mercredi 29 juillet 2015

Le serpent d'eau

L'univers de Tony SANDOVAL est bien mystérieux. Je le découvre avec "Le serpent d'eau".

© Tony SANDOVAL/ Paquet

Une jeune fille un peu gauche, Mila, en rencontre une autre, Agnès, lumineuse, souriante. Elles vont devenir amies. L’exubérante entraine sa comparse dans des farces, cachées sous leurs masques de renard et de lapin, puis dans d’autres mystères. Les belles dents d'Agnès auraient une vie propre. Démarre alors une aventure pour qu'un prince des eaux survive et pour que deux adolescentes se retrouvent.
© Tony SANDOVAL/ Paquet

Ce conte onirique nous entraine dans des contrées fantomatiques. Les dents sont de magnifiques jeunes filles et les ennemis de monstrueuses versions canines dégoulinantes. Les deux amies vont se retrouver à descendre dans l'eau, dans les profondeurs. Agnès est-elle présente, vivante, fantôme, réalité ou rêve? Les deux se confrontent aux peurs, aux dégoûts et aux envies. Le récit est à la fois une réalité de jeunes adolescentes, puis une entrée dans un rêve et des combats fantastiques et sanguinolents.
Mila est séduite, la relation est sensuelle. Un baiser pas si chaste mais plus fantastique qu'érotique est là pour nous entrainer dans cette amitié particulière.
Derrière le fantasmagorique se cache une réalité de l'adolescence. Elle y est décrite comme un temps de doute, d'incompréhension avec les parents, de solitude. Le thème de la mort, de la disparition est aussi subtilement abordée.

© Tony SANDOVAL/ Paquet

Le choix des illustrations prises en photo ne reflètent que très peu l'univers de Tony SANDOVAL mais elles marquent bien cet abattement de l'adolescence, avec ce vieillard été que se rabougrit. Le dessin est bien plus sensuel et sauvage. D'une douceur incroyable pour décrire ses adolescentes, il déploie une noirceur dans le combat: des créatures monstrueuses côtoient des femmes gothiques et le sang gicle. Je vous en réserve quelques unes à part.
Cette bande dessinée fantastique offre une belle réflexion sur l'adolescence et l'amitié.


vendredi 24 juillet 2015

De quels atomes sommes-nous faits? La matière, ce qu'on ne sait pas encore...

Encore une fois je me suis laissée emportée par cette collection "Sur les épaules des savants" qui permet d'aller au coeur des sciences avec beaucoup d'entrain.

© Anna ALTER avec Étienne KLEIN et illustré par Thanh PORTAL/ Le pommier


"De quels atomes sommes-nous faits? La matière, ce qu'on ne sait pas encore..." d'Anna ALTER avec Étienne KLEIN et illustré par Thanh PORTAL nous transporte dans les poupées russes de la matière.
Nous est présenté ce qu'elle est. Tout est matière, ce que nous voyons, touchons, mangeons, buvons et même ne voyons pas. Ses propriétés physiques. Le physicien nous amène aussi à considérer les phénomènes la concernant et restant un mystère, comme celui de Mpemba (un jeune tanzanien qui découvre que l'eau chaude glace plus vite que la froide).
Puis nous entrons dans la matière, avec les atomes et leur taille, leur disposition, leur noyau et le tableau périodique. Nous continuons la progression avec les neutrons et les électrons, puis les quarks. Avec toutes les imprécisions dues aux recherches relativement récentes.
Après ce voyage, les auteurs nous présentent les 4 forces en action, gravité, électromagnétique et forces faible et forte. Les deux dernières, peu compréhensibles encore même par les scientifiques entrainent vers la matière noire, encore un grand mystère.

© Anna ALTER avec Étienne KLEIN et illustré par Thanh PORTAL/ Le pommier

Même complexes les notions sont amenées assez simplement. Ce n'est pas dit que tous les lecteurs comprennent l'ensemble à la première lecture mais les métaphores sont nombreuses.
Comme à chaque fois, le chapitrage et la redondance poétique des titres de paragraphe est très bien vu. Le texte est en paragraphes extra courts, les idées sont reprises plusieurs fois pour une meilleure compréhension. Peu à peu quelques éléments sont intégrées amenant les autres.
Le parti-pris de montrer les avancées scientifiques et aussi, beaucoup, les inconnues est une magnifique réflexion sur nos connaissances. L'enfant découvre ainsi que le monde se comprend aussi en fonction de l'évolution des sciences et qu'une part encore très importante reste à explorer: il peut se poser des questions auquel encore personne n'a de réponse.

