jeudi 25 août 2011

L'Ogresse en pleurs... et Cuisine de Sorcière

Je succombe toujours devant un livre illustré par Wolf ERLBRUCH. En plus de ces images si spécifiques j'ai souvent l'impression de suivre un choix de texte précieux, éclairé, souvent autant pour adulte (voire plus?) que pour enfant, à la limite aussi du non-sens quelques fois.

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

"L'Ogresse en pleurs" de Valérie DAYRE illustré donc pas ERLBRUCH ne déroge pas à la règle et c'est un coup de cœur.
Une femme méchante, une ogresse, veut faire encore pire que toutes ses actions jusque là: elle souhaite manger un enfant. Elle est difficile et fait le tour des villages pour trouver le bon, celui qui sera le plus appétissant.
Mais à force d'être exigeante, elle se fait repérer et les enfants vivent cachés. Elle se fâche et décide d'en manger plus d'un, milles et un, sans y parvenir. Elle dépérit jusqu'à en croquer un.

Le propos est grinçant. L'ogresse fait peur et elle mange l'enfant. Cependant ce n'est pas un livre si effrayant. Elle menace mais les astuces des enfants et des parents apportent une touche d'humour: les petiots se font plus grands en taille, se costument, restent chez eux.
C'est encore plus une histoire de parents:
"- N'importe lequel! gémissait maintenant l'affamée. Donnez-moi le plus maigrichon, le plus couillon! (elle avait abaissé ses prétentions).
Dans les maisons, on se taisait. Des couillons? Des maigrichons? Si on en avait, on se les gardait."

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

Le texte de Valérie DAYRE joue sur les termes: un enfant "à croquer". Et c'est bien la parentalité et l'amour le sujet du livre. L’ogresse a des yeux "brillants-gourmands" et cherche l'enfant idéal. D'ailleurs j'aime cette réplique "- Celui-là est trop futé, je ne veux pas avoir à lutter." Au fil des pages, les enfants, les nôtres, apparaissent les plus tendres à nos yeux, les plus à même d'être aimés. C'est de son enfant que l'on s'éprend et dont nous souhaitons être parent.
Je ne vous livre pas la plainte finale de l'ogresse mais qu'elle est belle!
Le vocabulaire nous propose mille et une manière de nommer l'enfant et ces jeux de mots exquis donnent envie d'aimer par gourmandise.

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

Les illustrations de ERLBRUCH sont toujours si particulières. Des aplats de tissus, comme des pochoirs, des tampons japonisants, des lieux lunaires et très proches de DE CHIRICO. Le repas de l'ogresse est magnifique d'épouvante (à regarder même avec des enfants!).
Et que ces lunes, astre protecteur, sont belles en témoins de notre parentalité.
***

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

"Cuisine de Sorcière" de Johann Wolfgang GOETHE et illustré par Wolf ERLBRUCH est un petit en-cas au doux goût de je n'y comprends rien mais j'aime.
Ici la quatrième de couverture nous apporte plus de sens que le texte du livre: "La sorcière prépare pour Faust le breuvage de rajeunissement et Goethe lui faire dire une formule magique qui n'est qu'un jeu turbulent de chiffres stimulant l'imagination et, en particulier, celle du grand illustrateur Wolf Erlbruch." Et c'est ainsi qu'il faut le prendre, comme une parenthèse dans l'initiation aux pièces "Faust" de l'auteur.

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

Ici la recette de la sorcière est très mystérieuse, ce qui apporte un plus est le pied de nez graphique de l'illustrateur. Il donne à vivre les chiffres, il cartographie les formes et fait des nombres des textures. Ci-dessous le fabuleux: "Le quatre perd"

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

Le rajeunissement ou l'éloignement de la mort (déambulant sur l'infini du huit)... j'aime son personnage... récurrent.

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

mercredi 24 août 2011

Ulysse et le Cyclope

© Christine PALLUY et Aurélia GRANDIN/ Milan jeunesse

"Ulysse et le Cyclope" de Christine PALLUY et illustré par Aurélia GRANDIN offre un autre duel mythologique.
Nous retrouvons Ulysse juste après la guerre de Troie lors de son retour au pays. Il découvre avec ses compagnons une île inconnue leur permettant de prendre du repos et de se rassasier.
Et Ulysse, curieux et intrépide, va chercher à explorer plus loin, l'île d'en face. Et là dans une grotte, où sont entreposés de grandes quantités de lait de chèvres et de brebis, des fromages, vit un Cyclope, Polyphème.

