dimanche 25 décembre 2016

Le vent du nord


Tarjei VESAAS est un auteur qui m'attire irrésistiblement. Pourtant je n'ai pas accueilli tous ses livres avec le même enthousiasme. Le découvrant avec "Les oiseaux", fabuleux, j'ai été sur ma réserve pour les autres lus après..."Palais de glace", "Nuit de printemps". Et pourtant. Ce sont des livres que je sais adorer en seconde lecture. Vous savez, comme un petit gout de revenez-y, vous y verrez des merveilles.
A chaque fois, vous êtes sur le fil. Nous ne savons jamais si l'issue sera belle et douce, l'atmosphère est pesante. Cela peut venir d'une présence mystérieuse, symbolique, de la nature belle et effroyable, des ressentiments... ou d'une certaine folie.

Avec "Le vent du nord", recueil de nouvelles, je renoue avec le meilleur de ce que je pense de l'auteur.
Il nous entraine souvent dans les pas d'enfants. Ils sont spontanés et souvent insouciants. Mais rien n'est idyllique. Ni la relation aux parents. La relation filiale semble belle et douce, les adultes sont certes occupés mais aiment leurs enfants et pourtant il y a un instant de peur. Ni l'atmosphère, sous ce beau tableau il y a  une fulgurance de tous les dangers. Les enfants jouent avec le feu ou découvrent le voile pessimiste de la vie. "Samedi soir" est une frayeur du quotidien, les peurs d'un accident et la vie qui va bon en mal en. Le pire étant la découverte d'une vie où tout n'est pas beau et rose. "Le redoux" est attendu par une fillette: sa chatte accouchera après le gel lui a assuré son papa adoré. Elle est impatiente, coupable et, malgré elle, source de confrontation.
Il y a bien ses petits moments de joie, de picotements, de tiraillements, de prises de risque limitées ou de vrais dangers comme dans "La fourmi intrépide", "Le bonhomme de pain d'épice", "L'anniversaire", " Celui qui rentra le dernier" ou "Arne".
Et puis il y a les nouvelles qui vous laissent sans voix. "Le cavalier sauvage" où cet enfant échappe avec joie à l'école pour aller en ville avec son père. Sa mère ne les accompagne pas. Et puis un accident à côté du bus, un taureau qui se rebelle contre le destin. Un magasin de jouets fermés. Tout dérape... ou tout avait déjà dérapé! "Le petit Trask" connait toute sa leçon par cœur, il n'attend qu'une chose c'est que sa maitresse l'interroge. Mais elle a peur d'être prise à défaut, c'est son jour de validation. Eux deux sont dans la tourmente. Ou "Le petit être sans nom" qui vit une journée de plus.
Ces 13 nouvelle se terminent par "Tusten", qui nous présente doucement le héros des "Oiseaux".

Tout peut être doux et chaleureux et pourtant Tarjei VESAAS laisse apercevoir toutes les failles possibles, toutes les voies du malheur. Rien n'est beau par dessus tout. La lecture est sous tension, poétique et un brin cynique. Mais c'est bon!


"[Son cadeau] état posé sur le bureau: une tour carrée enveloppée dans du papier journal." - Le ciel nous appartient


"
"Qu'est-ce que c'est? " demanda Sophie.
Le présent avait la taille d'une armoire de toilette, mais même de la part d'un être aussi excentrique que Charles, cela semblait assez invraisemblable.
"Ouvre-le."
Sophie déchira le papier.
"Oh!"
Un fouillis de mots se bouscula sans pouvoir sortir de sa bouche. C’était une pile de livres, dont chacun avait une reliure de cuir de couleur différente. Ce cuir étincelait, malgré le ciel gris au-dehors.
"Il y en a douze. Un pour chaque année.
- Ils sont magnifiques. Mais... Charles, ils ont dû te coûter une fortune!"
Rien qu'en les regardant, on les devinait doux et chauds au toucher. Un cuir de cette qualité ne pouvait pas être bon marché.
Charles haussa les épaules.
"Douze ans est l'âge idéal pour commencer à collectionner les belles choses, dit-il. Chacun de ces livres était l'un de mes préférés.
- Merci! Merci.
- C'est à cet âge que les lectures se gravent dans la mémoire. Les livres sont des clés qui ouvrent toutes les serrures du monde."
(extrait de "Le ciel nous appartient" de Katherine RUNDELL, éditions Les grandes personnes)

