lundi 30 novembre 2009

La pomme rouge


Je me suis laissée aller à une énième lecture de ce déploiement amoureux, « La pomme rouge » de Francis GARNUNG.



Ce livre m’est important, trouvé sur un étalage de bibliothèque avec une petite phrase d’accroche laissée là par un bibliothécaire éclairé, je l’ai lu, fébrile, troublée et impatiente. Je l’ai acheté aussitôt et il m’a suivie depuis dix ans. A la seconde lecture, j’ai été impressionnée par les exercices de style et cet effeuillage du sentiment amoureux ou mieux des attirances pour l’autre sexe comme dévoilement de la sexualité. Je l’ai relu pour y lire entre les lignes des demandes, de l’ « irrespect » comme vraie démarche amoureuse…être en deçà de la morale ! Comme je vous le disais, je l’ai offert, acheté et prêté…et je continuerais.
Je l’ai relu aussi parce que la première lettre de ce roman épistolaire que je dévoilais en attendant un billet plus construit à provoquer des lectures et de magnifiques billets, d’Holly golightly tout d’abord, et de Lily après (il fallait bien que je lui propose cette lecture). J’ai eu envie de vous laisser mon ressenti, ou du moins celui de cette lecture, différente de celles des anciennes ou des prochaines, tellement ce livre est riche de niveaux.

Il s’agit là des lettres écrites par François, la trentaine, à sa voisine de 13 ans, Guillemette. Il s’éprend de cette enfant, en la regardant par la fenêtre, en suivant ses activités de gamine. Il lui écrit pour donner plus de contenance à ses avances, les lettres arrivent par la poste, il faut qu’elle aille les chercher en cachette, cela rajoute au consentement mutuel : « Car il faut que les mots d’affection se promènent, prennent l’air, et roulent comme les pierres qui n’amassent pas mousse, cette horrible moisissure des choses mortes. N’est-il pas ? comme disent les Anglais. » L’effeuillage du sentiment amoureux est aussi l’effeuillage sensuelle de cette enfant, aux débuts de sa puberté, de cette biche aux aboies et si consentante en fait. Ce « satyre » est en fait beaucoup plus irrespectueux que l’amoureux de « Lolita » de Vladimir Nabokov. Mais de cet irrespect de l’amour : ce n’est pas un comportement vicieux, profiteur mais plutôt un révélateur, un amoureux du passage de l’enfance à l’âge adulte.

Ne vous méprenez tout de même pas, les intentions sont là, les termes sont justes sans être outranciers ni trop crus. Les gestes amoureux prennent corps mais là aussi l’amour est à concevoir dans sa totalité. François est un « ruminant » de l’amour : il décortique avec poésie, fébrile, tous ses émois, les détails sensuels, visuels, les aléas d’absence et de présence qui rythment et donnent de l’élan dans la relation. « Le loup est un poète. Il aime ce qui est beau. Il aime ce qui est bon. Et n’est-ce pas la même chose ? Ce qu’on lui reproche, c’est de ne pas faire semblant. Sa poésie, il l’a dans la peau, et il la nourrit. » Guillemette devient une muse, comme celle d’un peintre, curieux de révéler au grand jour (ici à son cœur attentif et détruit de trop d’attente) les plus belles beautés : ses postures de danseuse en tutu et ballerines, sa bouche sanguine comme mordue et ses poses alanguies pleines de suggestion que son auteur n’assume peut-être pas encore.
Nous suivons grâce aux lettres de cet homme (sans jamais lire les réponses de la demoiselle, ni vivre réellement leurs rencontres) les étapes pour apprivoiser une enfant. « Une amitié ne peut germer qu’à l’ombre, dans une serre chaude, au creux d’une main. Il faut un secret entre nous, même un secret de polichinelle, pour nous unir. » Les lettres doivent être brûlées ! C’est surtout un retour à cet émerveillement de l’enfance : des taquineries, des inventions fantasques (comme de voyager à l’insu de tous en prenant un train tellement long que quand la locomotive arrive à la gare d’arrivée, le dernier compartiment est à la gare de départ), des jeux de mots juste pour rire, des effets de style pour le plaisir, des activités enfantines et des défis de vie spontanée (un duel aux billes ou un jeu de marelle comme baromètre des audaces). Pas de mauvaise retenue, du sérieux dans tout et aussi de la rigueur dans la démarche…créer son propre conte, en savourer tous les instants (comme de goûter les pâtes lors de la cuisson par bouchée entière et ne garder presque plus rien pour le moment « légal » de dégustation !).

Quelques lectures ont été plus anxieuses. L’amoureux marque un certain dégoût pour la femme, y préférant une enfant pas encore formée, à peine nubile : « le mot femelle qui rime avec mamelle est trop horrible. C’est une chaleur trop moite et enveloppante, à la fois offerte et imposée, inévitable. » La femme aurait été « encrassée », « engraissée » d’une féminité « onctueuse ». Moi si pulpeuse, si déformée par la féminité, je lisais entre les lignes une horreur à être devenue adulte. En relisant (maintenant que je suis aussi déformée par la maternité), j’ai l’impression de m’être méprise. Ce n’est pas tant le corps de la femme qui insupporte François mais bien cet « allant de soi » sexuel, cette convention, ce choc des corps inévitable. Ce serait que suivre un chemin tout tracé, déjà suivi par d’autres, non dynamique, non créatif, la femme a un jus trop sucré : « Combien je préfère l’acidité à ce jus sucré ! Il n’y a pas si longtemps, à la campagne, je considérais avec envie la première et unique cerise d’un arbrisseau. Je n’ai pas pu résister au plaisir d’y mordre ( …) il m’a semblé que j’aspirais directement toute sa sève rafraîchissante, et que je la stimulais. » L’androgynie est peut-être aussi là en rapport avec ses amours passées, cette petite fille quand il était petit garçon, cet amour non achevé, même pas entamé et pourtant si bien ébauché. Le temps, personnage à part entière du roman comme le souligne si bien Lily, l’a fait vieillir dans son corps et ses attentes quand son amour est resté le même…il recherche l’objet d’amour inchangé.

