lundi 30 mai 2016

Le crapaud - N'y a-t-il personne pour se mettre en colère?


"Le crapaud était en colère et la fourmi lui expliquait quoi faire de sa colère. Il pouvait la souffler, comme on souffle sur une poussière. La fourmi souffla une colère imaginaire de son épaule.
Il pouvait aussi la casser en morceau et la pulvériser.
Il pouvait l'enterrer et la recouvrir d'un rocher.
- Un rocher? demanda le crapaud. Où en dénicher un? Et d'ailleurs: soulever, ce n'est pas mon fort.
- Un petit rocher suffit, dit la fourmi.
- Un tout petit rocher alors, grommela le crapaud.
Il pouvait oublier sa colère, poursuivit la fourmi.
Il pouvait bâtir un mur tout autour.
- Il faut un mur tout de même assez haut, crapaud, dit la fourmi, impossible à gravir.
- Ou à sauter, dit le crapaud.
- Ou à sauter, dit la fourmi.
[...]
Il pouvait danser avec elle.
- Danser avec ma colère? demanda le crapaud, étonné.
- Oui, répondit la fourmi. La colère, en effet, ne le supporte pas. Elle dépérit.
[...]"

(extrait de "N'y a-t-il personne pour se mettre en colère?" de Toon TELLEGEN et illustré par Marc BOUTAVANT dont je parle ici)

mardi 17 mai 2016

S'émouvoir - Les fondamentaux de l'aide à la personne revus et corrigés


"Si majestueux soit-il, ce paysage me laisse de marbre. Après tout, pourquoi devrait-il m'émouvoir? Si vaste, si bleu, si infini, si plein de promesses que soit le ciel, il est aussi très loin... En réalité, tout ça n'est qu'une illusion. J'ai perdu mon temps. Nous avons tous perdu notre temps. A quoi bon ces promesses, si elles ne sont pas tenues? Qui voudrait vivre dans un monde où seule la souffrance perdure? Qui saurait se contenter d'un endroit où tout ce qui a du sens pour vous peut vous être arraché en un instant? Et le sera, vous pouvez en être certain. Si vous avez de la chance, votre vie se dégradera lentement sous les effets dévastateurs de l'âge, ou finira par disparaître comme les glaciers qui ont sculpté cette terre avant que vous ne vous retrouviez là, seul, à essayer d'en déblayer les décombres. Mais si vous n'en avez pas, votre monde vous sera retiré tel un tapis sous vos pieds, et vous vous retrouverez au-dessus du vide, sans nulle part où aller et rien pour vous raccrocher à la terre ferme. D'une façon ou d'une autre, vous êtes foutu. Alors, à quoi bon vous emmerder? A quoi bon râler, suer à grosses gouttes et vous frayer un chemin à travers les larmes et les innombrables obstacles? A quoi bon aimer, rêver ou s'attacher si ce n'est que pour mieux prêter le flanc au désastre? Désormais, je ne réponds plus au chant des passereaux, je ne réponds plus à l'appel des visages souriants, des feux de cheminées, ou des endroits douillets. Aucune chance que je bâtisse d'autres nids parmi les boutons de roses. Il y a trop d'épines."

(extrait de "Les fondamentaux de l'aide à la personne revus et corrigés" de Jonathan EVISON, éditions Monsieur Toussaint Louverture; source illustration)

Nos années sauvages


Rosemary, étudiante, n'arrive pas à se faire des amis et semble bien à part. Oui, elle partage sa chambre avec une colocataire, rentre pour les fêtes chez ses parents et a même une vie sexuelle. Mais dans tous ce qu'elle nous décrit, il s'agit plutôt de solitude et de malaise. Et puis cela fait des années qu'elle n'a pas eu de nouvelles de son frère Lowell et de sa sœur Fern. Pourtant la fraternité semble avoir beaucoup d'importance chez elle.
Elle rencontre alors Harlow, une jeune fille agitée, dans la cafétéria: cette dernière fait une crise bien théâtrale à son compagnon, elle jette son plateau sur le sol et hurle. Rosemary, hébétée mais presque sereine, laisse tomber aussi le sien. La voilà embarquée avec l'autre jeune fille au poste de police. Perturbée par une Harlow sans gêne, borderline et affective, la jeune femme est poussée dans ses retranchements et découvre qu'elle y retrouve un peu de sa relation à sa grande sœur.