dimanche 18 décembre 2016

Le moindre des mondes


Le pasteur Baldur est parti à la chasse à la renarde rousse. "Elle dansait debout sur ses pattes arrière et on aurait dit qu'elle planait au-dessus du sol; en ondulant telle une anguille dans une rivière.
La quatrième apparition poussa un cri quelque part dans la nuit, invisible dans l'obscurité:
Agg-agg!
L'homme se ressaisit. De ce côté du pays, les renardes au pelage roux étaient si rares que la présence d'une seule d'entre elles donnait lieu à une histoire dans la ferme voisine. On parlait de la Noiraude, de la Timide, de Celle-qui-dansait, de Celle-qui-glapissait; pourtant, il s'agissait toujours de la seule et même renarde."
Ce jeu de cache-cache, d'intuitions, pour la vie ou la mort, les entraine encore plus haut, vers les crevasses, en plein milieu de la tempête de neige. Un pas après l'autre, il la suit et quand il la perd, elle appelle. Elle l'appelle...
Au même moment, un assistant du pasteur, Halfdan, va chercher une dépouille chez le botaniste Fridrik. Une apparition sur le cheval et pourtant un simple d'esprit en descend, à la sueur acre de café. Il vient pour la "camabé de la caille"... la "famabhée de la quille"... "le bacchimée de la faille", enfin "le macchabée de la fille". En prenant un thé, face au poêle de faïence, il ne sait pas encore que sa vie va changer. Fridrik se charge de ce qu'il peut. De mettre en ordre la fin de vie de Hafdis, cette jeune femme atteinte de la maladie de down ou trisomie 21. Une jeune femme aux borborygmes véritable langage, abandonnée, recueillie, fiancée de l'idiot du pasteur. Une jeune femme catalyseur d'un monde... une fois morte, il faudra rendre des comptes.


Sjon offre avec "Le moindre des monde" le moment charnière de plusieurs existences. Dans cette nature sauvage, emplie de divinités, le folklore laisse la place à l'appel de la vie. La renarde rousse, normalement bleue ou Skugga-Baldur (titre en version originale), se joue de l'homme. Quand un autre homme tente lui de proposer un  juste retour des choses. Une délicatesse si discrète, juste de toutes petites attentions qui marquent pourtant le meilleur de l'homme.
Ce très court roman nous emmène dans le tragique du rapport humain, du handicap. Il marque aussi la puissance de la nature et de la vie pour reprendre ses droits. Puissant!

vendredi 2 décembre 2016

Je me fais offrir des bandes dessinées... pas vous? 1/...

Cela fait une bonne année que les bandes dessinées, ou plutôt les romans graphiques, ont pris une place à part dans mes lectures. Elles arrivent dans notre bibliothèque par grappe.
Plusieurs raisons à cela:
- notre déménagement me change mon parcours de maintien juste après la sortie de chez le chiropracteur... de mon retour à la maison à pieds en passant sous la Tour Eiffel, je dois maintenant obligatoirement prendre le métro et le bus, tout en m’acquittant de mes 20 minutes de marche minimum pour garder le bénéfice d'une colonne vertébrale remaniée... je fais ainsi deux arrêts de métro à pied dans une direction qui me convient bien...
(bon, bon, prétexte fallacieux, j'en conviens)
- j'achète beaucoup moins d'albums jeunesse qu'avant. Le lutin a grandit et les lectures du soir sont passées à d'autres supports. J'aime toujours cette relation entre l'image et le texte, dialogue entre auteur et illustrateur. Je picore encore dans le rayon jeunesse parce que décidément je trouve les contenus fabuleux. Les romans graphiques m'apportent là une plus longue immersion.
- parce que les cadeaux sont faciles à trouver dans une liste pareille
- parce que j'ai un repaire d'amateurs éclairés de bandes dessinées (où je vais juste après le chiropracteur): une librairie comme je les aime, avec un libraire extrêmement disponible (enfin peut-être pas pendant les périodes de Noël), offrant ses conseils, les actus et son intertextualité. Si vous lui demandez, il vous conviera à des découvertes que vous n'auriez peut-être pas faites seul. En revenant avec votre rendu de lecture, il vous axe vers d'autres propositions. J'adore! Alors n'hésitez pas à y aller de ma part si vous êtes sur Paris et que vous aimez la BD ou le roman graphique: Libraire BD16, 43 rue de la pompe dans le 16ième.

Attention, ces romans graphiques sont destinés aux adultes ou adolescents. Et je vois là qu'il va me falloir faire de nombreux billets pour vous donner envie (si billet lien en cliquant).

Un premier lot de coups de coeur:


"Satanie" de Fabien VEHLMANN et illustré par KERASCOET
Un groupe de spéléologues vont rechercher un jeune homme disparu depuis quelques mois. Il partait à la recherche d'un autre monde, de néandertaliens peut-être. Une bande dessinée qui nous entraine vers un monde un peu visqueux où les défauts des hommes prennent une autre ampleur. C'est organique, chaud, diablement chaud.
"Trois ombres", "Portugal" * et le magnifique "Les Equinoxes" ** de Cyril PEDROSA
* Un homme se perd dans sa relation de couple, dans ses origines, il part se ressourcer, se rechercher. Magnifique
** Un kaléidoscopes de moments de vie, d'étapes qui changent la donne, pas de beaucoup mais peut-être de l'essentiel, un extrait ici
"Stupor mundi" de NEJIB
Un savant au Moyen Age cherche le soutien d'un seigneur, pour lui et sa fille handicapée. Il compte mettre au point une magnifique découverte, venue du diable.
"Un océan d'amour" de Grégory PANACCIONE et Wilfrid LUPANO
Roman graphique sans parole mais avec des embruns, des vagues dans la figure et le cri d'une mouette. Un couple de bretons s'aiment mais ne sait plus pour quoi, le mari part à la pêche et va vivre une grande aventure. L'amour sera -t-il le plus fort?
"Daytripper" de Gabriel BA et Fabio MOON
Un écrivain meurt à différents moments de sa vie. Qu'est-ce que cela changerait-il à sa personnalité si la destinée le faisait partir enfant, adulte ou vieillard. Très belle immersion dans nos errements.
"Sauvage ou la sagesse des pierres" de Thomas GILBERT
Qu'est-ce qui nous retient à la vie? L'amour, le corps. Qu'est-ce que le retour à la nature? Est-ce idyllique? Oublie-t-on les défauts humains pour de la sérénité?
"Le Singe de Hartlepool" de Jérémie MOREAU et Wilfrid LUPANO
Pendant les guerres napoléoniennes, un bateau français s'échoue en Grande-Bretagne. Un chimpanzé, mascotte du bateau, survit mais il est découvert par ces habitants un peu perdus dans leur contrées. Des quiproquos, des préjugés, une forme d'humour noir. C'est bon, très bon!
"L'autre laideur, l'autre folie" de MALES
Une rencontre, deux moments de vie entre parenthèses, une découverte de soi, du beau, du laid, de l'amour fugace. Gros gros coup de coeur!
"Habibi" de Craig THOMSON
Femme dans le monde musulman, entre rêve et réalité, entre terrible constat et mille et une nuits.
"Panthère" de Brecht EVENS
Dialogue entre une enfant et une panthère imaginaire. Pas si doux qu'il n'y parait.
"Annie Sullivan et Helen Keller" de Joseph LAMBERT
Le passage du monde froid et noir, vécu par une enfant sourde et aveugle, à une ouverture vers le monde et son éducation aux choses.

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