*source photo du film "Pretty baby" de Louis MALLE avec Brooke Shields

La question de la morale revient souvent. Il s’agit bien des angoisses de François par rapport aux regards des autres, mais plus dans leur méprise que dans leur compréhension. Il est admis d’une grande personne qu’elle soit le parent, l’éducateur, le « répétiteur » mais pas qu’elle reprenne le chemin de l’enfance. Son corps est devenu sexué et propre à la consommation et ses attentes ne peuvent être que charnelles en tant qu’ogre sexuel. François cherche, fouille, revient sur ses pas, ses pensées, ses gestes, il se retient. Il se dit carnassier mais aussi la proie de ses tourments.
La morale voudrait que nous ne voyions là que le satyre, poussant une enfant à la faute. Effectivement, il essaye de la rendre consentante aux gestes des grands, il cherche l’éclosion de la femme. Elle l’est, consentante, peut-être plus du jeu de séduction que des gestes, mais elle se sent en sécurité tout de même : cet homme est l’élément stable, sa mère ne la voit pas grandir, lui la voir s’épanouir. Il se délecte d’elle, oui, mais n’est pas le plus coupable. Que dire de cette mère qui encourage les entrevues, lit peut-être les lettres dès le début, profite de cette présence masculine, joue de sa séduction, utilise cet homme. Est-elle si dupe ?
Mais le temps et les insinuations ramènent au devant de la scène la réticence, la mesure. La notion de péché fait son apparition, elle est inculquée par les autres et par le temps mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ou bien de l’amour d’un homme qui ne veut pas grandir, que les attitudes des adultes effraient par leurs caricatures. La victime devient alors François, victime de son amour, de la morale et du temps : « Où pourrais-je me sentir en sécurité, si chaque geste est irréparable et manque son but ? Que vais-je faire alors de mon amour, avec mes pattes d’ours ? Et quelle mascarade je nous prépare ? »Même s’« il est impossible de faire entendre raison aux gens raisonnables et résonnants », François me parait s’être fourvoyé dès le début : à vouloir revivre son amour de jeunesse et prendre sa revanche sur le temps, il a été le loup dans la bergerie mais surtout la victime de l’utopie du pouvoir salvateur de cette enfant. Elle était jeune mais la puberté arrivant, le temps des premières initiations se finit et la sève se tarit. Le loup et le chaperon rouge ont tous les deux goûté au fruit défendu comme nous le lit si bien Holly golightly.
*source Claire Wendling (sensualité entre cette créature, qui préfère se faire mal que de toucher à elle, et cette enfant)

Mais qu’est-ce que j’aimerais que Guillemette est répondu par l’affirmatif à François quand il lui a dit : « et puisqu’il te faut des remord à tout prix, remords, à pleines dents ! »

Pékin est mon jardin

« Enfin maman eut une idée. Elle dit avec un ton de doux reproche :
- John, tu en as mis du temps pour trouver une boite d’allumettes.
- Les allumettes, ça n’est rien, répondit papa, le plus difficile c’était la boite »
Raymond QUENEAU

« Pékin est mon jardin » de Lisa BRESNER est une très belle lecture qui vous tient même bien après.


Une de ses amies dit de son œuvre qu’elle est d’une richesse incroyable. Je confirme que chaque page offre pêle-mêle des inventions, des réflexions, des beautés.
Nous arrivons dans la vie d’une jeune fille de 13 ans, Lu, intelligente et en dehors des normes établies. « Si j’écris, c’est aussi parce que je ne vais pas faire mes devoirs ce soir. Je n’ai rien appris aujourd’hui. Les blouses courtes (c’est comme ça que j’appelle mes profs) racontent que j’ai trop d’imagination, mais que je ne suis pas en échec scolaire. Ils m’ont rangée dans la catégorie des cas à surveiller. » Son père part après une dispute familiale juste avant de lui offrir son cadeau d’anniversaire…un cadeau qu’il a commandé dans le magasin chinois d’en face, celui qui tente tellement Lu.
Sur les traces de son père parti en Chine (mais qui reviendra la chercher pour l’y emmener, c’est sûr) et de ce cadeau en attente, l’auteure nous offre un tableau de quelques années…de ses quelques années peut-être.
Lily vous met l'eau à la bouche.

Ce livre fourmille de mots justes, de réflexions sur l’existence, l’amour et la passion, la Chine, la spiritualité chinoise et l’écriture. Des figures découpées dans les livres références d’une thèse pour que l’auteure de cette dernière soit obligée de les ouvrir et non de les épousseter par convenance. De la vie quotidienne détaillée comme un tableau, rempli de sens, de la toilette jusqu’à la manière de cuisiner… « (…) tout était posée par terre. Il n’y avait ni chaises ni tables ni étagères, pas le moindre meuble pour poser un objet ou un membre. Seuls le coffre et notre lit trônaient au milieu de la pièce. Le premier m’était inaccessible, le second m’était offert. Ce lit, qui occupait le centre comme la Cité interdite au milieu de Pékin, déterminait la distribution de nos ustensiles et de nos rôles quotidiens. Nous vivions assis par terre, accroupis sur nos talons, allongés, étirés, sur les genoux. Nous étions sans cesse dans une position qui rappelle celle de tous les hommes qui prient un dieu dans ce monde. »