© Anna ALTER avec Étienne KLEIN et illustré par Thanh PORTAL/ Le pommier

Le choix d'illustrer avec beaucoup de petites images histoires permet aussi de mieux appréhender le contenu. Thanh PORTAL offre ainsi une chasse aux quarks et une bouteille de noyaux d'atomes impossible à bouger par le chat et l'oiseau bien sympathiques.


mardi 21 juillet 2015

Nanouk et moi

Vous vous souvenez de ce film documentaire, "Nanouk l'esquimau"? Je l'avais vu enfant, j'ai aussi lu des livres sur ces peuples du froid, de la fiction et des essais. Alors "Nanouk et moi" de Florence SEYVOS arrivait en terrain conquis.


Thomas a rendez-vous avec le docteur Zblod pour parler de ses cauchemars. Thomas ne sait pas quoi dire, il lui faut faire attention aux mots et avoir confiance. Et puis ses cauchemars se font le jour et dépendent d'un homme inconnu. Nanouk l’esquimau est mort, une phrase au début du documentaire le dit. Thomas est si triste qu'il pourrait se noyer.
Le docteur le prend au sérieux. Ils parlent de leurs conditions de vie, des températures, de la chasse où Nanouk/ L'ours est reconnu. Ils évoquent le désarroi de la famille en deuil de Nanouk. Peu à peu ils égrainent les tristesses, vécues et ressenties et l'adulte l'amène à évacuer le trop plein. Grâce à lui, Thomas va être joyeux, même un peu trop, et trouvera lui aussi son ours.

"Je me suis réfugié contre la cloison et j'ai pleuré avec un chagrin comme je n'en avais jamais connu. Un chagrin dont je ne voyais pas le bout. Je me rappelle avoir pensé que j'étais trop jeune et trop seul pour affronter un tel chagrin. Il était au-dessus de mes forces. Peut-être est-ce la définition du chagrin."
La force de ce petit roman n'est pourtant pas tant l'évocation de ce chasseur qui a vraiment existé, vécu durement et est mort de froid, de fatigue ou de faim très jeune. Ce sont les émotions ressenties par l'enfant, sa sensibilité, son rapport à la mort.
La mise en confiance, la relation d'égal à égal, même si Thomas est un enfant et que le docteur le lui rappelle bien, tout cela aide Thomas a réagir, seul mais accompagné. Les angoisses et l'hypersensibilité sont décrites, posées, dépassées. La tristesse exceptionnelle fait place à la triste normale.

vendredi 17 juillet 2015

La chaise numéro 14

Maria Salün n'a pourtant pas fait grand chose. Juste tomber amoureuse d'un homme. Qu'il soit lieutenant allemand en période de guerre n'est qu'un détail. Non. Aux départs des occupants ennemis, Frantz s'en va, la laisse seule sans promesse. Et les français demandent réparation. Sur une chaise numéro 14, empruntée au restaurant paternel, Antoine va officier la tonte.
Elle aurait pu arriver honteuse, penaude sur son échafaud. Non, elle n'a pas trahi. Seuls leurs cœurs (français et allemand) ont réagi et seul le contexte leur donnait tord. Elle arrive dans la robe de mariage de sa défunte mère, cheveux roux tombant sur ses épaules. Cette apparition trouble même ceux venus se rincer l'oeil.
Et puis Maria dit non, à l'injustice de cet acte mais aussi à cette honte qu'elle serait obligée de porter dorénavant. Elle va réclamer sa dignité, un pardon, en procession puis en silence, yeux dans les yeux. Ils sont sur sa liste. Dans sa quête, Maria trouvera des amis, des soutiens, des pardons.

"Toutes les tondues n'appartiendraient donc pas à la même espèce? Il y aurait, parmi elles, des fleurs sans pétales et tout en tige, d'autres telles de grandes herbes, des folles avoines, des blés, des oiseaux à tête déplumée? Serait-on oiseau, herbe ou fleur selon sa nature ou bien selon son degré de compromission avec l'Allemand?" L'écriture de Fabienne JUHEL ne se contente pas de nous proposer le thème des tondues mais celui des convenances, des prises de décisions faciles et des à-priori.
Maria est magnifique, auréolée de sa chevelure de feu, mais aussi sans, le crane chauve et les yeux fougueux de vengeance. Elle est le charme, la sensualité, la femme non atteignable, l'innocence de celle qui n'a pas perdu à la guerre sans jamais sacrifier les autres. Elle est le symbole de frustrations.
Les tondues sont les victimes d'un acte de rébellion après-coup. Les réactions à la guerre, la haine, la peur ou la passivité prennent des formes d'agressions gratuites variées. Avec une héroïne sans culpabilité, l'auteure nous parle de cette injustice des discriminations (de traitements en fonction de la couleur de peau aussi).
Maria ne demande pas le pardon aux seuls acteurs ou spectateurs consentants de l'acte d'épuration, elle va chercher ceux qui alimentent la haine quotidienne ou qui restent passifs.
Et puis il y a cette réflexion sur le pardon, sur la honte. Ce cheminement aussi sur ce que nous subissons des autres et les blessures que nous choisissons de refermer.