Alors oui, les ruses d'Ulysse sont ici bien rendues pour les enfants et aussi le caractère orgueilleux du personnage principal. La mise en avant d'un seul élément, la confrontation du héros face au monstre, apporte une lisibilité au récit, quand le feuillet de complément propose la mise en situation.
L'histoire n'est jamais finie et la conséquence du défi d'Ulysse voulant à tout prix être reconnu le perd. L'adaptation pour enfants ne limite pas les drames et s'est aussi une bonne chose: la mythologie n'est pas qu'une accumulation de combats et d’héroïsmes mais des individualités pleines de défauts et de nombreux drames humains.

© Christine PALLUY et Aurélia GRANDIN/ Milan jeunesse

Les illustrations d'Aurélia GRANDIN offrent un aspect surréaliste. Les contrastes sont importants sont importants et marquent bien le lieu, extérieur ou enfoui dans la grotte. Son partis-pris de présenter les hommes quasiment que de profil et le cyclope de 3/4 accentue la différence. Le côté surréaliste est compléter par un bouc à la "face de Picasso" et l'épopée, elle, est superbement illustré par un début et une fin avec une cartographie imaginaire.

Encore une belle proposition de cette collection Le fil d'Ariane: vous pouvez retrouver
"Thésée et le Minotaure" là
"Pégase et Bellérophon" ici

lundi 8 août 2011

Là où vont nos pères

© Shaun TAN /Dargaud

J'ai enfin pu me délecter de la lecture de "Là où vont nos pères" de Shaun TAN. Florizel m'avait harponnée là.
L'homme se prépare. Il choisit de partir, de laisser pour un temps sa famille et sa maison afin de trouver mieux ailleurs. Ailleurs, l'étrange, le merveilleux de la terre rêvée, un pays aux multiples codes ethniques, un monde protecteur, plus riche en travail et nourricier comme pourraient le symboliser les immenses statues égéries (oiseau conservant son œuf, animal aux provisions ou hommes en pleine fraternité).
Il fuit un pays déserté où les gens se calfeutrent à l'intérieur de chez eux par peur de ce monstre tentaculaire, ombre serpent qui s'insinue partout. Et commence l'exil, le voyage d'un individu pris dans la masse des populations en partance. A l'arrivée, il y a les démarches administratives, les formulaires, l'identification et le nouveau départ. Se refaire une identité, une vie dans un autre pays, avec d'autres codes, un autre langage, d'autres us et coutumes. Et rencontrer d'autres immigrés.

© Shaun TAN /Dargaud

Cette bande-dessinée, véritable roman graphique sans parole, est une histoire de l'exil.
Une histoire réglementée par les contrôles de l'immigration: la visite médicale, les nouveaux papiers voire même l'étiquetage des arrivants (qui pourrait rappeler d'autres formes de signes distinctifs moins amicaux). Une histoire de fuite aussi, de tragédies et d'utilisation du malheur des autres avec les passeurs bien cupides.
A travers le héros et ceux qu'ils rencontrent ce sont les destins de ceux qui partent. Ce qu'ils fuient et ce qu'ils recréent ici, sur la terre d'accueil. Tous ces individus sont mêlés à la multitude, juste un élément de cette grande transhumance.

© Shaun TAN /Dargaud

L'auteur choisit une version, non édulcorée, mais positive: que l'immigration soit organisée, volontaire, collective pour le travail ou que ce soit une immigration individuelle de refuge contre une société inégalitaire, une guerre, les immigrés sont accueillis.
L'exil n'est pas une évidence. La fuite, la valise comme seul monde, seul lien avec la famille. Et cette adaptation à la langue, aux écritures, aux coutumes, aux méthodes, aux machines, aux transports, aux mesures du temps, aux aliments étrangers.
L'apprentissage est aussi difficile pour le premier arrivant que pour les suivants, enfants compris. Et puis l'immersion amène l'intégration, une assimilation respectant les ethnies d'origine.

