mercredi 17 février 2010

Le livre à compter de Bathazar, A la poursuite du lapin brun


© Marie-Hélène PLACE et Caroline FONTAINE-RIQUIER/Hatier Jeunesse


J'ai utilisé ce livre autant pour l'histoire que comme une aide, un soutien aux calculs dont je parlais rapidement là avec les autres de cette collection « aide-moi à faire seul ». « Le livre à compter de Balthazar, A la poursuite du lapin brun » de Marie-Hélène PLACE et illustré par Caroline FONTAINE-RIQUIER est une vraie petite lecture et en même temps l'enfant est en interaction constante.


© Marie-Hélène PLACE et Caroline FONTAINE-RIQUIER/Hatier Jeunesse

L’histoire entraîne Bathazar et sa peluche vivante Pépin dehors, à la poursuite d’un lapin brun. Ils vont rencontrés deux yeux, trois nuages, quatre poules etc… le chemin continue et à chaque page, le comptage se fait en posant le doigt sur le livre, jusqu’à 10. Et puis une indication de 100.
L’interaction est aussi très jouissive pour l’enfant qui, à la suite de l’accompagnant, suit la forme des chiffres et des nombres. J’aime ce livre qui inclut dans l’histoire les chiffres, les nombres mais aussi des liens de prononciations « 10 biscuits », « 6 chauve-souris », des indices biologiques (les lapins ne pondent pas d’œufs) ou des manipulations fondatrices de Montessori (ranger du plus grand au plus petit des tournevis).
Je parlais de ce que nous faisons à la maison .

Comptines du Jardin d'Eden


J’ai une fascination pour les comptines chantées, les berceuses, les nursery rhymes. Un petit manque dans ma vie m’a poussé à chercher plus avant des références….
Alors quel plaisir de trouver ces comptines chez Didier Jeunesse, dans toute leur pluralité, leur intégrité et non dénuées de maturité.
Nous avons commencé la collection (il va bien s’agir de cela !) par les "Comptines du Jardin d’Eden" de Nathalie SOUSSANA, Paul MINDI et illustré par Béatrice ALEMAGNA.


En effet, cette compilation de comptines juives de tous les pays propose une transmission de toutes les communautés (ashkénaze, sépharade, yéménite…) et une ouverture d’esprit : les grandes langues juives sont là, le yiddish, le judéo-espagnol, l’hébreu et l’arabe. Il propose aussi une vraie présentation des comptines collectées. Ainsi nous découvrons que sous ces langages souvent simples de réelles métaphores de la vie sont présentes.
A travers différents rythmes, de vrais moments de joie sont présentés avec un certain cynisme (pas que pour les enfants). L'écoute est aussi une lecture.

« Dona, Dona » est celle que je connaissais déjà : métaphore du parcours juif pendant la seconde guerre mondiale.


« Yome, Yome » sur une fille qui grandit et ne se contente plus de vouloir chaussure ou manteau mais souhaite un …fiancé.


« Sara la preta », chanson satirique de Turquie, avec un clin d'oeil à Rose
« La méchante Sara
A perdu son téton
Elle cherche, elle cherche
Et ne le trouve pas
La voisine lui dit
De balayer la cuisine
Car tu as mangé du pain et du kachkaval*
(…) »
*genre de feta (fromage pressé de vache ou de brebis)

Et puis un coup de cœur pour « A la una » qui célèbre le cycle de la vie pour une petite fille :


Lisez donc les premières paroles, mesdemoiselles et mesdames…

« A la une je suis née
A la deux j’ai grandit
A la trois j’ai pris un amant
A la quatre je me suis mariée (…) »

Maijo avait été très touchée et la première a nous emmener dans cette édition fabuleuse Didier Jeunesse, j’ai nommé BelleSahi aussi .

mardi 16 février 2010

Monsieur le lièvre voulez-vous m'aider ?