*source photo

De peinture comme un paysage vivant, fait du souffle de vie : « - D’une toise sont les montagnes, d’un pied les arbres, d’un pouce les chevaux, d’une ligne les hommes. Lointains, les arbres sont dépourvus de branches ; lointaines, les montagnes sont privées de rochers ; lointains, les hommes n’ont pas d’yeux… Connais-tu la merveilleuse histoire de ce peintre dont le paysage était si parfait qu’il était entré dedans et s’y était perdu ? »

Lisa BRESNER, l’auteure, est morte il y a peu, à moins de 40 ans. Sinologue, passionnée et professeur de chinois, calligraphe à ses heures « non » perdues, elle nous laisse quelques livres qu’il faut s’empresser de lire…pour apprendre sur la Chine mais surtout sur nous.
« - Je me sens comme un œuf ou comme un œil que l’on a planté dans la terre. Après, il pousse et je grandis en arbre avec des feuilles blanches autour. Tout le monde vient m’écrire dessus…
- Tout le monde ?
- Oui, parce que le vent emporte tout sur son passage ! Il est invisible, personne n’hésite à parler ou à mentir, car nul ne peut deviner sa présence. C’est du vent ! dit-on toujours. Mais attendez que ce souffle invisible se lève et déchaine une tempête, lui qui a retenu toutes les phrases belles ou regrettables, lui qui n’a pas besoin de mémoire pour se souvenir, lui qui n’a pas besoin de corps pour tout détruire ! Oui, c’est bien la puissance du vent ! C’est lui qui souffle dans mes branches toutes ces phrases belles ou regrettables. Alors, je deviens chargée d’histoires sans le vouloir, c’est ainsi depuis ma naissance. Attendez, monsieur, ça c’est l’histoire de ma vie, pas celle de ma tête ! »

Je ne peux que vous enjoindre de visionner toutes les vidéos proposer par le profil Lisa Bresner, de visiter le site de l'auteure

« J’ai l’impression de vivre avec trop de sens »

Thé au trèfle

« Peut-être retournerai-je un jour dans le premier des mondes où je suis entré. En attendant, j’aimerais en dire quelque chose, ne serait-ce que pour ne pas oublier ce que je suis. » Le superbe livre « Thé au trèfle » de Ciaran CARSON commence ainsi.



Ce livre est extrêmement motivant pour d’autres lectures, relectures, découvertes en culture catholique et en pratiques de peinture. Oui en effet, ce roman long (et pourtant formé de chapitres très courts) va vous déstabiliser un peu. La narration n’est pas rectiligne, les détails foisonnent et se succèdent sans rapport évident avec l’histoire. Les références sont multiples et vous aurez envie d’avoir, pendant la lecture, un livre sur l’hagiographie, les écrits de Conan DOYLE, de Ludwig WITTGENSTEIN, d’Oscar Wilde, de Bertrand RUSSEL ou encore de Keith CHESTERTON. Vous vous intéresserez sûrement à des détails de peinture flamande…ou vous passerez votre chemin très vite. Sinon prisez, fumez, buvez du thé au trèfle...seule la recette de la mère d'Oscar Wilde est la bonne, n'hésitez pas à aller lui demander en mains propres.


Il est question de hasards bizarres qui arrivent à trois enfants: Carson, lui-même, sa cousine Bérénice et Maeterlinck. En buvant un thé, le thé au trèfle, ils sont attirés par un tableau de Jan Van Eick et se retrouvent propulsés dans une histoire de tous les temps. Ce qui m’a le plus envoutée est cet enchevêtrement entre la réalité et l’art. « Ce qui me fait penser à ce conseil de Léonard de Vinci aux peintres : Regardez donc fixement certains murs tachés d’humidité, disait-il. Vous y verrez apparaître des paysages divins, avec des montagnes, des ruines, des rochers, de vastes plaines ; vous y verrez aussi des batailles et des personnages étranges se livrer à des actes violents. » Mais en allant plus loin le choix de prendre en compte chaque détail comme important : « C’est ce qui fait que j’aime que le monde soit lumineux. Vous savez cette façon qu’ont les choses de vous faire signe (…) comme si elles voulaient vous faire partager leur bonheur d’être simplement ce qu’elles sont. »

Le concept de serendipity est des plus fabuleux, l’adulte en reste un enfant à vie…et se remet à lire une autre histoire entre les lignes de celle-ci : « Quelques recherches lui permirent de découvrir qu’il avait été inventé par Horace Walpole, auteur d’un roman gothique intitulé Le Château d’Otrante. Walpole appela serendipity un enchaînement d’événements bizarres et heureux, d’après un conte appelé Les Trois Princes de Serendip, où les princes en question ne cessent, au cours d’un voyage, de découvrir par hasard ou par sagacité des choses qu’ils ne cherchaient pas : par exemple, l’un d’eux découvre qu’un chameau aveugle de l’œil droit l’a récemment précédé sur la route parce que l’herbe n’a été mangée que du côté gauche. »

La lecture de ce livre est un peu confuse par l’accumulation de détails, très intéressants pris seuls, mais la philosophie qui s’en dégage est déroutante : il faudrait considérer notre imaginaire comme une part belle de la réalité…comme une part vraie et non fictive…« En cela vous n’êtes pas sans ressembler aussi aux Français, qui sont nombreux à pouvoir se représenter mentalement toutes les pièces d’une maison imaginaire, comme si les murs et les parquets étaient en verre ; et puis, il y a ceux qui se rappellent des scènes, non d’un point de vue d’où elles ont été observées, mais de manière distanciée, comme s’ils se voyaient acteurs sur une scène de théâtre imaginaire. »
Ou cette anecdote. Marco POLO, à la recherche de licornes, retrouve dans le rhinocéros de Java ce qu’il imaginait de cette créature fabuleuse dans ses romans médiévaux. Les détails différents comptent-ils plus que les points communs ? Et puis que dire de cette inspection sous la table pour vérifier la présence de licorne : « Sans compter qu’il refusait d’admettre qu’un rhinocéros imaginaire pouvait avoir autant de présence qu’une licorne, tout aussi imaginaire. Car l’un comme l’autre peuvent être imaginés et décrits par le langage, qui a le pouvoir de créer des mondes dépassant celui de l’observation empirique. »

Il est difficile de parler de ce livre, pour vous donner envie, n’hésitez pas à aller voir le billet de Béatrix (merci encore) et d’Yvon. Pour un détail artistique, regardez donc Sainte Marguerite et son dragon.

