mercredi 12 février 2014

Dans l'or du temps

J'avais beaucoup apprécié "Une part de ciel" de Claudie GALLAY. Je savais ainsi qu'en entrant dans cet autre roman j'y trouverais de la nuance dans les rapports humains. "Dans l'or du temps" offre une merveille de relation entre un homme et une vieille femme.


Le narrateur, un homme taciturne, mari et père de deux jumelles de 7 ans, est au bord de la mer, dans la maison de vacances. En rentrant de faire des courses pour le gâteau, il aide une vieille femme chargée à porter quelques kilos de poires jusqu'à chez elle. Est-il plus aimable? Plus lent à repartir? Plus curieux? Moins bavard? Alice, la vieille femme, le choisit pour donner du temps au temps.
Entre eux beaucoup de silences. Entre eux beaucoup de tensions, de malaises. Mais il ne semble pas savoir quoi faire de sa vie et la vue de poupées rituels indiennes, les kachinas hopi, va être le premier fil pour se parler. Enfin pour qu'elle parle.
Qu'elle dévoile une ethnie, les hopi, à travers de grands personnages culturels et artistiques. Une découverte interne de leur mystère, de cette spiritualité importante. Mais plus encore qu'elle parle d'elle sans presque rien dire. Clémence, sa soeur, muette par choix est comme une ombre dans ses visites de l'homme. La propre famille de ce dernier semble être une charge temporaire. Alice et le narrateur ont besoin de temps, de créer un lien, de passer le témoin, de ne pas mourir dans le regard de l'autre.

Je dois dire que j'ai été un peu moins attirée par les passages de journaux intimes ou de vies avec les hopis. Mais le retour dans la maison d'Alice sont magnifiques.

"J'ai repris un croquant. C'était trop compliqué comme rencontre. J'ai regardé par la fenêtre. Il ne pleuvait presque plus.
Je me suis levé.
- Je dois partir.
Elle n'a pas bougé. J'ai cru qu'elle ne m'avait pas entendu. Ou pas compris.
J'ai replacé ma chaise, ma tasse sur le plateau. Je suis allé jusqu'à la porte.
- Vous vous attendiez à quoi? elle a dit brusquement.
Je me suis retourné. Elle était assise, les deux mains en coupe autour de sa tasse. Elle me regardait.
- Vous vous attendiez à quoi, hein? Que l'on parle des heures, comme si on se connaissait de toujours? Mais vous ne savez rien des rencontres...
Elle a fait une grimace.
- Vous n'avez même pas fini votre thé.
C'était vrai. La tasse à demi vide. Le liquide légèrement verdâtre. La cuillère à côté.
- Je n'aime pas le thé.
Le livre, sur la table. Il était resté ouvert.
- Je n'aime pas Opalka non plus.
- Qui vous demande d'aimer?... Contentez-vous d'être là. A ce que vous faites. Ce serait déjà un progrès, vous ne croyez pas?
- Je suis en vacances.
- Et alors?
Sa voix, soudainement désagréable. Je n'avais plus envie de l'entendre."


*source magnifique photo Farshad

Alice veut offrir sa parole et cherche par tous les moyens à croire que cet homme sera le bon. Enfin a-t-elle le choix? Les lucioles sont éphémères et ne choisissent pas d'être mangées par les crapauds, le tout est de continuer à briller encore un peu, même en transparence dans leur ventre.

"Vous savez ce que font ces mygales monstrueuses que l'on trouve dans certains pays? Elles injectent un liquide à l'intérieur de leur proie et ce liquide transforme la chair en bouillie dont elles peuvent alors se nourrir.
Elle s'est essuyée les mains sur le devant de son pantalon.
- Vous me faites penser à cela, vous prenez. Vous ne donnez rien... Je ne sais pas ce que vous faites là. Ça vous intéresse donc tant que ça, cette histoire? ... Breton, les kachinas. Je le vois bien, quand j'en parle, votre regard change.
Elle m'a regardé. Violemment"

Et l'homme va enfin faire des choix, prendre position, s'émouvoir... Alice est tellement têtue.

Le très bel avis de Lily et celui de Mirontaine contribueront à vous donner envie de cet échange initiatique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire