"L'Indien donnait de grands coups de hache contre un hêtre mort. Je
l'avais reconnu: les arbres morts attendent l'hiver pour passer
inaperçus. Pas lui.
Celui-là, repérable entre tous, était le fief d'une colonie de corbeaux qui s'y logeait à la
tombée de la nuit. A l'aube, ils rameutaient leurs petits mal réveillés
et tout ébouriffés, entre deux cris et un lissage de plumes. Puis, la
troupe s'élançait dans un bruit de bois sec pour sa besogne sanitaire,
prospectant sur les chemins à découverts, à la recherche des petits
animaux que la lumière des phares avait surpris et épinglés en plein
course, avant que le bloc optique ne les projette sr les bas-côtés dans
un bruit mat d'os frais.
Les branches basses étaient maculées de fientes blanches qui coulaient tout le long du tronc
en s'y enroulant, jour après jour, alimentées par les déjections plus
récentes, alourdies encore par les naissances annuelles de dizaines de
petits corbeaux. Le hêtre s'était ainsi paré de signes belliqueux, avec
sa coiffure de plumes noires et mobiles sur le chef et ses marques
blanches sur tout le corps. Un Indien sur le pied de guerre."
(extrait de "La verticale de la lune" de Fabienne JUHEL, Actes Sud; dessin de Cyrille CHATELAIN)
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