Et puis prenez donc une tasse de thé au trèfle dans cette tasse à thé en porcelaine fine de Belleek décorée de trèfles. En regardant le tableau « Les époux Arnolfini » ou « Double portrait » de Van Eyck il risque de vous arriver des broutilles : un grand voyage dans le temps et la cosmologie catholique. Et si vous voyez une abeille voler autour de vous, ne vous étonnez pas.


« Nous sommes tous impliqués dans l’affaire du thé au trèfle, et du Double portrait, qu’on pourrait décrire comme un moyen de transport. Transport au sens étymologique, du latin translatio, ou transférer, d’un lieu à un autre, ou encore traduire, passer d’une condition à une autre. » Pour ma part je vais continuer à expérimenter mon imagination : « Elle voit l’âme noble du cheval à bascule. Cavalier et coursier ont survolé l’Arabie. Il lui apprend à voler pour qu’elle soit son égal. Quand il mourra, car il doit mourir quand elle sera grande, elle volera de ses propres ailes. »

Radeau

« Radeau » d’Antoine CHOPLIN est une entrée dans l'art et le drame.


Nous suivons Louis, en mission pour le Musée du Louvre pendant la seconde guerre mondiale. Il emmène en camion les originaux des tableaux pour les mettre à l’abri des Allemands. Il ne doit pas s’arrêter en chemin, éviter tous les distractions. Mais une jeune femme, pieds nus, Sarah, marche sur le bas côté de la route…elle ne demande rien, aucune aide et ils se trouvent.

L’un se veut dans une dimension collective, de la fuite, des directions de vie, l’autre ne souhaite être nulle part puis juste regarder devant elle. La vie et l’amour sont comme des peintures : le couple comme un « caillou », seul objet délimité, dans ce monde insaisissable et cette vie en mouvement, l’amour comme tableau de vie. « Bien mordre dans leur histoire. Sa façon à lui de le faire, tous les soirs. En y ajoutant les épisodes de la journée. Les autres couleurs advenues. En s’efforçant de tenir en respect l’offensive des gris (…) »
Et la peinture garde une place principale dans toute l’œuvre de cet auteur. Le conflit entre peinture et réalité fut le premier sujet de discussion des personnages. L’art est-il une pâle copie de la réalité ? Sans émerveillement possible malgré une œuvre magnifique ? A l’inertie possible, l’auteur (par son héros) impose le charnel. Superbe notion qui voudrait que même les artistes occidentaux (à rapprocher de mon billet sur la peinture asiatique et du prochain sur la cosa mentale) peuvent se dessaisir de cette envie de rendre compte du réel de manière minutieuse, d’oublier les perspectives, lumières, couleurs, est de digérer le sujet, de le peindre en ressenti en nous invitant dans leur souffle créatif (à ne pas confondre avec le Qi….). « Et si ce n’est à le faire avec de la couleur et des pinceaux, du moins à se représenter les choses à notre manière. A refuser le contour des apparences, à en bousculer le dessin avec l’unicité de notre regard à nous. A nous tous. Vous voyez comme les portes s’ouvrent. »
Quelle belle idée aussi que cette sortie de tableaux de maîtres sur le champ d’à côté : une histoire de restauration d’art, de conservation dans les meilleurs conditions climatiques, alliée à une fête du ressenti par rapport à l’art.
Le "Radeau de la méduse" de Théodore GERICAULT en devient un tableau-phare : quelle est la meilleure représentation de ce drame ? Quelle serait la notre si nos mains répondaient à notre cerveau avec génie ? du politique avec cet abandon d’hommes, le cannibalisme et la mort, le sauvetage….


Un personnage reprend les propos de Dante « Alors la faim l’emporta sur les moyens » pour conclure la vision du tableau…

J’ai aimé ce livre, d’une lecture très rapide, pour tous ces moments dans le temps, hors de lui mais si emprunt de vie. Il n’y a pas beaucoup d’actions, le rythme est comme la lecture d’un tableau. Il ne faut pas vouloir y regarder une analyse de mœurs ou une vue de la guerre…il s’agit bien là d’une contemplation faite par deux êtres sur le radeau de la vie. Il s'agit aussi beaucoup de ressenti par rapport à l'art (lire ici)….

jeudi 26 novembre 2009

Crapou doudou

J’ai eu du mal avec l’album jeunesse « Crapou doudou » de Helen COOPER.

Et puis j’avais tout de même envie d’en parler ici. C’est le style de livre jeunesse assez facile d’approche. Et puis les allusions, les références étaient trop claires.
Mais en fait, est-ce bien cela qui est important ? N’est-ce pas plutôt ce qu’en pense l’enfant ? Et notre lutin de 3 ans a aimé alors…
Il s’agit de Marie, une petite fille, qui a perdu son doudou, un lapin, dans le bus. Seulement voilà, il n’a pas été retrouvé. Alors le papa, la maman et Marie vont imaginer ce que fait Crapou-doudou. Il était seul mais il a du descendre du bus… et voilà que démarre l’histoire parallèle de cette peluche dans un monde imaginaire avec les contes que doit adorer la petite Marie. « Les trois oursons », « Cendrillon » mais aussi des histoires de pirates, de dragons, de fusée. Crapou-doudou a aussi son petit caractère et une rencontre avec le marchand de sable plus tard, il revient comme neuf.