« Monsieur le lièvre voulez-vous m’aider » de Charlotte ZOLOTOW, illustré par Maurice SENDAK, apporte une sensibilité émotionnelle, les couleurs ne sont pas affichées dans l'album, elles sont presque juste évoquées. La petite fille souhaite offrir un cadeau pour l’anniversaire de sa maman mais ne sait pas quoi.

Elle demande de l’aide au sage lièvre, s’ensuit les objets rouges, jaunes, verts et bleus.

La poésie de l’offrande est là avec cette sensibilité aux belles choses mise en appositions avec les pierres précieuses, chères et pas si adaptées peut-être : des oiseaux (non pas en cage) ? Le soleil ? Les lacs ? Le ciel ? Une bonne manière de modifier notre vision du présent, le cadeau, et de notre prédisposition au consumérisme. Malice en parle .

Les domaines hantés


Je ne savais pas que penser non plus de cet auteur, Truman CAPOTE, personnage visuel autant que littéraire. Alors j’ai commencé la lecture doucement, comme dans un songe, pour découvrir, et le récit et le potentiel ressenti de lecture de cette mademoiselle. « Les domaines hantés » de Truman CAPOTE a fait le reste.



Joel, un enfant de douze ans, va découvrir son père, après des années d’absence paternelle et la mort de sa mère. Il part dans une contrée lointaine peuplée de personnages fantomatiques. L’histoire est belle mais plus encore ce sont les émotions à fleur de pages qui ne vous laissent pas indemnes. Les rencontres humaines sont à chaque fois comme une découverte d’un pan caché de sa personnalité. Et loin d’être une quête de père, il s’agit bien là d’une quête de soi : son paternel n’a pas la clef de toute son existence en devenir et les réponses et personnes référentes ne sont pas là où il les croyait. J’ai beaucoup aimé trois personnages en plus du garçon et dans chaque j’ai eu l’impression de lire la personnalité complexe du garçon, jeune homme et homme d’âge mûr.
Comme une panthère en cage, Zoo la servante noire, est enfermée par son devoir envers son père. Elle parait être la femme dans tout son charme féminin, sensuelle comme une femme fatale, louvoyante, à la violence contenue et vécue, un peu mutine. Sa quête de « neige », une fois sa liberté non retenue, comme un rêve d’existence, lui ramène la cruelle vérité et tarit sa vitalité
Cet oncle Randolph, vieux jeune, aux goûts efféminés, qui se découvre une sexualité autre en devenant adulte. C’est un homme en prise avec son passé, qui se complait dans une activité créatrice mais vit enfermé dans sa chambre, véritable « tombe de luxe », comme retiré de sa propre substance, déjà mort, encore mort (depuis sa naissance).
Et Idabel, ce garçon manqué, aux paroles plus matures que son petit corps. Cette témérité qui la pousse à se dépasser, à être en totale harmonie avec elle.




