"Comment rendre compte d'une petite fille qui décline les dangers comme autant de comptines dont elle sera bientôt lassée. [...]
Béla scrute ses cernes, son odeur, boit-elle suffisamment entre les entraînements? Et il doit également s'occuper de celles qui forment le décor maintenant, des figurantes: les autres filles de l'équipe. Ennuyeuses, prévisibles, leur peur et leur fatigue qu'elles tentent de dissimuler quand Nadia, elle, est une plante carnivore de dangers dont il faut la gaver. Elle suit ce que son corps dicte, ce corps capable d'inscrire le feu dans l'air, une Jeanne d'Arc magnésique. Elle grignote l'impossible, le range de côté pour laisser de la place à la suite, toujours la suite.
[...]
"Comment dire... Vois-tu chérie, Olga, maintenant, elle a... grandi. Que feras-tu?... Quand tu commenceras à perdre?"
Longuement, l'enfant fixe les femmes. Et d'une esquisse de sourire frondeur, elle s'extrait de l'abîme: "Je ne pense pas à perdre. Ce n'est qu'un début." Alors, attendries, on la laisse à l'enfance et, pour clore, on lui demande de chanter quelque chose en roumain, du folklore peut-être? La petite fronce le nez, se tourne vers sa comparse, elles se penchent l'une sur l'autre, conciliabule de chuchotements, puis, Nadia se redresse dans son fauteuil et, comme une déclaration d'indépendance, un chemin de traverse sans nœuds rouges, elle offre ses joues pâles et nues aux projecteurs e entonne, sans quitter la caméra des yeux: "Je suis un pe-tit gar-çon de bon-ne fi-gu-re je suis un pe-tit gar-çon la be-le a-ven-tu-re ô gué la bel-le a-ven-tu-re."
Autour de Nadia, les chiffres continuent de s'accumuler cet été 1976; cinq mille appels reçus à la Fédération canadienne de gymnastique en moins de trois mois, aux États-Unis, soixante pour cent d'appels supplémentaires aux urgences: celles qui ont voulu "jouer à Nadia" se sont cassé le poignet ou la cheville.
On dirait qu'elles ne craignent rien, de vrais garçons manqués, s’inquiètent les parents des petites filles de l'Ouest qui se suspendent aux branches les plus hautes des arbres et dînent en justaucorps, transpirantes et décoiffées. C'est une phase. Ça leur passera certainement."
(extrait de "La Petite Communiste qui ne souriait jamais" de Lola LAFON, Babel Actes sud; source Sipa Nadia Comaneci)
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