samedi 5 février 2011

Les hommes sirènes


"Les hommes sirènes" de Fabienne JUHEL nous emmène dans la férocité des contes et des ogres réels.
L'homme a une quarantaine d'années, une femme, un fils mais aussi un goût de sang dans la bouche et un caillot près du cœur. Poète fourbu de comptines et perdu dans son monde, se mettant au chômage, se bousculant pour être en marge toujours, il prendra le prétexte d'une mention sur une palissade publique pour tout quitter. Il part voir la mer, cette immensité qu'il a côtoyée enfant sans jamais la regarder, toujours image ou paysage derrière un couple, ses parents adoptifs : Eve et Eli ECKERT.

C'est vrai qu'il faut avoir envie, qu'il faut s'efforcer de commencer ce roman. Le style n'est pas si simple avec cet individu, le héros, à la troisième personne mais toujours appelé "l'homme". Mais ce même style offre de la poésie, de la noirceur, de la vigueur, de l'ardeur, des "tripes" à chaque page. Alors à la troisième page, on entre dans ces courts chapitres. Mais surtout, la lecture ne laisse pas indemne, il faut vouloir s'embourber, sentir venir la sueur sur la nuque. Non pas de peur mais de cette abomination des cauchemars. L'homme, au fil des pages, retrouve une identité: civile, Antoine (ou Abhra de son vrai nom indien); historique, enfant adopté par un couple survivant des camps de concentration; mais aussi une enfance, une trame éducative qui en a fait un homme barbare et humain.

Le lecteur entre images après images dans l'enfance. Un petit indien acheté à son père mais surtout élevé avec des valeurs suintantes de "monstruosités". La survivance aux camps de concentration laisse là une marque indélébile, une envie de maîtrise, de contrôle mais aussi de transmission de la souffrance. L'enfant revit dans les histoires inventées, dans les confidences réelles et dans l'apologie de "méchants" de contes pour enfant toute la douleur que les hommes peuvent infliger aux autres. Aucune image ne lui est épargnée, elle est même mise en avant, théâtralisée pour donner encore plus de résultat. L'homme est alors un amas de chairs, d'os, de points d'impact, de lignes de souffrance. La vie n'est possible que dans cette culpabilité à être une chair pourrie, morte sans l'être, sans envie, sans joie, sans amour.

Et puis il y a cet homme, l'adulte devenu. L'adulte qui n'a plus peur des contes pour faire peur, mais à quel point? Il reprend de la vie, de la liberté, en jouant aux jeux d'enfant, en suivant un parcours de hasard, d'impressions. Il revient sur cette transmission de la torture. Cette souffrance si importante qu'elle ne peut finir que mal.

Mais que dire encore de cette éducation! Elle est scotchante, ahurissante. L'enfant est un jouet d'adulte, soumis à une manipulation, un façonnage. Et les livres ont leur place. Une place de choix, même. L'adulte n'est pas devenu poète pour rien. Les histoires sont choisies pour être représentatives de la noirceur humaine, pour appeler le cri, les gémissement,s l'abandon.
Encore heureux que d'autres adultes, représentants d'une certaine humanité, se retrouvent sur son passage: une cuisinière, un sorcier mais aussi une vieille dame, en fin de parcours, au métier si salvateur. Le livre est cela: du chaos, du vide, l'adulte va apprendre à ne plus être un déchet... à se libérer d'une forme d'humanité pour en trouver d'autres, belles, douces, passionnelles, spontanées et amoureuses.
Le livre est à relire, parce que sous ses images peut-être fictives, ses cauchemars de loups, de meurtriers du règne animal, de bourreau des plus fragiles (chaperon-rouge mais aussi enfant, ou dans sa forme domestiqué pour, l'homme démuni) il y a un espoir, un loup multiple. Et puis il y a la mer, l'océan, ce liquide engluant où l'on peut se perdre, revenir, où l'on peut mourir mais aussi se laver, être ingurgité et recraché avec le bois flotté, être un "homme sirène" prêt pour la Rédemption, la sienne, celle d'une famille, celle d'une douleur humaine.

Un très bel avis, très pertinent et argumenté ici, un autre .
Ce livre est sélectionné pour le prix Landerneau 2011. Merci à Faits&Gestes.
Je n'avais pas réussi à entamer profondément son autre livre "A l'angle du renard", sélectionné pour le prix Landerneau 2009. Ce livre me donne envie d'y revenir.

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