samedi 14 novembre 2009

Passagère du silence

"Passagère du silence" de Fabienne VERDIER est un des livres qui apportent bien plus qu’une histoire.


« Son enfance, on la subit ; sa jeunesse, on la décide. Je savais ce que je voulais : peindre ; et d’abord apprendre à peindre en maîtrisant une technique picturale. C’est ainsi que j’allais me retrouver en Chine. Chacun croit que sa vie est unique, et pourtant… »

Ce livre se lit comme un parcours de vie, une mise en route d’une pratique de peinture et il m’intéressait donc à double titre.
Cette jeune femme étudiante aux Beaux-arts, obtient une bourse pour poursuivre ses études en France mais décide de partir en Chine, là où se trouvent encore les maîtres de la calligraphie. Le livre présente une apposition de plein fouet entre l’occident et l’Asie mais aussi entre modernité dans l’art et art au sens noble du terme.

Le livre dévoile les conditions de vie d’une expatriée dans la Chine profonde des années 1980.
Tous, paysans comme étudiants sont surveillés par le parti communiste. La jeune française a refusé tous les avantages d’une expatriée. Ces conditions de vie sont meilleures mais restent spartiates. Elle est éloignée d’office des autres étudiants : ne dort pas en dortoir mais dans une pièce sans fenêtre à côté d’un bureau où un lit a été apporté ainsi qu’une cuvette. Ses démarches auprès des professeurs sont surveillées par son interprète, sa chambre est fouillée par cette veille femme qui passe la ranger, ses allers-venues et ceux de ses amis sont épiés. Les notions d’hygiène et de saleté sont à reconsidérer. Le livre est très subjectif, pas forcément écrit par un écrivain mais la teneur est importante, elle touche de plein fouet : elle parle de sa vie, de ses maladies, de ses tourments, de ces amitiés et de son quotidien au campus, lors des séjours d’études, aux maisons de thé ou en vacances dans la famille de ses nouveaux amis, de ses agressions physiques, des conflits locaux et nationaux, des pressions après révolution culturelle… de ces illusions une fois revenue en Chine en tant qu’attachée culturelle à l’Ambassade.

Fabienne VERDIER est un fort tempérament et le parcours initiatique de son art nous le prouve constamment. D’une part, grâce à lui, de pans entiers de la condition chinoise nous sont révélés. Oui seuls les peintres connaissent la vie des peuples, leur pratique « d’après nature » leur permet de pouvoir se confronter aux ruralités. Et aussi grâce à son imprudence et à sa méconnaissance, des peuples inconnus nous sont présentés, les Yi par exemple. Ces fautes de comportement, ces aléas importants permettent une vision des plus intimistes de la Chine.

*Dürer, La grande touffe d'herbes, qu'il faut à nouveau regarder pour comprendre, après avoir lu le livre

Mais là n’est pas le plus important, je n’ai pas mangé* ce récit autobiographique sur ces éléments là. Ce qui m’a le plus touchée, saisie, anéantie aussi (il suffit de peu de chose, oui, oui, je sais et je me soigne !), est son parcours artistique et surtout de vie.
Toutes les étapes d’apprentissage me sont magnifiques et je sens qu’il me faut vous les présenter, billet après billet. En attendant… Chez un père absent, elle apprend l’humilité, la patience illimitée, aux cours français, elle découvre la calligraphie occidentale comme art de vivre, les techniques contemporaines de l’huile, du chevalet, du dessin d’après-nature.
« Je me suis mise en chemin – c’était une question de survie-, en quête d’une initiation véritable qui m’ouvrirait les portes d’une réalité autre. » : avec sous le bras son viatique « Propos sur la peinture du moine Citrouille Amère » de Shitao, traduit par Pierre Ryckmans, elle part en Chine et j’ai eu envie de la suivre.

Les cours théoriques à l’Ecole chinoise et leurs pendants politiques, son apprentissage des légendes, ses conditions d’artiste comme le matériel commun ou prêté par l’école (cartons à dessins, petit tabouret, thermos pour le thé de la journée, pinceaux, pierre à encre et coupons pour la nourriture), les influences chinoises mises de côté en faveur de celles occidentales, dénigrement des anciens grands maîtres. La jeune Fabienne va vouloir aller plus loin, reprendre l’art de tenir le pinceau, de peindre à l’horizontal, l’art de préparer l’encre et un je ne sais quoi de frondeur et de pertinence vont l’amener à chercher l’enseignement d’un grand maître isolé et oublié, maître Huang Yan. La rencontre est humaine et intense, c’est celle d’une vie, l’apprentissage sera de 10 ans ou rien.
Alors commence une initiation artistique et à la vie. Des arts anciens et des techniques à apprendre et maitriser (marouflage, sculpture de sceaux, utilisation de teinture comme pour la soie, calligraphie), en passant par les philosophies concernées – et concernantes- en faisant sienne une philosophie de vie. « Les penseurs taoïstes de l’Antiquité n’ont jamais parlé d’art et pourtant ce sont eux qui ont fourni la base de notre pensée esthétique : il faut apprendre, puis oublier ce qu’on a appris, retrouver le naturel jusqu’à parvenir à créer sans effort. » Fabienne VERDIER va apprendre les secrets de cet art. Une mise en situation complète, de la pratique du « hua », trait de pinceaux, bâton de calligraphie, pendant des mois, et aussi des apprentissages philosophiques…

« Tu vois, il n’est jamais trop tard pour apprendre et même si, dans la vieillesse, l’étude n’apporte plus une lumière étincelante mais la flamme vacillante d’une bougie, celle-là est encore préférables à l’obscurité. »

Lily m’a mise sur la voie et je l’en remercie. Malice vous en propose une belle mis en bouche . Vous trouverez aussi une très belle présentation beaucoup tournée vers l’art ici.
Pour aller plus loin vous trouverez ici un récapitulatif des étapes majeurs du livre, un compte-rendu de séminaire, lié au livre, sur la pensée chinoise et son art et enfin ici les éléments de l’apprentissage de Fabienne VERDIER à cet art et à la pensée chinoises, très, très bien détaillés autant dans leur délimitation que pour les éléments du caractère de cette française qui ont agit en complément (et peut-être nécessaires à cet apprentissage très dur physiologiquement entre autre).

2 commentaires:

  1. Une très jolie référence ce livre, je ne connaissais pas du tout.

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  2. Mirontaine: j'ai été assez scotchée par cet exil volontaire, bénéfique pour l'art et l'être j'en suis certaine... il en faut des tripes!

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