Elle est loquace, Rosemary, pourtant ses parents l'ont mises en garde contre son bavardage... enfant, elle ne devait dire qu'une chose sur les trois qu'elle avait en tête ou commencer son histoire par le milieu. Il en est de même de son récit. Elle se l'offre (nous l'offre) par le milieu et revient peu à peu au début.
Elle dévoile les déménagements, les fuites du frère, la disparition de la sœur. Mais surtout les moments avant, d'intense bonheur, d'escapade, de caprices et de frustration. Une joie à être, surtout avec Fern. Enfant, elle est passionnée, agitée, très vite frustrée et quelque peu culpabilisée. Puis la fratrie apparait pour marquer le début d'une relativisation du propos. Rosemary jeune adulte reconstruit son passé dans un foyer américain pas si normal.

La fougue de l'enfance et les malaises adolescents prennent ici une ampleur inégalée. Ils sont décryptés, cette fois-ci par la jeune femme elle-même. Elle se décrit, avance à petits pas de ce puzzle de compréhension pour toucher la part de regrets, de culpabilité et d'amour infini pour son frère et surtout sa sœur.
Elle avance et recule dans sa quête de son frère et de sa soeur. Elle n'est plus la même, elle n'est plus qu'une moitié et pourtant sa vie va peut-être devenir entièrement pour elle, sans cette ombre. Elle se cherche en même temps elle dévoile les avancées psychologiques qui peuvent expliquer un peu les choses. Son père, scientifique, était très au fait des expérimentations animales. Le rapport de l'homme et des animaux, la distinction de comportement et de développement des uns et des autres ne semblaient plus avoir de secret pour lui. Elle va enfin comprendre qui elle est.
Karen Joy FOWLER offre avec "Les années sauvages" un beau roman sur l'animalité en chacun d'entre nous et notre part d'humanité à reconquérir. Ce roman bien mené apporte son lot de réflexions et même source d'engagement.

Merci à l'opération Masse critique de Babelio et aux éditions Presse de la cité. 
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samedi 14 mai 2016

Inventer sa propre vie, et qu'elle soit belle - L'amour et les forêts


"Naturellement je m'étais dit qu'il serait agréable que l'apparence de Bénédicte Ombredanne soit à la mesure de son intensité intellectuelle, je m'étais dit que son regard aurait sur moi un effet dévastateur si en plus d'exprimer la ferveur que je trouvais dans ses lettres il était environné d'un visage à mon goût, j'ai pu me dire que cette jeune femme déterminée par la lecture de mon roman à inventer chaque jour sa propre vie serait une interlocutrice à la séduction démoniaque, en effet, si de surcroît son corps me ravissait. Il m'aurait plu qu'il en soit ainsi, je l'avoue, mais je n'y croyais pas, quelque chose dans la contenance de ces deux lettres me persuadait qu'elles avaient été écrites par une jeune femme accoutumée à être perçue comme ordinaire, j'avais la conviction que tout passait chez elle par une intensité principalement intérieure: les regards de la vie quotidienne devaient glisser sur sa personne sans la remarquer, ni soupçonner la richesse de ce qui se passait dans sa tête."
(extrait de "L'amour et les forêts" d'Eric REINHARDT, folio; photographie d'Ernest VOLLER)

lundi 9 mai 2016

Bicycle 3000

© O Se HYUNG/ Kana

Lancinant... peu d'actions et pourtant une atmosphère lourde. C'est normal, le suspect, Yeong-Won, est accusé de trois meurtres et d'un enlèvement. C'est ce grand jeune homme, balourd et un peu nigaud. Il est employé au marché de poissons et tourne autour de Hui-Ju, une jeune fille.
Tiré d'une histoire vraie, ce manga coréen offre une esthétique à cette révélation. Qui a tué? Lui pour sûr! Mais quand a-t-il commencé à devenir dangereux? Il attendait Hui-Ju à l'arrêt de son bus et il la raccompagnait chez elle. L'adolescente semblait attachée à ce grand gaillard. Quelle est donc cette relation? amicale?
Yeong-Won est interrogé avec force et violence. Les policiers voient en ce suspect un empoté sadique mais ne comprennent pas son silence, lui ne fait que regarder Hui-Ju dont il a tué toute la famille.