Le passage d’un vieux doudou à un nouveau peut se faire en douceur. Oui il y a des histoires comme peuvent les imaginer un enfant, oui, l’idée est bonne. J’ai surtout aimé le thème des illustrations, de la vie de tous les jours d’un côté avec une vraie présence parentale, la fiction de l’autre en pleine page.

samedi 21 novembre 2009

Ce n'est que pour te dire

...

"Ce n'est que pour te dire

que j'ai mangé
les prunes
qui étaient dans
la glacière

et que
sans doute tu
gardais
pour le petit-déjeuner

pardonne-moi
elles étaient délicieuses
si douces
et si froides"

William Carlos WILLIAMS

vendredi 20 novembre 2009

La visite de la petite mort


« La visite de la petite mort » de Kitty CROWTHER


La petite mort est une enfant, elle va chercher les gens pour leur dernier voyage. Tous ses actes sont mal vécus par quiproquo. Les peurs européennes ont la vie dure : l’enfer, le froid, la solitude, l’angoisse. Elle ne comprend pas pourtant, elle fait de son mieux pour que ce passage dans le monde des morts soit le plus doux possible. Voilà qu’un jour une enfant lui sourit, elle est malade. Est-ce que cela change la donne ?

En tous cas, ce livre a la merveilleuse idée de détruire le mythe et de nous offrir une lecture du passage bien plus simple, moins niaise aussi. Kitty CROWTHER offre aussi sous ses traits une mort bien intrigante, avec sa faux oui, mais aussi accompagnée de hiboux et de masques symboliques de la mort venant de pays d’ailleurs, de quoi nous interpeller aussi sur les autres mythes de la vie et de la mort.

La petite mort m’a fait penser au personnage de « sans-visage », Kaonashi, dans « Le voyage de Chihiro » de Hayao Miyazaki. Personnage que j’avais adoré à bien des égards. Pourtant ce dieu, Kami, errant, est le Japon même nous dit son créateur. Moi j’y voyais un être pris entre deux mondes, ne trouvant pas sa place dans le monde éthéré et cherchant l’essence des humains incarnés, en vie.

*source du sans-visage, lien à lire sur ce superbe film d’animation.

lundi 16 novembre 2009

La primeur

... est de l'autre côté. Je ne peux pas m'en empêcher, ainsi ils sont encore de là-bas...

livres jeunesse surtout, parce que mon humeur m’y pousse, mes affinités et mes vues sur l’avenir aussi. Mon Nathan, histoire créée pour le projet Tandem Jeunesse, n’est pas illustré par un binôme réalisé là-bas mais verra le jour avec une touche plus familiale. Alors en attendant, je sors tous les livres de la bibliothèque jeunesse et je les ouvre un à un :



« Mon jardin » de Zidrou et illustré par Marjorie POURCHET s’est ouvert en premier
J’ai suivi « Billy Brouillard, le don de trouble vue » de Guillaume BIANCO ici
J’ai swingué avec Zazou la cigale au "Swing café" de Carl NORAC et illustré par Rébecca DAUTREMER
J’ai rencontré de nombreux personnages longtemps aimés avec les « Etranges sœurs Wilcox, tome 1 : Les vampires de Londres » de Fabrice COLIN ici
J’ai offert la tulipe à un canard aussi avec « Le canard, la mort et la tulipe » de Wolf ERLBRUCH
Et j’ai suivi "Trois ombres" de Cyril PEDROSA ici

Suis-je un grand méchant loup ?


« Suis-je un grand méchant loup » de Kristina ANDRES reprend le loup, mais avec le choix d'un méchant ou d'un gentil.



Comme tous les enfants, le rôle de méchant est apprécié, réclamé, plébiscité…. Pourtant ce « Suis-je un grand méchant loup » apporte une lecture différente, à contre-courant. La lecture peut être au premier degré, sans les références, ou avec toutes les notions du méchants dans les contes populaires et alors il devient encore plus dense comme personnage.
Ce loup qui tient dans ses mâchoires ses amis renvoie toutes les notions de manger son enfant mais aussi une notion de chaine alimentaire. Les émotions peuvent expliquer ce passage entre un méchant loup et un ami.

La lecture est aussi agréable parce qu’elle peut faire intervenir le bambin « Suis-je un grand méchant loup ? » la plupart du temps : noooonnnn ! Et certains actes doux et chaleureux des amitiés reviennent ici pour balancer les colères, les dents qui veulent mordre ou le hurlement qui s’ensuit : papoter, offrir des contes oraux (lus ou spontanés), partir au pays des merveilles….

Le loup peut être doux, fragile, riquiqui, il peut être câlin, réconfortant, propre, conteur : il choisit lui-même ce qu’il veut être !

Et puis ces illustrations à la plume et colorées doucement, ces animaux doudous, ce loup à la fois animal sauvage mais aussi peluche ou cerf-volant... j'adore!

J'ai grandi ici

© Anne CRAUSAZ/ Mémo

« J’ai grandi ici » d’Anne CRAUSAZ
, simple dans son texte, propose de nombreuses autres lectures et quel plaisir !

Une graine va affronter tous les temps et toutes les saisons pour devenir un arbre fruitier.

© Anne CRAUSAZ/ Mémo

Le style est graphique et clair. Le vent est puissant, l’eau et la neige vivantes même sans dynamique, les bestioles abondantes et comme aussi en arrêt.

© Anne CRAUSAZ/ Mémo

Une vie d’arbre comme des diapos avec une coupe de la terre qui permet de savoir ce qui se passe au-dessus et en-dessous… Une histoire poétique, qui offre aussi une vision de nos rapports à la nature et à ses aliments.