*source photo

« (…) toute musique doit être entendue plus d’une fois. Et si ce que je te dis aujourd’hui te semble dénué de sens, tu ne le trouveras que trop clair quand tu y repenseras plus tard ; et quand cela arrivera, quand ces fleurs épanouies dans tes yeux, fleurs qu’on ne retrouve jamais, seront fanées, alors, bien que nulle larme n’ait jamais pu dissoudre mon propre cocon, je pleurerai un peu pour toi. »
Il en est de même avec cette lecture, si riche. Il me faudra bien plus d’une lecture pour assimiler la notion d’amour qui transpire des mots de Randolph : aimer n’est pas synonyme de pitié, ce n’est que pure tendresse, aimer c’est considérer un nombre important de petits riens comme essentiels à l’amour porté à l’autre…il ne faudrait pas concentrer toute son attention à l’être aimé, nous en perdrions le bonheur. Et que dire de cette fulgurance de l’amour : ce Narcisse, non pas égoïste mais seul détenteur de la vérité, son reflet est le seul compagnon réel de sa vie, le seul en mesure de répondre à ce besoin.
Et puis une sacrée leçon de vie sur l’homosexualité ou la bisexualité. Personnellement, j’ai toujours pensé qu’une démarche amoureuse se définit par l’objet d’amour en tant que personne plus qu’en tant que genre, se limiter à l’un n’est qu’une affaire de convention, d’éducation, de norme ou de marginalisation volontaire. « Le cerveau peut recevoir des conseils, mais pas le cœur, et l’amour n’ayant pas de géographie, ne connait pas de frontières ; pèse sur lui, enfonce-le aussi profondément que tu voudras, il trouvera toujours moyen de remonter à la surface, et pourquoi pas ? Tout amour qui nait au cœur d’une personne est naturel et beau ; il n’y a que les hypocrites pour reprocher à un homme ce qu’il aime, les illettrés émotionnels et les envieux qui, dans leurs inquiètes agitations, confondent si frénétiquement la flèche qui se dirige vers le ciel et celle qui conduit en enfer. »
La finitude de l’homme est partout : la mort est présente, animale ou humaine, comme allant de soi, mais aussi ce sentiment diffus tout au long de la vie : « (..) la jeunesse est rarement humaine : comment en serait-il autrement puisque les jeunes ne croient jamais qu’ils vont mourir… et surtout ne croient jamais que la mort vient (…) ». La décrépitude est aussi une part entière : les humains très, très, vieux, à l’extrême limite, qui peuvent soutenir le regard de la mort, ceux qui deviennent dépendants, simples végétales au regard omniscient, miroir des autres âmes et même plus de la sienne. La difformité (un cou de girafe, une main en bois) côtoie l’ambigüité des sexes.
Truman CAPOTE fait la part belle aux refoulements échafaudés ici en rêve éveillé. Comme si nous nous étions arrêtés de devenir ou comme si notre vision du monde avait été déformée sous l’effet d’un choc quelconque. Je me retrouve en Joel, dans cette quête de lui-même, avec l’envie de définir ce qui nous confine à l’état de Kay, anesthésié de la vie, dans « La Reine des neiges » d’Andersen. Le cahier des rêves de Dolorès, les rêves de Zoo et de Joel, leurs mensonges, semblent quelques fois plus réels que le reste.


Magnifique lecture qui me laisse un goût d’inachevé dans mon parcours : « Notre suprême désir c’est qu’on nous tienne…qu’on nous dise…que tout (tout est une drôle de chose : le lait de l’enfant, les yeux de papa, les bûches ronflantes dans le froid du matin, les hiboux, le camarade qui fait pleurer après l’école, c’est les cheveux de maman, c’est avoir peur, et les figures grimaçantes sur le mur de la chambre)…que tout finira par s’arranger. »

vendredi 12 février 2010

Le kimono blanc

« Le kimono blanc » de Dominique KOPP, illustré par Pierre MORNET.


Keiko, la petite fille, suit la promenade des saisons et de sa grand-mère dans la nature japonaise. La transmission a ici une place importante : des boites de bambous au contenu précieux, la lecture des idéogrammes et le secret des herbes sauvages. Keiko attend, regarde sa grand-mère, de loin, de près, avec son kimono dont les manches dansent comme des ailes de papillon. Un papillon blanc sur des gerbes laissées à terre et toute la poésie du deuil est relevée.

Les illustrations de Pierre MORNET sont magnifiques. Des tableaux laissant aller le regard sur les paysages, des détails japonisants mais surtout des saisons. Le style n’est pas très oriental même si le sujet l’est et pourtant l’harmonie est là : des fleurs épanouies, de l’automne et de l’hiver, de très belles impressions. Béatrix m’avait fait ce sublime cadeau, merci encore.