© O Se HYUNG/ Kana

Le développement lent est très bien retranscrit par ses flash-back et ses pauses sur ces instantanés. Nous revoyons plusieurs fois Yeong-Won sur son vélo ou la scène de Hui-Ju venue le voir le soir chez lui. L'auteur amène le tout avec de belles mises en scène. Sa jeune fille presque sans visage (la couverture la montre même sans yeux ni bouche) est comme effacée. Les espaces vides, le gris et le flou prennent plus de place: la pluie, le sentier, les murs des maisons. L'air benêt de Yeong-Won attire sur toutes les pages.

© O Se HYUNG/ Kana

Ma grande émotion de lecture découle plus de ce que ce manga relate un film asiatique que j'ai vu (film coréen sûrement), j'en connaissais donc tous les éléments. Ici le sordide ressort, l'évidence aussi, puis le ressenti de Yeong-Won mais avec un peu moins de puissance. Je me rappelais d'une très grande finesse d'émotions du tueur, ici juste une impression.
Il n'est reste pas moins que ce manga apporte une relecture des quiproquos bien agréable même si un peu poisseuse.

Punk rock Jesus

Ou comment partir d'envie de romans graphiques et revenir avec des choix éclairés de mon libraire. "Punk rock Jesus" de Sean MURPHY est ma première approche, à mon souvenir, d'un comics. Pas de super héros mais toujours une bonne dose de testostérone (et du punk?!).

© Sean MURPHY/ Urban comics

Une production de téléréalité décide de passer au cran supérieur en offrant en pâture la naissance, l'enfance, l'adolescence (et pourquoi pas la vie entière) d'un être pas comme les autres. Il leur faut un être prêt à soulever les passions, rien moins que Jésus lui-même. Nous sommes en 2019 et une scientifique a pu se servir de l'ADN contenu dans le suaire de Turin. Il leur faut aussi une petite Marie un peu naïve que la direction pourra à son gré maîtriser, une caution scientifique et une brute épaisse pour protéger tout ce petit monde.

© Sean MURPHY/ Urban comics

Les années passent sous le focal des caméras. Une vie décortiquée, mise en scène, calibrée pour faire du buzz. Les plus faibles sont malmenés comme Gwen, la maman. C'est le lot de la téléréalité, donner à voir une vie et laisser libre court aux impulsions des spectateurs jusqu'aux pires actes passés sous silence. C'était voué à l'échec. Les cobayes se rebellent. Ils sont maintenant connus, attendus. Chris, le clone de Jésus Christ, grandit, se braque et apprend plus de la noirceur de l'homme que de ses bontés. Il est regardé quoiqu'il fasse. Il lui faut un grand destin.

© Sean MURPHY/ Urban comics

Cette magnifique bande-dessinée décrypte la manipulation des masses, le sensationnisme, une certaine idée de la suprématie américaine.
A cela se rajoute la religion, théorie évolutionniste contre fanatisme religieux. Est-ce donc une parousie ou une aberration? L'auteur joue avec les codes de la religion et nous donne à voir un enfant qui grandit, conditionné et pourtant mis à mal par le réel reconstruit et la violence des relations humaines, des terrorismes médiatiques ou cachés et des intérêts d'argent ou d'ambition.
Chris deviendra-t-il Jésus? La génétique aurait-elle fait sa part? Et l'éducation n'était-elle pas plus qu'un simple transfert de savoirs mais un partage, une connivence humaine. 

© Sean MURPHY/ Urban comics

Personnage principal aussi, surtout, cet homme de sécurité, McKean, venu chercher sa rédemption et qui offre une lumière au comics. Venu par pur égoïsme et contrit de son passé, le voilà salvateur, plein de bonté, de loyauté et d'altruisme... une autre forme de croyance en l'homme.
Et puis le talent de Sean MURPHY est indéniable sur la vitesse, le dynamisme et le charisme flagrant de son personnage principal...
Le tout forme une très belle et intelligente lecture avec une playlist de musique punk!