Cette terre d'accueil en elle-même est aussi le rêve de l'ailleurs. Un pays moderne, industriel, où les petits métiers sont aussi mis en avant. Les cultures, les ethnies cohabitent.
Le monde inventé par Shaun TAN est immense, vertical, très architecturé. Mais en plus des machines, des cheminées d'usine, il y a aussi toute une infrastructure (des transports en commun, une poste) et une profusion alimentaire.
En plus, l'homme ne semble pas être de trop, les logements sont là, exigus au départ mais offrant aussi des villages. Des statues gigantesques posent leur regard sur les habitants, non sans rappeler les divinités grecques, égyptiennes, cambodgiennes ou des mégapoles inventées pour les super-héros.
Le monde de l'auteur est aussi très humanisé. La promiscuité humaine ne restreint pas les services rendus. Les ethnies cohabitent et offrent une solidarité et une convivialité apaisante et fondatrice. Chaque habitant semble aussi être accompagné, et non victime d'isolement: un animal fantastique est "offert" et reste en permanence avec les individus.

Cette bande dessinée n'est pas forcément destinée aux enfants, elle faite de subtilité et de références. Les illustrations ont un rendu très peaufiné, elles sont minutieuses et très travaillées. L'usage du temps est là,

© Shaun TAN /Dargaud

dans cette double page de nuages, de ciels, d'étendue brumeuses comme des pensées mais aussi dans la patine des objets usuels, du quotidien ou le végétal marquant les saisons.
Les illustration oscillent entre des panoramas et des focus comme dans un film et un reportage photographique, où les récits des autres personnages sont présentés comme des photos jaunies. C'est aussi un livre témoignage où de nombreuses situations peuvent être réelles. Quelques images m'ont marquée particulièrement: ces oiseaux rencontrés en mer après un dur voyage comme la marque de la terre enfin proche ou ces origami comme trace éphémère du père, absence de la famille, présence et offrande.

© Shaun TAN /Dargaud

La découpe des "bulles" est aussi très particulière: double page sur les mondes en vue d'ensemble, oppressants ou accueillant, puis sur la temporalité (les nuages, le temps par le passage du temps sur la plante); enfin l'individu fondu dans la multitude.

Vous trouverez là un interview de l'auteur à propos de ce livre et ici un avis argumenté

mercredi 3 août 2011

Pégase et Bellérophon

© Christine PALLUY et Élodie NOUHEN/ Milan jeunesse

"Pégase et Bellérophon" de Christine PALLUY et illustré par Elodie NOUHEN est une autre proposition de la collection "Le fil d'Ariane".

Cet épisode est un peu plus complexe que "Thésée et le Minotaure" (billet en suivant le lien ci-dessus "le fil d'Ariane"). En effet, il fait intervenir plus de personnages secondaires.
Bellérophon est un jeune prince. Il souhaite dompter le cheval ailé mythique qu'est Pégase. Aidé par Athéna, il y parvient. Ils deviennent inséparables même dans les épreuves.
Un des combats mythiques qu'ils mènent est contre la Chimère.
Mais aussi la trame du récit poursuit la vie impétueuse de Bellérophon, de ces premiers défis où il est aimé et se croit invincible jusqu'à sa mort, seul.

L'histoire est noire mais aussi plus complexe pour des enfants car le parcours de Bellérophon est la conséquence de nombreux quiproquos et de sentiments humains complexes comme l'envie, le dédain, l'orgueil... en plus de la colère. Les dieux sont ici aussi plus présents. En fin de volume, toujours quelques explications complètent le propos est offre encore plus de richesses à l'histoire en amenant la mythologie dans le langage courant, aussi.

© Christine PALLUY et Élodie NOUHEN/ Milan jeunesse

Les illustrations d'Elodie NOUGHEN portent toujours le récit. Les couleurs rappellent ces épisodes entre les feuillages et le ciel, lieu de chevauchée de Bellérophon sur Pégase. Sa chimère, monstre massif, et son Pégase, cheval sans yeux et presque évanescent, donnent de l'ampleur à la scène de duel.Ce livre se lit aussi dans sa verticalité.