Et je vous laisse avec un passage:

« Keiko aime l’Aïeule,
son visage aussi plissé
que les pommes
qui ont passé l’hiver. »

Scritch scratch dip clapote

« Scritch scratch dip clapote ! » de Kitty CROWTHER revient périodiquement comme livre du soir. Avec quel plaisir pour moi. Je ne peux que confirmer, encore et encore, mon admiration pour cette auteure/illustratrice.
En fait, ce fut le premier en ma possession, celui qui m’a emmené dans l’univers de cette femme.

Jérôme est une petite grenouille que l’on retrouve à l’heure du coucher. Les rituels se suivent : un passage dans la salle de bain, une lecture de papa, un câlin avec maman et puis cette solitude de l’enfant (enfin la grenouille) dans le noir juste avant le sommeil.
Cette peur du noir est amplifiée par les bruits de la nuit et tous les monstres ou méchants qui peuvent hanter les rêves de grenouillet Jérôme.

J’adore ce petit livre abimé par les lectures nombreuses (et dire que le lutin n’a que 3 ans !). L’atmosphère de cette maison les pieds dans l’eau, les tableaux botaniques et entomologiques sur les murs, les murs sombres et les tissus de pyjamas.
Mais surtout cette petite histoire, si douce, offrant à l’enfant une vraie mise en image de ce moment juste après la lecture du soir, ce moment de solitude (même si les parents sont dans la pièce d’â côté), cette envie irrépressible de dormir entre maman et papa, à l’abri des sensations inconnues de la nuit. J’aime particulièrement aussi cet agacement du père, avant de trouver une solution pour dormir et aussi apprendre à son enfant à prendre confiance en lui, à affronter aussi l’inconnu… pour leur plus grand plaisir !
Cela aussi permet de reprendre les monstres des cauchemars : monstre d’eau douce avec toute l’imagination possible ou encore squelette des marais. Ce squelette, juste amas d’os, qui fait si peur. Autant vous dire que notre petit d’homme connait de nombreux passages presque par cœur.
La sensibilité de Kitty CROWTHER est toujours présente, le sujet même conventionnel, offre une lecture différente, presque sensitive et ses crayonnés, marques de fabriques, me font à chaque fois rêver.

N’hésitez pas à vous avancer dans son univers, fabuleux et jamais mièvre.

La mélodie des tuyaux

Je n’ai pas de suite parlé de ce livre que j’ai acheté pourtant très tôt. « La mélodie des tuyaux » de Benjamin LACOMBE a fait son petit bout de chemin dans notre maisonnée. J’ai suivi avec plaisir cette histoire emmenant cet enfant, perdu dans une famille ouvrière, fermée par leur environnement et un quotidien peu épanouissant. Alexandre va découvrir un autre monde grâce à l’arrivée de roulottes dans sa ville ouvrière. Il a 13 ans. Son futur est tout tracé, il sera ce que tous les habitants de la ville sont : des ouvriers enfermés dans cette usine immense, gargantuesque, grise et omniprésente. En cherchant autre chose, la couleur, ce rouge entré en ville, il découvre une autre musique et une autre manière de mener sa vie.

Ce livre/CD, format géant, est une belle entrée en matière sur la musique gitane, chaude, rythmée, vive. La participation de musiciens et de la voix chaude, épicée, de Olivia RUIZ, donne la tonalité. Bien sur c’est au départ une attirance, un joli minois et un air de danse. L’histoire m’a happée, avec cette musique mais surtout pour la sensibilité de ce livre sur les formes de différence. Différence de culture, différence physique aussi allant jusqu’à la présentation illustrée des personnages aux physionomies extrêmes que l’on trouvait dans les foires à monstres : enfant tronc, femme à barbe, jumelles siamoises ou femme mastodonte).


Il y a aussi, entre les lignes d’une histoire pour enfants, une profondeur, une seconde lecture plus audacieuse. Le rôle parental, par exemple : il doit y avoir de l’amour parental mais c’est surtout de la peur pour leur fils qui apparait. L’enfant parait aussi comme isolé, non communicant, presque en dehors… la musique devient une expression, une façon d’être au monde.
J'aurais presque aimé que Benjamin LACOMBE aille encore plus long, plus au fond mais c'est sûrement pour un lectorat plus âgé.


