2014

La chimère

"Mais surtout, magique entre toutes, une extraordinaire chimère composite (le catalogue disait: oiseau mammifère insecte). La chimère avait trois paires d'ailes de papillon différentes, des pattes et une tête volées au squelette d'un petit animal que je n'identifiais pas, et un torse d'oiseau. Elle était fixée sur un socle rond qui ressemblait à un ancien bougeoir en bois noir. Elle avait l'air étonnée de se découvrir ainsi perchée, pattes ballantes, ailes déployées, tête légèrement penchée. Je n'arrivais plus à décrocher les yeux de cette fabuleuse créature, sortie tout droit d'un tableau de Bosch."

(extrait de "La silencieuse" d'Ariane SCHREDER, Philippe Rey, photographie de la chimère composite Osenat Fontainebleau via Alain Truong)

dimanche 9 février 2014

Je ne voulais pas que l'aura de la tragédie me colle à la peau - L'envol du héron

"La beauté et le tragique agissent sur ceux qui les rencontrent comme de la paille de fer aux deux extrémités d'un aimant, celle qui attire et celle qui repousse. Ils créent aussitôt un champ de forces qui détermine l’orientation de toute chose. Les belles personnes [...] n'ont pas la possibilité de voir les choses telles qu'elles sont.
Pour cela, il faut être gris, caché et vigilant.
C'est la même chose avec les gens qui ont vécu une tragédie. Ce qu'il y a autour d'eux ressemble à ces auréoles dont les peintres de retables coiffent leurs saints comme d'une cloche à plongeur. Une bulle, qui isole complètement celui qui la porte.
Et de son côté, qu'est-ce que le malheureux peut voir au travers de son halo de gloire si ce n'est un monde irrémédiablement déformé?"

(extrait de "L'envol du héron" de Katharina HAGENA, Anne Carrière édition, source de l'image)

mercredi 5 février 2014

La silencieuse


"La silencieuse" d'Ariane SCHREDER est un roman sur l'intime de la vie au féminin.
Clara est sculpteur. Elle se laisse bercer par le quotidien, des sculptures, comme des mobiles, créées dans un atelier, des marionnettes pour accompagner Barnabé dans le théâtre pour enfants. Puis Barnabé part. Elle ne peut pas rester sur Paris, elle fuit à la campagne. Pour un an tout au plus.
Dans cette maison louée, elle peut enfin rester sans parler. Parce qu'elle ne sait pas s'exprimer, les mots sont coincés dans sa gorge depuis quelques temps déjà.

Elle est encore inachevée.
"La plupart des pierres sont rudimentaires. Mal dégrossies, inachevées. Abandonnées pour d'autres pierres ou d'autres routes. Interrompues par la mort. Plus émouvantes encore que celles dont la dentelure est parfaite, trésors rescapés et rates. Des pièces de musées. Elles se repèrent à leur éclat sous le soleil. Il est interdit de les ramasser. Tant pis. Je les vole quand même. Mes pochent ne suffisent pas toujours."

Les promenades au bord du fleuve avec la chienne des voisins lui apporte réconfort. Elle se construit aussi avec la rencontre des villageois: Omar le taiseux et son couscous hebdomadaire pour apprendre à dire non parce qu'elle a le choix, l'Adorateur et ses retranchements pour profiter des petits riens, Ameline la pharmacienne qui s'ennuie en campagne et les choix de vie d'une femme, mais aussi la cousine adorée Lise et Julie, cette nièce au début de sa vie de femme. Tous vont l'aider à se positionner par leurs choix propres.
Et puis la vie reprend son cours, elle apprend le lâcher prise. Des question sur l'art, entre débat sur la forme, l'épaisseur, avec Jean ARP,  et Alberto GIACOMETTI, qui peuvent aussi être des réflexions sur la vie.

Clara a besoin de prendre de l'épaisseur, du poids, de la consistance. Ces sculptures évanescentes sont plus marquées quand elles représentent des personnes réelles. Elle même doit se façonner pour ne pas devenir folle pour ne pas s'enliser dans une maison comme la Robinsonne. Il ne manque plus que l'intervention d'un chaton pour bousculer la vie, lui rendre de la folie, de la spontanéité, des craintes et des joies.

Lily vous livre un très beau billet ici et Mirontaine accentue encore l'envie de savourer .

samedi 1 février 2014

Double jeu

Avec Jean-Philippe BLONDEL je sais que je peux me laisser aller à la lecture, que je ne serais pas déçue et même que ses histoires d'adolescent toucheront au plus sensible chez moi. "Double jeu" m'a moins secouée que "Brise glace" mais c'est toujours avec délice que je suis cet auteur et ses héros.


Quentin est un adolescent en perdition. Il est viré de son lycée, et pour lui offrir une dernière chance, envoyé dans un autre d'un quartier plus prestigieux. Est-ce qu'il n'est qu'un péquenaud, un raté? Quentin ne sait pas s'il va aller au delà de ses préjugés sur les ados de ce quartier. Il ne sait pas non plus s'il va abandonner l'école et presque tout rêve pour aller à l'usine sur la butte devant le lotissement des parents.
Encore faut-il qu'il en ai des rêves? Mais non, il ne sait pas. Les copains de l'ancien lycée ne l'aide pas non plus laissés sur le bord de la route et sur la voie de la délinquance. La seule chose qu'il apprécie est sa petite soeur, celle pour lequel il raconte des histoires, avec laquelle il se confie.
Alors se battre ici avec sa vie ou partir et tout plaquer.
Et puis une professeur de français, vigilante, perspicace, lui enjoint de lire une pièce de théâtre "La Ménagerie de verre" de Tennessee WILLIAMS.
"Je bredouille que je... enfin, je suis désolé pour tout à l'heure, je... Je suis en train de me liquéfier. Elle m'interrompt.
- Ah non, Silber, pas ça.
- Pardon?
- Pas d'excuses, pas de paroles de mollusque, restez digne. Droit. Si vous vous aplatissez, vous allez me décevoir."

Jean-Philippe BLONDEL est un spécialiste pour évoquer l'adolescence mais encore plus cette transition, ce manque de repères, cette étape de doutes. Là aussi, le jeune héros n'est pas idiot mais en marge tout de même, il a besoin d'un déclencheur pour se trouver.
Ce que j'aime chez cet auteur aussi est cet effort sur soi demandé. Une personne va enfin sortir le narrateur du marasme mais tout n'est pas donné, la confiance en soi est un acte de volonté. Alors oui, nous pouvons être lièvre et rapide dans ses choix de vie (et peut-être se perdre en route ou perdre la route) ou torture mais il faut avancer. Le théâtre va l'aider. Mais c'est surtout le jeu, jouer sa propre vie, reconnaître ses sentiments puis en faire une force, une respiration. Respirer, pagayer sur un lac immobile. Jouer, jouer le jeu, jouer un autre.
Et puis ici un professeur comme un référent. Le premier sûrement. L'auteur malmène aussi souvent l'éducation nationale dont il fait parti. Elle mâche, broie quelque fois. Elle laisse en marge des jeunes qui ont besoin, en plus du partage des connaissances, de supplément d'affection ou plus d'attention.

Voici l'avis de Mirontaine et un extrait très parlant.