© Anne CRAUSAZ/ Mémo

Le fil du temps évoqué est aussi à l’origine d’une découverte des saisons et des différents éléments de l’arbre caractéristiques de chaque (les branches nues, les feuilles, les fleurs, les fruits et la notion de maturité).

samedi 14 novembre 2009

Grâce et dénuement




D’abord extrêmement impatiente dans cette lecture de « Grâce et dénuement » d'Alice FERNEY, je suis devenue plus hermétique par la suite. Esther, bibliothécaire, va venir chaque mercredi faire la lecture aux enfants des gitans. D’abord très en retrait, elle sera, au fur et à mesure des mercredis et des saisons, acceptée, tout en restant une « gadjé », non gitane. Tout se passe dans cet espace réduit, miséreux, entre une voiture, des caravanes et le plus souvent autour du feu de déchets tenu par la doyenne, Angeline. Au fur et à mesure, la vie de ces abandonnés se dévoile. La condition des gitans, la misère, la dynamique des jours et des nuits, faits de tous petits riens, les rythmes de vie : naissance des fils, arrivée des belles-filles, naissances des petits enfants, expulsions, morts des uns et des autres. Il est aussi question des différences entre les hommes et les femmes et des liens importants qu’ils doivent garder pour tenir. Nous sommes loin de l’idée romantique des gitans et de leurs guitares et musiques au coin du feu.
Cette immersion au sein de ce peuple est un vrai bonheur. Entre les caravanes ou dedans, Alice FERNEY nous aide à mieux comprendre l’esprit des gitans, entre mutisme, orgueil, honneur et lien social détruit par rapport au reste de la société et source de cohésion au sein de la famille. « Il étaient des Gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui d’ordinaire disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. » Laissés pour compte, dénigrés, ils ont aussi leur manière de vivre en dehors des marges : le vol est préféré à la mendicité, l’oisiveté est une vraie démarche d’hommes au sein d’une société qui ne leur laisse aucune chance.
Ce principe d’une ouverture des mondes par les livres n’était pas pour me déplaire. « Elle ne comptait que sur le pouvoir des livres pour les apprivoiser. » Bien sûr que cela ne pouvait que me toucher. Ce rapport aux lectures et aux livres, comme objet, est effectivement très bien retranscrit. « Ils entraient petit à petit dans la chose du papier, ce miracle, cet entre-deux. (…) et quand elle finissait, ils s’étiraient, revenant de l’autre monde, plus enveloppant, plus rond, plus chaud que celui dans lequel ils retournaient (…). »


*source coiffeur dans un camp gitan

Là où mon agacement a pris sa source fut dans la démarche pédagogique. Esther cherche à faire rentrer les enfants gitans à l’école avec bienveillance et humanité mais ce n’est qu’une démarche romantique et non fondatrice de changements. A quelques pages, une certaine forme de nivellement apparait, les remettre dans un chemin plus « normé » (c’est vrai que les bons sentiments ne manquent pas mais Esther ne laisse pas les gitans venir jusqu’à elle, jusqu’à son quotidien, c’est elle qui fait la démarche vers eux). Il y a dans ces pages une formidable envie d’ouverture, de compréhension mutuelle, je suis cependant restée un peu sur ma réserve. Ce livre permet de se sentir plus proche de ses maudits de la société mais aussi encore plus ignorante de leurs manières de vivre et de la façon de réconcilier les citadins des habitants de leurs dépotoirs. L’apprivoisement est toujours une forme de relation hiérarchisée cachée, en leur parlant de notre manière de penser, avec nos envies permanentes, c’est mesurer la distance entre eux et nous : ils n’ont pas d’élan vers l’avenir, pas de désir. « Esther crut être pour eux un mystère. Elle se trompait : elle était la gadjé et c’était une insulte. Elle n’était pas un objet sur lequel ils se seraient pris à penser. C’étaient les livres qui faisaient rêver la vieille. Elle n’en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose encore que du papier des mots et des histoires : une manière d’être. La vieille ne savait pas lire mais voulait ce signe dans sa caravane. » Superbe et pourtant c’est une manière d’être à nous et non leur philosophie de vie…paradoxe du bonheur et d’une envie de ne pas perdre de vue leur vérité. La description des gitans dans leur humanité est magnifique et mérite la lecture : « Elle était joyeuse, et plus que les autres, comme si, l’âge gagnant, elle avait fini par comprendre que la joie se fabrique au-dedans. »

Reste en plus ces superbes extraits sur les livres et sur leurs pouvoirs : « Quand ils avaient les livres pour eux seuls, ils ne les lisaient pas. Ils s’asseyaient, les tenaient sur leurs genoux, regardaient les images en tournant les pages délicatement. Ils touchaient. Palper doit être le geste quand on possède, car c’était ce qu’ils faisaient, palper, soupeser, retourner l’objet dans tous les sens. »
Et si, pour une fois, je me laissais aller à cet art, seul défenseur de la beauté humaine, allez oui : « Il y avait un secret au cœur des mots. Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l’on avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos cœurs. »

Je vous laisse lire Magda qui a adoré ce livre d’une très belle façon (et pour une raison suffisante) et Sylvie le met très bien en valeur!