J’aime particulièrement les illustrations. Benjamin LACOMBE est très fort pour proposer des images qui pourraient passer pour « douces » et presque enfantines. Mais bien-sur ce n’est pas du tout le cas : les univers sont souvent sombres et mettent en avant des ombres et des ambiances plus graves. Les architectures et les personnages ont une épaisseur. Je suis d’ailleurs ravie de savoir qu’il devient de plus en plus connu. Ravie aussi de voir ce genre de livres pour enfant, superbement finis, aux enluminures, aux détails de sous couverture.


Lily nous offrait un très beau billet ici. Mirontaine, elle, nous invitait à ce ce partage musical, une vraie proposition faite aux petits loups, le sien ou le mien... Un interview de Benjamin LACOMBE:

jeudi 11 février 2010

Till Ulenspiegel

*source statue à Mölln en Allemagne

Le magicien des couleurs

© Arnold LOBEL/L'école des loisirs

« Le magicien des couleurs » d’Arnold LOBEL est graphiquement codifié. Le magicien agacé par son monde trop gris pratique la magie pour sortir de cet univers maussade. Par hasard, il découvre le bleu. Pour égayer sa maison, il la peint de cette superbe teinte.

© Arnold LOBEL/L'école des loisirs

Tout de suite suivi par le reste des villageois… les maisons mais aussi les arbres, les vaches, les coccinelles, les écureuils. La mode du bleu pour un monde heureux ! Mais tout en bleu a aussi des conséquences sur les sensations et le comportement. La mode du bleu passe pour la mode du jaune, puis du rouge jusqu’à…
Cet album offre une dérision sur les couleurs normales des choses : une coccinelle bleue, un cochon jaune, un chat rouge autant que les poissons. Et l’application exhaustive d’une seule couleur propose une lecture de nos réceptivités au monde :

© Arnold LOBEL/L'école des loisirs

bleu tristesse, rire jaune chez le dentiste, jaune éblouissant, rouge colère…

© Arnold LOBEL/L'école des loisirs

pour apprendre la demi mesure. Malice nous en parle .

Le Père Noël m'a écrit

© Carl NORAC et Kitty CROWTHER/ Pastel

« Le Père Noël m’a écrit » de Carl NORAC et illustré par Kitty CROWTHER est une petite merveille. C’est vrai que je ne suis pas déçue, ni de l’un, ni de l’autre. J’avais rencontré les deux, si peu consciente de ma chance et si fébrile à l’idée d’un autre partage, bien improbable.


NORAC propose une entrée dans les aventures du Père Noël. Très peu de cadeaux aux enfants, sous le sapin et pourtant le livre est un vrai cadeau. Les lettres adressées au Père Noël se sont envolées sans avoir pu être lues, sauf une, prise dans les bois d’un renne, celle d’Else. Le Père Noël la lit et répond, il est touché, cette enfant ne souhaite pas de cadeau mais bien des confidences, des aventures, des secrets… ceux du Père Noël. Alors oui, avec plaisir, il ouvre le voile de ce qui se passe ici, chez lui. Il décrit sa difficulté à entrainer ses rennes pour le vol, son besoin de les rendre forts et de les surveiller. Il raconte la fois où par mégarde ils ont réussi à échapper à sa vigilance pour voler jusqu’aux étoiles. Son obligation de chercher de l’aide sur terre.
© Carl NORAC et Kitty CROWTHER/ Pastel

