mardi 31 mai 2011

Expéditions dans les mers du sud

"Expéditions dans les mers du sud" de Danielle CLODE retrace 40 ans d'expéditions faites par les français dans les mers australiennes.

L'auteur a eu la bonne idée de proposer cette histoire des sciences sous l'angle de l'humain, que Danielle CLODE appelle "histoire interne", beaucoup plus que dans son contexte politique ou même les "limites de la science" d'avant les grands fondements : "Le processus d'"inconnaissance" que demande ce genre d'histoire est particulièrement difficile pour les scientifiques pour qui l'accumulation des connaissances fait partie de la formation. Et il est particulièrement difficile pour les biologistes dont l'accès au passé est bloqué par une montagne, le darwinisme, et dont la science est dominée par le paradigme premier de toute science biologique moderne: l'évolution par la sélection naturelle. Est-il vrai que tous les chemins mènent à Darwin?"

Les expéditions françaises ont eu pour objectif la découverte scientifique et non la colonisation. A travers les pages se lit les premiers questionnements sur la biologie ou la zoologie. La naissance de ces sciences apparait dans toute leur dimension politique, de pouvoir, budgétaire mais aussi dans leur approche du merveilleux et de l'inconnu avec les défis humains et physiques. D'activités loisirs des riches, ces sciences deviennent des démarches rationnelles et constructives.
Chaque chapitre apporte un élément d'une expédition sous l'angle de vue d'un des personnages importants. La biographie sommaire en début de chapitre permet de resituer l'homme ou la femme dans une chronologie globale. Cependant (et c'est judicieux) les inter-relations entre les investigateurs, relatées dans ces "fictions réelles", restent périodiques et contextuelles et nous aident à construire une histoire des sciences dans la pérennité des traces écrites: le découvreur n'est pas toujours celui que l'on croit (ou reconnu comme tel par les instances) et les étapes dans la découverte sont alors unes à unes dégagées.

En dehors de quelques libertés prises sur la vérité, c'est obligé, j'ai trouvé ce postulat de fiction par personnage des plus convaincant pour amener la tension humaine. Les ambitions, les haines, les amitiés, les aides et croches-pieds, les prises de pouvoir dans le Muséum etc.
Il fallait une certaine force d'esprit, voire une folie, pour partir à la découverte scientifique. Partir dans des bateaux pour quelques années et dans des mers inconnues. Même si les objectifs étaient quelquefois bien de prouver le pouvoir du dirigeant, les navigateurs sont des passionnés et ne se ménagent pas.

Pour les férus des sciences, l'apport est aussi important. D'une part pour l'ampleur des expéditions: nous découvrons ainsi une vingtaine depuis 1790 avec la recherche de La Pérouse jusqu'à 1840 avec la découverte de l'antarctique par Dumont d'Urville.

*source expédition de La Pérouse (avec le périple expliqué)

Mais aussi pour les détails du matériel employé. Il est aussi question des découvertes en elles-même, des partis-pris, des hésitations à rencontrer les autres, explorateurs étrangers ou autochtones. Une cartographie apparait, des peuples se dessinent et une faune et une flore nous émerveillent dans leur aspect inconnu. Il est beau de découvrir le premier regard sur une taupe d'eau (un ornithorynque), de constater les mesures de récolte, d'imaginer les planches de dessin etc.
Les notes en fin de livre sont si nombreuses que je les imagine satisfaire les plus connaisseurs.

C'est l'esprit du siècle des Lumières qui nous est conté avec des personnages importants: un Louis XVI géographe dans l'âme et un Napoléon explorateur, une Joséphine Bonaparte botaniste, un Darwin chasseur, sans compter tous les autres scientifiques et explorateurs.

Une très belle proposition reliant une histoire d'aventure avec l'histoire des sciences et des hommes de sciences et d'exploration.

dimanche 1 mai 2011

Comme une soudaine envie de voler: carnet de curiosités de Magnus Philodolphe Pépin

© Thierry DEDIEU/ Plume de carotte

C'est vrai que le fait de voir son nom quelque part me donne envie de m'arrêter, de regarder, d’ouvrir les pages et de lire la première phrase. Ses propositions d'albums sont d'un éclectisme surprenant et je suis harponnée très souvent. "Comme une soudaine envie de voler, cabinet de curiosités de Magnus Philodolphe Pépin" de Thierry DEDIEU arrive à un moment propice, des rêves d'envol ponctuent certaines nuits du lutin.

© Thierry DEDIEU/ Plume de carotte

Ce tout petit entomologiste regarde la nature de près et va fantasmer voler comme une coccinelle. Il n'est pas bien lourd alors il pense que cela sera facile. Avec son compagnon le grillon, il fera l'expérience de la pesanteur en poursuivant sa quête.
De l'observation de la nature, des élytres du coléoptère, en passant par les akènes des arbres tournoyant au vent, puis les ailes des oiseaux, découle des machines humaines et inventives. Le propos est drôle, nous suivons avec délice les folies de ce petit scientifique, mini Leonard DE VINCI.
J'y retrouve la rigueur de certains éléments naturalistes avec une aventure pleine de saveurs, de possibles. C'est aussi une superbe présentation du regard scientifique et inventif: de quoi observer, inventer et rêver encore.

© Thierry DEDIEU/ Plume de carotte

Le livre est esthétiquement très fort. J'aime ces pages très colorées qui nous rappellent les planches d’illustrations de BUFFON, j'aime ces dessins "techniques" et photos où apparaissent les détails (os, structures, schémas de construction). DEDIEU propose un savant mélange de crayonnés lors des vols, de croquis à l'encre et de couleurs, permettant vraiment de suivre l'histoire et de savourer aussi le livre comme une planche naturaliste.