Tout le monde est occupé




"Tout le monde est occupé" de Christian BOBIN est un conte pour adultes emprunt de poésie, de magie. Nous suivons Ariane, une femme de ménage, dans ses bonheurs amoureux et de maternité, dans sa folie régénératrice et poésie de vie. « Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même – aussi naturellement que peut le faire la vue d’un cerisier en fleur ou d’un chaton jouant à attraper sa queue», Ariane en fait partie. Elle aime et par un geste simple donne son amour, par un attouchement fugace (un baiser) devient enceinte (par poésie et non comme si elle tombait dans une spirale médicalisée ou normée). Autour d’elle déambulent des personnages, avec leur propre façon de vivre, souvent à côté d’eux, elle fait le ménage (mais pas que de la poussière). En choisissant de regarder voler Ariane, légère de bonheur amoureux, et de suivre des yeux ses enfants, c’est une ode à la vie, à l’existence, à l’espièglerie (une certaine forme de folie, oui, oui, une propension à oublier ce que l’on attend de nous).
La spiritualité devient incarnée, la Vierge Marie, de plâtre bleu, change de couleur en fonction de ses émotions et, charnelle, décide de s’occuper aussi d’elle et de partir à travers le monde. La folie, l’amour, l’éducation, l’amitié, les relations de convenance, sont alors passées par un kaléidoscope de couleurs, d’humeurs et de sensations. Loin de suivre le chemin tracé, la norme, loin de reprendre ce que nous sommes dans la vie, Christian BOBIN semble nous dire de vivre, d’exister par nos propres poésies de vie. Un peu de spiritualité chrétienne, oui, mais ce serait être bien étriqué que de ne pas savoir y lire une spiritualité universelle.

Oublions les idées toutes faites, laissons le monde se refaire dans une discussion incessante entre un oiseau et un chat : Rembrandt, le chat, se délecte de théologie facile, Van Gogh, l’oiseau en cage, de philosophie naturelle. « Rembrandt peut rester en arrêt devant une phrase, plusieurs jours de suite. Il en fait son miel et ses délices. Il s’en lèche les babines. » Le style de BOBIN nous amène à nous prendre pour le chat de la maison, une phrase, une image, une idée, un rêve, un échappatoire, une manière irréelle de vivre… et pourquoi donc irréelle ? Pourquoi devrions-nous fantasmer des vies pour nos enfants ? La magie est en eux ! Une Manège, née à la sortie du train fantôme, aux yeux grands ouverts, toujours, sur le monde et ses petits riens qu’elle dessine, dessine, dessine. Un Tambour, passionné de physique et de chimie qui expérimente la vie avec des formules. Une Crevette, désincarnée ou réincarnée par amour de ses proches, au bec de lièvre inexistant par affection de ses proches, danse à deux centimètre au-dessus du sol. Refaire le monde, oublier les bonnes manières, de toutes façons, les « bonnes manières sont des manières tristes», revenir à l’état d’enfant, ne plus "être occupé" par nos préoccupations. Cette magie du tout en devenir, de l’appréhension nouvelle, non conditionnée, du monde : « Manège, quatre mois, fait un premier état des lieux : le monde a goût de lait et de lumière. Le monde rentre par la bouche et par les yeux. » Garder l’humour dont nous dote la vie (Dieu pour Christian BOBIN) à l’état de fœtus : encore ne faut-il pas être né avant terme !
« Il est très difficile de soutenir le regard fixe d’un tout petit – c’est comme si Dieu était en face de vous et vous dévisageait sans pudeur, en prenant tout son temps, un peu étonné de vous voir là. » Ce livre fait un peu le même effet, avec l’envie de vivre et d’exister et pas seulement par un artefact, un être de songe si existant soit-il.

Passagère du silence

"Passagère du silence" de Fabienne VERDIER est un des livres qui apportent bien plus qu’une histoire.


« Son enfance, on la subit ; sa jeunesse, on la décide. Je savais ce que je voulais : peindre ; et d’abord apprendre à peindre en maîtrisant une technique picturale. C’est ainsi que j’allais me retrouver en Chine. Chacun croit que sa vie est unique, et pourtant… »

Ce livre se lit comme un parcours de vie, une mise en route d’une pratique de peinture et il m’intéressait donc à double titre.
Cette jeune femme étudiante aux Beaux-arts, obtient une bourse pour poursuivre ses études en France mais décide de partir en Chine, là où se trouvent encore les maîtres de la calligraphie. Le livre présente une apposition de plein fouet entre l’occident et l’Asie mais aussi entre modernité dans l’art et art au sens noble du terme.

Le livre dévoile les conditions de vie d’une expatriée dans la Chine profonde des années 1980.
Tous, paysans comme étudiants sont surveillés par le parti communiste. La jeune française a refusé tous les avantages d’une expatriée. Ces conditions de vie sont meilleures mais restent spartiates. Elle est éloignée d’office des autres étudiants : ne dort pas en dortoir mais dans une pièce sans fenêtre à côté d’un bureau où un lit a été apporté ainsi qu’une cuvette. Ses démarches auprès des professeurs sont surveillées par son interprète, sa chambre est fouillée par cette veille femme qui passe la ranger, ses allers-venues et ceux de ses amis sont épiés. Les notions d’hygiène et de saleté sont à reconsidérer. Le livre est très subjectif, pas forcément écrit par un écrivain mais la teneur est importante, elle touche de plein fouet : elle parle de sa vie, de ses maladies, de ses tourments, de ces amitiés et de son quotidien au campus, lors des séjours d’études, aux maisons de thé ou en vacances dans la famille de ses nouveaux amis, de ses agressions physiques, des conflits locaux et nationaux, des pressions après révolution culturelle… de ces illusions une fois revenue en Chine en tant qu’attachée culturelle à l’Ambassade.

Fabienne VERDIER est un fort tempérament et le parcours initiatique de son art nous le prouve constamment. D’une part, grâce à lui, de pans entiers de la condition chinoise nous sont révélés. Oui seuls les peintres connaissent la vie des peuples, leur pratique « d’après nature » leur permet de pouvoir se confronter aux ruralités. Et aussi grâce à son imprudence et à sa méconnaissance, des peuples inconnus nous sont présentés, les Yi par exemple. Ces fautes de comportement, ces aléas importants permettent une vision des plus intimistes de la Chine.