L’histoire nous emmène à la rencontre d’autres peuples, aux rapports avec la nature encore préservés… des Inuits en quête de rennes aussi et qui ne connaissaient pas notre cher PN ; des indiens vengeurs de lune. Le Père Noël nous livre ici son plus fabuleux cadeau, reçu des rennes, compagnons de vie nocturne et professionnelle : une virée dans les étoiles. L’atmosphère de Noël apparait alors dans ces détails d’attention, de présence, d’offrande de moments plus que de biens matériels. Des partages autour du feu, des souvenirs, des fantasmes humains qui trouvent là un achèvement beaucoup plus harmonieux. Les pointes d’humour ne sont pas éloignées non plus, que dire de ces chiens de traineaux affalés de rire en voyant ce pauvre Père Noël ressortir des cheminées de plus en plus sale.© Carl NORAC et Kitty CROWTHER/ Pastel

Il y a aussi cette réflexion sur les offrandes des parents, celles cachées par le symbole du Père Noël : un fantasme de vie pour un enfant, qui ne s’en dépatouille qu’à l’âge adulte. Le merveilleux est sauf : c’est un cadeau du Père Noël qui a mis l’homme sur son vrai chemin de vie.
© Carl NORAC et Kitty CROWTHER/ Pastel

J’aime aussi, toujours, l’univers de Kitty CROWTHER qui offre des détails de quotidien, des univers champêtres, des animaux humanisés, des atmosphères de partage. J’aime aussi sa prise de position sur un univers pourtant marqué par un imaginaire commun, il est comme plus réel, doux mais aussi presque plus tendre.

C’est une histoire de Père Noël et non une histoire de Noël, une histoire d’homme de profession humaniste qui a été comblé en retour.

Swing café


J’étais déjà conquise rien qu’à lire la quatrième de couverture alléchante : ce fabuleux Carl NORAC s’associant à une créatrice de bel univers, Rébecca DAUTREMER. "Swing café" de Carl NORAC et Rébecca DAUTREMER.

Carl NORAC nous propose une découverte du jazz. Oui des extraits de grands standards du jazz se faufilent ça et là et nous mettent en joie, oui la voix de Jeanne BALIBAR offre un défilement doux, rythmé, elle est à la fois nonchalante, chaloupée et très séduisante.

Mais… et surtout, ce sont les mots de NORAC qui me portent. Une cigale chanteuse, zazou, veut partir en Amérique mêler sa voix aux musiques jazzies. Nous la suivons dans ses pensées et ses rencontres. Une aventure d’insectes dans le monde des hommes jusqu’à un café, le Swing café, milieu des musiciens.


Je suis sous le charme, de cette histoire pouvant s’adresser aux plus jeunes par une lecture souple mais aussi pour tous ces détails, ces approches, ces accroches. Des indices d’entomologiste, une finesse des situations et de caractères typés et des moments de vie à la musicalité enfin perceptible.

Les métaphores scintillent, les jeux de mots apportent une touche de poésie supplémentaire : « A la batterie, la seule abeille qui a horreur des fleurs. Quand elle frappe, l’air est fouetté. Après, c’est du miel. » Le parfum d’une cigale, le vol d’un insecte, la danse entre les gouttes d’eau ou encore ce Chinatown sous la pluie et ces nouilles comme des serpents mous. J’en redemande, je mets en boucle, je dévore, note et continue à m’émerveiller à chaque lecture/écoute. Oh oui ces extraits mis à propos au rythme fou, ce phrasé anglophone parfois qui interpellent. Une leçon de swing, une leçon de chose aussi. « « Piano édenté, pour jouer une note sur deux. » C’est bien assez. Un piano pour moi toute seule. Je ne sais pas jouer. »

Et puis il y a ces illustrations. Rébecca DAUTREMER sublime le texte. Là les insectes ressemblent à des humains et ce sont les humains, qui eux ressemblent à des fantômes de papier. Le monde est onirique même si la chaleur, la tristesse, la misère ou l’ambiance chaude d’une musique de jazz se dégagent. Une ombrelle de doryphore, un chapeau fleuri que j’aimerais porter etc…. Les teintes sont sombres, presque feutrées, de celles que l’on rencontre dans un café mal éclairé, des couleurs chaudes, presque couleurs café et des collages de photos d'époque… j’aime beaucoup, comme un rappel aussi aux couleurs de peau chocolats des premiers jazz(wo)mans.