Comme toujours Fabienne JUHEL offre avec ce nouveau livre "La chaise numéro 14" un roman fort et une écriture charnelle, sensitive et impressionniste magnifique.

Merci aux éditions Rouergue et à l'opération Masse critique Babélio.
tous les livres sur Babelio.com

mercredi 15 juillet 2015

Le lettré indien, un "pandit" musicien - Le Grand Livre des Sciences et Inventions Indiennes


"En Inde, le savoir est plus oral qu'écrit. L'enseignement est un art de la parole: le maître récite des textes et les disciples les répètent. Le savoir est confié plus volontiers à la mémoire d'un homme qu'aux rayonnages d'une bibliothèque. [...] Le pandit n'est pas un "peintre", comme le lettré chinois ou arabe, qui aime dessiner, calligraphier lettres et mots. C'est avant tout un "musicien", un chanteur même! Il apprend un texte toujours de la même manière: d'abord, la phrase sans aucune pause (la musique), ensuite en séparant les mots (le sens), ensuite par paire de mots, etc. Le texte se retient comme une mélodie et se travaille comme une gamme."

(extrait de "Le Grand Livre des Sciences et Inventions Indiennes" de Samir SENOUSSI, Jérôme PETIT et illustré par Emmanuel CERISIER, Bayard jeunesse)

mardi 14 juillet 2015

"Tu es vraiment spéciale! - Le serpent d'eau


Un véritable petit serpent noir.
[...]
Je vais te montrer une chose charmante, voire même magique... tout dépend de toi."

(extrait du "Serpent d'eau" de Tony SANDOVAL; Paquet éditions)

***
ou comment une bouche et de belles dents blanches ouvrent une parenthèse mélancolique, sensuelle et un peu sauvage de l'adolescence.

lundi 13 juillet 2015

Apprendre à s'aimer - Le beau selon Ninon


"[...]
- Si la beauté est dans le regard, l'important, c'est surtout le regard qu'on a sur soi-même.
- Comment ça?
- Il faut apprendre à se trouver beau, sans attendre les autres.
- Facile à dire.
- Tu te trouves belle, toi?
- Ça dépend des jours.
- Et tu ne trouves pas ça étrange? Tu ne changes pas tout le temps!
- Parfois mes cheveux ne se mettent pas bien... quand j'ai mal dormi.
- C'est aussi que quand tu as mal dormi, tu es de mauvaise humeur!
- Oui, c'est vrai.
- Tu vois, ta vision est influencée par ton état d'esprit.
[...]"

(extrait de "Le beau selon Ninon" d'Oscar BRENIFIER et illustré par Delphine PERRET; Autrement)

dimanche 5 juillet 2015

"Un "non" singulier, telle une onde de choc qui essaimait, se démultipliait au passage." - La chaise numéro 14

"Parce que le coiffeur n'avait pas osé dire "non", lui. Elle, si. Elle avait dit "non" de tout son corps et de tout son poids, le dos droit, le corps ancré au sol.
Elle avait dit "non" avec ses yeux grands ouverts qui voyaient le ciel - personne ne pouvait l'en empêcher -, les goélands, les nuages et, à travers le battement de ses cils, les fourmis sur le pavé, d'autres insectes caparaçonnés dont elle ignorait le nom mais qui, à cet instant, la passionnaient follement parce qu'ils l'emportaient dans leur monde minéral et souterrain. Un monde où un grain de poussière pouvait provoquer de véritables éboulis tandis que les catastrophes humaines devenaient, à l'échelle de ces insectes, des mythes.
Elle avait dit "non", mâchoire serrée, entre ses dents. Elle avait dit "non" adossée à sa chaise avec la barre cintrée qui lui sciait les omoplates, imprimait un sillon dans ses chairs.
Surtout, Maria Salaün avait dit "non" avec la robe blanche de fiançailles de sa mère.
Parce qu'on pouvait dire "non" de toutes ses forces, sans crier."

(extrait de "La chaise numéro 14" de Fabienne JUHEL, éditions Rouergue)