vendredi 9 octobre 2009

Je m'appelle Asher Lev


J’avais lu de lui "Le maître de lecture" et j’étais restée un peu en deçà. Et pourtant, là, j’ai été subjuguée, envahie par les considérations artistiques et religieuses de “Je m’appelle Asher Lev” de Chaïm POTOK.




Nous suivons les réflexions de ce jeune garçon de 10 ans, juif hassidique, épris de dessin. Un jour, cette forme d’expression devient naturelle, comme une respiration. Cependant, les orthodoxes juifs, et à fortiori les hassidims, ne voient pas d’un bon augure cette nouvelle passion.


*source Atelier Schlum (regardez donc les vidéos...cela donne envie d'y mettre nos enfants)


Cela fait quelques temps que rentrer dans une famille juive me touche et dans ce qui construit leurs particularités. J’aime y reconnaitre les différences à être juif, cette distance des ashkénazes par rapport à la religion due à une souffrance familiale extrême, cette soumission des femmes dans la partie orthodoxe traitée par certains, cette philosophie de vie entre réappropriation d’une histoire, orgueil et indifférence et cette transmission réelle, cette communauté non moins présente et la vocation de certains à revenir vers plus de religieux (devrais-je dire plus de spiritualité). Ici nous nous retrouvons dans la communauté fermée des hassidims américains et pouvons nous rendre compte de l’importance du Rèbbe, chef spirituel aux attributs charismatiques et le plus souvent thaumaturgiques. Et puis, grâce au personnage d’Asher, enfant en pleine déchirure entre sa foi et sa passion, nous suivons de manière très explicite les réflexions sur la vocation à être juif, sur les préceptes à retenir.


Loin de certains textes très fermés sur la tradition, ici, POTOK ouvre une fenêtre plus libérale. Les parents, choqués, opposent une répression puis une distanciation douloureuse. Mais plus paradoxalement, c’est le Rèbbe lui-même qui offre une compréhension encore plus large.
Oui, je sais que peindre le corps humain est défendu par la religion et que leur Dieu ne doit pas être représenté donc encore moins peint. Je sais que l’acte de dessiner peut être vu comme une perte de temps, alors considérer qu’être artiste est aussi une profession cela me paraissait assez surprenant dans de telles conditions. Et pourtant…
Voilà bien la force de ce livre…décortiquer le mal, l’acte de peindre, redéfinir ce qui fait d’une occupation enfantine un risque pour la foi et aussi une déchirure indéniable entre l’apprenti peintre et le reste de sa communauté. Jusqu’à quel point son entourage peut suivre les divagations manuelles d’Asher? Et à partir de quel moment Asher devient un mauvais juif? “Selon lui, il y avait trois catégories de juifs: le rosho, celui qui lutte contre le péché et les pensées mauvaises et qui s’efforce de vivre droitement – nous faisons Presque tous partie de cette catégorie, disait-il tristement; le benoni, dont les actes sont irréprochables mais qui n’est pas maître de ses pensées – très peu d’entre nous atteignent ce haut niveau; et le tzaddik. C’est la plus grande grâce que Dieu puisse nous faire; on naît tzaddik, on ne le devient pas. Seuls les tzaddikim sont maîtres de leur Cœur, disait-il en citant le Midrash.”

Ainsi nous suivons le parcours de cet enfant, à travers sa famille, son école, et son entourage plus ou moins attentive à sa passion. Il va aussi devoir faire des choix comme le lui rappelle son maître de peinture : “Comprends-tu ce que tu vas faire? Comprends-tu maintenant ce qu’à fait Picasso? Même Picasso, le païen, a dû le faire! On ne peut pas y échapper. Tu me comprends, Asher Lev? Ce n’est pas un jeu. Il ne s’agit plus de barbouillages enfantins sur les murs. C’est une tradition, une religion, Asher Lev. Tu vas devoir te convertir à une religion qui s’appelle l’art. Elle a ses fanatiques et ses rebelles. (…) Asher Lev, c’est une tradition de goyim et de païens. Ses valeurs sont celles des goyims et des païens. Ses concepts aussi. Son mode de vie également. Dans toute l’histoire de l’art en Europe, on ne trouve pas un seul juif observant qui ait été un grand peintre.” Une belle leçon de tolérance est offerte par les mots même du chef spirituel, de la compréhension du destin affiché et aussi un soutien vers une autre forme de vocation, accompagnée et initiée par le peintre juif Jacob Kahn.

Le second point fort de ce livre est de nous entraîner dans les considérations intimes de l’artiste. Du barbouillage à l’expertise, de l’occupation à l’initiation et au passage en professionnel. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire sur cet aspect de l’artiste: son regard vers les choses. Tous les sujets sont à peindre: Asher et sa maman, en portrait, en silhouette, en situation… en matières et formes, en ombre… en vie et humeurs. L’œil est averti, pertinent, et sait regarder derrière le monde en points, courbes, lignes, ombres et lumières, effets. L’initiation de Jacob Kahn devenu son maitre de peinture me rappelle celle de Fabienne VERDIER : reprendre les anciens, copier, travailler, prendre modèle, puis vivre, transpirer ainsi…
Mais plus encore, retrouver la respiration derrière l’acte: “- (…) Des millions de gens savent dessiner, mais il n’y a pas d’art sans un cri jaillissant d’une façon particulière.
- Sans un éclat de rire aussi. Picasso sait rire.
- Sans un éclat de rire”.
Le matériel, l’atelier, les séances de travail, les attentes professionnelles, les attentes personnelles et les retours des spectateurs sont ici finement saisis. Et derrière les premiers émois en tant qu’artiste d’Asher, nous devenons nous aussi adulte. Les choix de vie mais aussi les rapports familiaux, rapports père/fils mais surtout mère/fils
Chaïm POTOK a eu un rôle important dans la communauté juive, en dehors de son parcours de romancier, rabbin mais aussi apprenti peintre. Il a donc connu au fond de lui ces tiraillements, et c’est sans doute pour cela qu’il a placé dans son œuvre des personnages clefs, juifs observants ou juifs “déchus”, plus inspirés par le respect des aspirations que le maintien de toutes les règles religieuses, soutien de la religion mais aussi ouverts vers le reste du monde. Des maîtres de lecture (cf "Le maître de lecture" ), de peinture, de vie, des soutiens, des accompagnateurs, des guides, des ouvertures aussi, vers la foi et vers l'ailleurs...

“Un jour quelqu’un a demandé comment on pouvait communiquer avec le Maître de l’Univers. On lui répondit ceci : c’est à l’homme de faire le premier pas. Pour qu’il y ait communication, il faut d’abord une ouverture, un passage, aussi petit soit-il. Cette ouverture dépend de l’homme seul : c’est à lui de faire le premier pas. Alors le Maître de l’Univers pourra se glisser en quelque sorte dans cette ouverture et l’agrandir.” Est-ce que peindre en ajoutant des références au christianisme est un cadenas à toute porte ouverte vers le Maitre de l’Univers juif? Vous pouvez ainsi lire ce billet pour retrouver un des points forts du livre et une œuvre artistique en particulier, celle ci-dessous …je vous recommande cependant d’aller le lire après avoir lu le livre.

*source oeuvre de Chaïm POTOK, Asher...

Si vous voulez en savoir plus sur le rapport à la religion, l’importance des écrits de Chaïm POTOK sur ce qui fait du judaïsme une vocation et non une soumission, sur le déchirement entre aspiration et foi n’hésitez pas à lire ce billet. Et retrouver l'extrait sur la différence d'impressions entre la visite d'un atelier et celle d'un musée ici.

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