Nous en ressortons avec des rythmes, des intonations et des sonorités, phonologies plein la tête. L'interview de Carl NORAC et de Rébecca DAUTREMER vous donnera peut-être encore plus envie. Vous n'aviez pas encore la volonté de vous jeter dessus... allez, allez l'atterrissage est bien doux!

mercredi 10 février 2010

Partir


« Bientôt, un homme ou plutôt un arbre s’avance et contourne la caisse. Derrière un trou percé dans l’écorce, on distingue un visage, tandis que les bras mobiles sortent du tronc. (…) L’arbre de secoue, des feuilles tombent de ses branches, ce sont des feuilles encore vertes, des cartes d’identité de plusieurs pays, des cartes de toutes les couleurs, des passeports, des papiers administratifs et quelques pages d’un livre écrit dans une langue inconnue. De ces pages des milliers de syllabes sortent soudain, volent en direction des yeux des agents et finissent par les aveugler. Puis les lettres forment ensemble une banderole sur laquelle on peut lire « La liberté est notre métier ».
« - (…) Alors dites-moi qui se cache derrière cet accoutrement.
- Il se fait appeler Moha, mais avec lui rien n’est sûr. C’est l’immigré anonyme ! Cet homme est celui que j’ai été, celui qu’a été ton père, celui que sera ton fils, celui qui fut aussi, il y a bien longtemps, le Prophète Mohammed, nous sommes tous appelés à partir de chez nous, nous entendons tous l’appel du large, l’appel des profondeurs, les voix de l’étranger qui nous habite, le besoin de quitter la terre natale, parce que souvent, elle n’est pas assez riche, assez aimante, assez généreuse pour nous garder auprès d’elle. Alors partons, voguons sur les mers jusqu’à l’extinction de la plus petite lumière que porte l’âme d’un être, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, qu’il soit un homme de Bien ou un être égaré possédé par le Mal, nous suivrons cette ultime lumière, si mince, si fine soit-elle, peut-être que d’elle jaillira la beauté du monde, celle qui mettra fin à la douleur du monde. »


*source photo : Il était un fois...au coeur de l'arbre





Le livre, "Partir" de Tahar BEN JELLOUN, s’arrête sur ces mots, ils reprennent l’intensité du livre. Il s’agit d’exil, d’émigration, de nostalgie du pays natal, d’utopie, de descente aux enfers. Nous suivons le destin croisé de personnes qui n’ont qu’une idée en tête partir (cette fois pour l'Espagne), fuir le Maroc, pays aimé mais pas assez généreux avec sa jeunesse, trop dépendant de la mafia. Le passage à l’acte et ses improbables retours sont disséqués par l’auteur. Le livre n’est pas optimiste mais il décrit si bien des instants de vie : les éternités d’attente, le regard fiévreux, obnubilé par la côte espagnole, des habitués du café, « observatoire des rêves et de leurs conséquences » ; les désillusions de l’arrivée en terre providentielle (et du paradoxe historique de celle-qui nous appelle : il fut un temps où le Maroc attirait, après il a fait fuir ) ; cette illégalité permanente, de papiers, de vie, cette culpabilité profonde…


*source photo : ici

Je n’aime pas les vacances « normées » au soleil avec un passage touristique dans telles ou telles villes, j’aime l’authenticité même si, peu naïve, je sais ne la retrouver que peu où je vais. En tous cas, Tahar BEN JELLOUN m’a donné envie de venir dans son pays et même si dans ce roman il n’estime proposer que des indices d’une situation, j’y vois un début d’analyse sociologique et c’est pourquoi ce livre me suivra pas à pas dans mon chemin vers la tolérance. C’est de cette fuite en avant vers le paradis en fuyant ses racines ou l’autre dont il est question et ce livre donne envie de reprendre ces notions de racisme, de tolérance et redéfinit l’utopie du pays « développé », avant de partir découvrir le Maroc d’aujourd’hui et lire dans les yeux de sa jeunesse une autre fin !