© Sean MURPHY/ Urban comics

vendredi 6 mai 2016

"Ne pas mordre, jamais. Même si la situation le justifiait." - Nos années sauvages


"Il y avait quelque chose de décalé chez moi, quelque chose qui ne sonnait pas juste, peut-être dans mes gestes, mes expressions, les mouvements de mes yeux, et certainement dans ce que je disais. Des années plus tard, mon père fit allusion en passant au phénomène de la vallée dérangeante: l'aversion que nous inspirent les choses qui sont presque, mais pas tout à fait, comme les humains. La vallée dérangeante est un concept difficile à définir et plus difficile encore à mesurer. Cependant, s'il est avéré, il expliquerait pourquoi le visage des chimpanzés est si perturbant pour certains d'entre nous. Aux yeux des enfants de ma classe, j'étais l’objet dérangeant. Ces gamins de cinq ou six ans ne se laissaient pas abuser par la contrefaçon.
Leur choix de mots était critiquable et je ne me privai pas de le leur faire remarquer: étaient-ils assez bêtes pour ne pas faire la différence entre les singes et les primates? Ignoraient-ils que les êtres humains étaient également des primates? Mais sous-entendre qu'être traitée de primate ne me posait aucun problème ne fit que renforcer la conviction de mes camarades. Leur instinct ne les avaient pas trompés. Et ils refusaient de croire qu'ils étaient eux aussi des primates. Leurs parents les avaient rassurés sur ce point. On me dit qu'un cours entier de catéchisme avait été employé à réfuter mes arguments."

(extrait de "Nos années sauvages" de Karen Joy FOWLER, Presse de la cité; illustration de Beatrice ALEMAGNA extraite de "Jo singe garçon" dont je parle là
)

mercredi 4 mai 2016

"Ne connaissez-vous aucun poème?" - La tristesse des anges



[...] s'enquiert-il. Non, répond Jens, sans même lever les yeux. Dans ce cas, nous pourrions peut-être chanter? Non. Vous devez bien connaître quelques vers, par exemple de Bjarni, un homme comme vous... Non. Et de Jonas? Non plus. [...] Et bien, dans ce cas, déclare le gamin, je vais me réciter quelques poèmes tout seul, vous me pardonnerez de les dire à haute voix, je préfère, cela me permet de mieux sentir la texture des mots. Et qu'est-ce que cela t'apporte? interroge Jens, réticent, mais son compagnon ne lui répond pas et là, au creux de cette neige et de cette tempête, à côté d'un homme qui n'aime pas les mots, il récite deux poèmes de Jonas, deux autres de Steingrimur, Thorsteinsson, deux encore de Krisjan Fjallaskald, le poète des montagnes, il les récite avec application et Jens ne se fâche pas, il se contente de s'éloigner un peu et de baisser les yeux, comme s'il voulait s'enfuir. Puis, après toutes ces paroles parlant de fleurs, d'amour, de regrets, d'azur et de ténèbres, le gamin entreprend de dire un poème d'Olof fra Hlöoum. Les vieux livres affirment que cela porte malheur de déclamer des strophes composées par une femme alors qu'on est cerné par la tempête. Tu sais que je n'exige nul amour en retour, commence-t-il, il pose sa moufle couverte de glace sur son coeur giflé par la neige et: 
"Tu sais que je n'exige nul amour en retour,
Les jeunes le demandent, l'implorent et l'espèrent. -"
[...]
Il n'est pas toujours aisé de supporter la poésie, elle peut entraîner l'être humain dans des directions inattendues. on m'a donné des ailes, mais où donc est l'air pour voler? [...] La poésie vous tue, elle vous donne des ailes, vous les agitez un peu et sentez l'enchantement vous envahir. Elle vous ouvre des mondes nouveaux, puis vous ramène brutalement à la tempête et aux souillures du quotidien."