*Dürer, La grande touffe d'herbes, qu'il faut à nouveau regarder pour comprendre, après avoir lu le livre

Mais là n’est pas le plus important, je n’ai pas mangé* ce récit autobiographique sur ces éléments là. Ce qui m’a le plus touchée, saisie, anéantie aussi (il suffit de peu de chose, oui, oui, je sais et je me soigne !), est son parcours artistique et surtout de vie.
Toutes les étapes d’apprentissage me sont magnifiques et je sens qu’il me faut vous les présenter, billet après billet. En attendant… Chez un père absent, elle apprend l’humilité, la patience illimitée, aux cours français, elle découvre la calligraphie occidentale comme art de vivre, les techniques contemporaines de l’huile, du chevalet, du dessin d’après-nature.
« Je me suis mise en chemin – c’était une question de survie-, en quête d’une initiation véritable qui m’ouvrirait les portes d’une réalité autre. » : avec sous le bras son viatique « Propos sur la peinture du moine Citrouille Amère » de Shitao, traduit par Pierre Ryckmans, elle part en Chine et j’ai eu envie de la suivre.

Les cours théoriques à l’Ecole chinoise et leurs pendants politiques, son apprentissage des légendes, ses conditions d’artiste comme le matériel commun ou prêté par l’école (cartons à dessins, petit tabouret, thermos pour le thé de la journée, pinceaux, pierre à encre et coupons pour la nourriture), les influences chinoises mises de côté en faveur de celles occidentales, dénigrement des anciens grands maîtres. La jeune Fabienne va vouloir aller plus loin, reprendre l’art de tenir le pinceau, de peindre à l’horizontal, l’art de préparer l’encre et un je ne sais quoi de frondeur et de pertinence vont l’amener à chercher l’enseignement d’un grand maître isolé et oublié, maître Huang Yan. La rencontre est humaine et intense, c’est celle d’une vie, l’apprentissage sera de 10 ans ou rien.
Alors commence une initiation artistique et à la vie. Des arts anciens et des techniques à apprendre et maitriser (marouflage, sculpture de sceaux, utilisation de teinture comme pour la soie, calligraphie), en passant par les philosophies concernées – et concernantes- en faisant sienne une philosophie de vie. « Les penseurs taoïstes de l’Antiquité n’ont jamais parlé d’art et pourtant ce sont eux qui ont fourni la base de notre pensée esthétique : il faut apprendre, puis oublier ce qu’on a appris, retrouver le naturel jusqu’à parvenir à créer sans effort. » Fabienne VERDIER va apprendre les secrets de cet art. Une mise en situation complète, de la pratique du « hua », trait de pinceaux, bâton de calligraphie, pendant des mois, et aussi des apprentissages philosophiques…

« Tu vois, il n’est jamais trop tard pour apprendre et même si, dans la vieillesse, l’étude n’apporte plus une lumière étincelante mais la flamme vacillante d’une bougie, celle-là est encore préférables à l’obscurité. »

Lily m’a mise sur la voie et je l’en remercie. Malice vous en propose une belle mis en bouche . Vous trouverez aussi une très belle présentation beaucoup tournée vers l’art ici.
Pour aller plus loin vous trouverez ici un récapitulatif des étapes majeurs du livre, un compte-rendu de séminaire, lié au livre, sur la pensée chinoise et son art et enfin ici les éléments de l’apprentissage de Fabienne VERDIER à cet art et à la pensée chinoises, très, très bien détaillés autant dans leur délimitation que pour les éléments du caractère de cette française qui ont agit en complément (et peut-être nécessaires à cet apprentissage très dur physiologiquement entre autre).

jeudi 5 novembre 2009

Luminus Tour et son bataclan d'éclats, d'éclairs et d'éclaircies

« Le Luminus Tour et son bataclan d’éclats, d’éclairs et d’éclaircies » est un beau livre, livre pour adulte et livre à raconter à un enfant, pour jouer avec les mots, jouer avec les références de l'imaginaire.


Nous suivons un certain Monsieur Luminus dans sa quête de couleurs et d’éclats de lumières pour confectionner la plus belle des robes pour l’anniversaire de 3 lustres (un lustre=5 ans) de sa fille.
Et nous voici partis dans des souvenirs d’enfance : le magicien d’Oz, Alice au pays des merveilles, Merlin l’enchanteur, Peau d’Ane, Peter Pan entre autre. J’avais au début pensé qu’il manquait des illustrations de ces personnages fabuleux mais j’oubliais l’importance de notre imaginaire.


Par des impressions photographiques, des petits éclats de dessins disséminés deci-delà, un vocabulaire fouillé d’adulte… des nuances dans chaque action, chaque vision, chaque couleur… Frédéric CLEMENT nous ouvre tout droit d’autres portes.
Un conte, une poésie… mais aussi et surtout un réinvestissement de notre imaginaire par des bribes de merveilles. Rencontres réelles dans notre temporalité d’adulte avec l’épouvantail du magicien d’Oz, le Chat de Chester, la gardienne de la forêt de Brocéliande, J.M.BARRIE, la sirène serpentine…. Reprise de l’imaginaire dans l’ethnologie, soupçon de moments de vie poétisés, faune réinvestie dans le fabuleux. Utilisation des objets ou effets imaginaires : la montre du lapin d’Alice au pays des merveilles, une parcelle des escarpins de Doroty du Magicien d’Oz.


Que dire, si ce n’est que ce livre, ce rêve, ce voyage, cette quête, nous ouvre plusieurs lectures… une belle histoire, de la poésie sur des moments fugaces et un retour dans le pays de l’enfance avec le bagage, l’intellect et l’imaginaire d’un adulte sous le bras.

N’hésitez pas à lire l’avis de lectures sentinelles, du Grimoire de Virginie et le superbe billet de Holly golightly qui m'a laissé la primeur et celui de Lily .
Pour vous plonger dans la poésie de Frédéric CLEMENT, je vous conseille son blog où les mots, comme des pétales de fleurs, vous emportent avec eux dans le vent, le temps et l’imaginaire.