lundi 30 novembre 2009

Thé au trèfle

« Peut-être retournerai-je un jour dans le premier des mondes où je suis entré. En attendant, j’aimerais en dire quelque chose, ne serait-ce que pour ne pas oublier ce que je suis. » Le superbe livre « Thé au trèfle » de Ciaran CARSON commence ainsi.



Ce livre est extrêmement motivant pour d’autres lectures, relectures, découvertes en culture catholique et en pratiques de peinture. Oui en effet, ce roman long (et pourtant formé de chapitres très courts) va vous déstabiliser un peu. La narration n’est pas rectiligne, les détails foisonnent et se succèdent sans rapport évident avec l’histoire. Les références sont multiples et vous aurez envie d’avoir, pendant la lecture, un livre sur l’hagiographie, les écrits de Conan DOYLE, de Ludwig WITTGENSTEIN, d’Oscar Wilde, de Bertrand RUSSEL ou encore de Keith CHESTERTON. Vous vous intéresserez sûrement à des détails de peinture flamande…ou vous passerez votre chemin très vite. Sinon prisez, fumez, buvez du thé au trèfle...seule la recette de la mère d'Oscar Wilde est la bonne, n'hésitez pas à aller lui demander en mains propres.


Il est question de hasards bizarres qui arrivent à trois enfants: Carson, lui-même, sa cousine Bérénice et Maeterlinck. En buvant un thé, le thé au trèfle, ils sont attirés par un tableau de Jan Van Eick et se retrouvent propulsés dans une histoire de tous les temps. Ce qui m’a le plus envoutée est cet enchevêtrement entre la réalité et l’art. « Ce qui me fait penser à ce conseil de Léonard de Vinci aux peintres : Regardez donc fixement certains murs tachés d’humidité, disait-il. Vous y verrez apparaître des paysages divins, avec des montagnes, des ruines, des rochers, de vastes plaines ; vous y verrez aussi des batailles et des personnages étranges se livrer à des actes violents. » Mais en allant plus loin le choix de prendre en compte chaque détail comme important : « C’est ce qui fait que j’aime que le monde soit lumineux. Vous savez cette façon qu’ont les choses de vous faire signe (…) comme si elles voulaient vous faire partager leur bonheur d’être simplement ce qu’elles sont. »

Le concept de serendipity est des plus fabuleux, l’adulte en reste un enfant à vie…et se remet à lire une autre histoire entre les lignes de celle-ci : « Quelques recherches lui permirent de découvrir qu’il avait été inventé par Horace Walpole, auteur d’un roman gothique intitulé Le Château d’Otrante. Walpole appela serendipity un enchaînement d’événements bizarres et heureux, d’après un conte appelé Les Trois Princes de Serendip, où les princes en question ne cessent, au cours d’un voyage, de découvrir par hasard ou par sagacité des choses qu’ils ne cherchaient pas : par exemple, l’un d’eux découvre qu’un chameau aveugle de l’œil droit l’a récemment précédé sur la route parce que l’herbe n’a été mangée que du côté gauche. »

La lecture de ce livre est un peu confuse par l’accumulation de détails, très intéressants pris seuls, mais la philosophie qui s’en dégage est déroutante : il faudrait considérer notre imaginaire comme une part belle de la réalité…comme une part vraie et non fictive…« En cela vous n’êtes pas sans ressembler aussi aux Français, qui sont nombreux à pouvoir se représenter mentalement toutes les pièces d’une maison imaginaire, comme si les murs et les parquets étaient en verre ; et puis, il y a ceux qui se rappellent des scènes, non d’un point de vue d’où elles ont été observées, mais de manière distanciée, comme s’ils se voyaient acteurs sur une scène de théâtre imaginaire. »
Ou cette anecdote. Marco POLO, à la recherche de licornes, retrouve dans le rhinocéros de Java ce qu’il imaginait de cette créature fabuleuse dans ses romans médiévaux. Les détails différents comptent-ils plus que les points communs ? Et puis que dire de cette inspection sous la table pour vérifier la présence de licorne : « Sans compter qu’il refusait d’admettre qu’un rhinocéros imaginaire pouvait avoir autant de présence qu’une licorne, tout aussi imaginaire. Car l’un comme l’autre peuvent être imaginés et décrits par le langage, qui a le pouvoir de créer des mondes dépassant celui de l’observation empirique. »

Il est difficile de parler de ce livre, pour vous donner envie, n’hésitez pas à aller voir le billet de Béatrix (merci encore) et d’Yvon. Pour un détail artistique, regardez donc Sainte Marguerite et son dragon.

Et puis prenez donc une tasse de thé au trèfle dans cette tasse à thé en porcelaine fine de Belleek décorée de trèfles. En regardant le tableau « Les époux Arnolfini » ou « Double portrait » de Van Eyck il risque de vous arriver des broutilles : un grand voyage dans le temps et la cosmologie catholique. Et si vous voyez une abeille voler autour de vous, ne vous étonnez pas.


« Nous sommes tous impliqués dans l’affaire du thé au trèfle, et du Double portrait, qu’on pourrait décrire comme un moyen de transport. Transport au sens étymologique, du latin translatio, ou transférer, d’un lieu à un autre, ou encore traduire, passer d’une condition à une autre. » Pour ma part je vais continuer à expérimenter mon imagination : « Elle voit l’âme noble du cheval à bascule. Cavalier et coursier ont survolé l’Arabie. Il lui apprend à voler pour qu’elle soit son égal. Quand il mourra, car il doit mourir quand elle sera grande, elle volera de ses propres ailes. »

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