(extrait de "La tristesse des anges" de Jon Kalman STEFANSSON, édition Folio; source peinture d'Heckel VILEM)

lundi 2 mai 2016

"- Qui a bien pu vous mettre en tête que les contes de fées n'ont aucun sens?" - Le Chateau des étoiles

"...
- M...Mon père, monsieur... Majesté!
- Un homme de sa qualité ne devrait pas ignorer la puissance des mythes... Les contes disent toujours la vérité!
- Mais, majesté... Les fées, les dragons... tout ça, ça n'existe pas!
- Croyez-vous? N'avez-vous jamais eu peur du noir? Craint la solitude? La douleur, le rejet? L'échec? La mort? Voyez-vous, la vérité que nous enseignent les mythes n'est pas que les dragons existent... mais qu'ils peuvent être vaincus. Montrez-moi un homme qui a su triompher de ses peurs... Je vous montrerai un tueur de dragon."

(extrait de "Le Château des Étoiles,  1869 la conquête de l'espace vol.1" d'Alex ALICE, éditions Rue de Sèvres)

dimanche 1 mai 2016

Les noceurs

Avec cet auteur, il ne faut pas hésiter à entrer. Nous en prenons plein les yeux puis nous nous immergeons dans un je ne sais quoi d’ambiguë, de sentiments non palpables mais bien présents, collants encore au corps.

© Brecht EVENS/ Actes Sud

Une fête, dans un appartement au cinquième étage. Une fête où se retrouvent des amis... il y aura de l'alcool, des rires, un coin clope, de la séduction et beaucoup de lâcher-prise. Et puis non. Gert a invité du monde mais tous attendent Robbie. Il est bien sûr invité, c'est le meilleur ami de Gert mais il ne viendra pas. Il est sûrement resté dans la discothèque dont il est le centre d'attention, aussi, là aussi. Tous le monde lui court après... les filles/femmes - quel séducteur!- , les hommes - tellement charismatique- , Gert pour le souvenir de leur amitié.
Brecht EVENS nous confie trois états de vie, Gert, Robbie et Noumi, pris dans la multitude. La foule du métro, des rues, de la discothèque, de ce salon surpeuplé et trois individus. Tout est mouvement, interchangeabilité, interaction, promiscuité et pourtant l'humain semble presque absent. Il y a bien quelques bribes de la vie d'unetelle ou d'untel - tiens, non, ce n'est pas la sienne mais celle de l’interlocuteur... pas grave-. Ils se connaissent mais si peu. Gert et Robbie marquent aussi ce manque par une absence, une relation qui prend l'eau, un changement de direction après l'adolescence. Noumi sort son épingle du jeu. Mais derrière cette misère sexuelle perdue, derrière cet élan de vie et de désir, il reste une amertume... un désert émotionnel.

© Brecht EVENS/ Actes Sud

La fête est un moment à part, il y a ceux qui y rentrent, s'y perdent et les autres. Robbie semble dans son élément. Il offre aussi à chacun un moment de partage mais il est éphémère. Dans ces tumultes, il pourrait y avoir plus que de l'alcool et du sexe et pourtant l'individualisme prime et il ne reste plus grand chose après les flash d'extra-vie. Des racontars, des déjà passés.

© Brecht EVENS/ Actes Sud
A travers "Les noceurs", l'auteur dévoile un peu de cet après-adolescence où chacun se voit dans le regard des autres sans forcément s'y reconnaitre. Les moments de lâcher-prise semblent faire appel aux sens sans offrir de chemin. Il offre là un magnifique kaléidoscope des pulsions de vie et de l'absence de considération.
La foule est bariolée, se mélange aussi avec les décors. Tout est couleurs, intensités, perspectives désaxées et puis il y a ses personnages. Tous ont leur teinte permettant de ne pas se focaliser sur un réel aspect mais plus une silhouette, une attitude, une mimique, même la voix est colorisée permettant ainsi cet embrouillamini jusque dans les échanges. Tous sont colorés sauf Gert, gris, ombre de lui-même, perdu dans la foule. Il a voulu prendre sur lui, réagir et pourtant il reste incertain, méconnu.

© Brecht EVENS/ Actes Sud

Brecht EVENS offre là encore un roman graphique magnétique, à lire et à relire dans lesquelles les illustrations donnent autant que le texte. Les atmosphères sont fabuleuses et l'attraction- répulsion physiques sont visibles. Entre autre une magnifique planche surréaliste de la jouissance.