« On ne revient jamais pour soi, toujours pour les autres.» Et pour vous faire une idée par vous-même un très beau lien avec des extraits du livre, l’ambiance et une interview de l’auteur ici et vous pouvez lire l’avis de In cold blog .

La chatte

En passant chez ma maman, j’ai retrouvé ce livre d’école : « La chatte » de Colette.


Je l’avais beaucoup aimé et ayant toujours eu des chats avec moi (et de tempérament fort), j’ai eu envie de le relire. J’avais pris beaucoup de plaisir (intellectuel plus que sensuel) à lire « Je suis un chat » de Natsume SOSEKI où les attitudes félines étaient très bien campées , là je me suis laissé prendre par des sentiments plus charnels, peut-être comme lors de ma première lecture, adolescente.

Ce couple pris dans les filets d’une jeune liaison, d’un jeune mariage, se désintègre sous nos yeux. L’héroïne est la chatte du fiancé, Saha, petite femelle achetée par le jeune homme 3 ans plus tôt. Cette chartreuse, par sa noblesse de félin, son allure altière, semble effacer tout le charme de la fiancée. Alain, le jeune mari, est encore au début de sa vie, dans les relations sans concession, intenses, sans limite. Il n’est pas prêt à ménager une place à la nouvelle venue, sa femme.
La jalousie féminine, les comportements princiers des chats et l’inconstance amoureuse du jeune homme sont tellement bien décrits. Ce dernier ne souhaite que cet animal, si entier, si possessif, comme si Saha faisait partie de lui-même : cette part de liberté, de bohème, de despotisme du jardin doivent le tenter. L’animal, petit tyran, petite maîtresse, est sous son charme ou sous sa protection : « Il caressa à tâtons la longue échine plus douce qu’un pelage de lièvre, rencontra sous sa main les petites narines fraiches, dilatées par le ronronnement actif. « C’est ma chatte…Ma chatte à moi ! » - Me-rrouin, disait la chatte. R…rrouin… »
L’homme est dans le cynisme, le dédain des comportements humains. Il est dans la perpétuelle attente d’une séduction réussie, insatisfait par la beauté changeante de sa femme, plus enclin par les escapades marquant le pelage de Saha : des effluves de plantes, du poil plein de pétales, des narines plus ou moins retroussées et fraiches de ce félin chasseur, tout de suite amadoué. « Sans malice profonde, elle ne se doutait pas que, dupe à demi des défis intéressés, des pathétiques appels et même d’un frais cynisme polynésien, Alain possédait sa femme chaque fois pour la dernière fois. Il se rendait maître d’elle (..) » en se défilant, en amenant son absence…
Les attitudes enfantines de ce jeune homme avec sa mère sont aussi saisissantes : un homme pas encore sorti de l’enfance, encore dans la demande de satisfaction immédiate de ses désirs !
La scène du duel entre la femme et la chatte est mémorable…la plante des pattes entre les coussinets pleine de sueur marquant de fleurs le sol reste un détail frappant.


« Il parlait à la chatte qui, l’œil vide et doré, atteint par l’odeur démesurée des héliotropes, entrouvrait la bouche, et manifestait la nauséeuse extase du fauve soumis aux parfums outranciers..
Elle goûta une herbe pour se remettre, écouta les voix, se frotta le museau aux dures brindilles des troènes taillés. Mais elle ne se livra à aucune exubérance, nulle gaité irresponsable, et elle marche noblement sous le petit nimbe d’argent qui l’enserrait de toutes parts. »

Et que dire de ce fauve se promenant nonchalamment dans son domaine géographique et relationnel.