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dimanche 14 février 2016

Faire l'amour - Aimer

Non, non, je ne saute pas d'étapes...



"L'expression " faire l'amour" ne désignait pas, il y a quelques siècles, la relation sexuelle, mais le fait de courtiser, de faire la cour : de belles déclarations et de grands serments d'amour, des poèmes, des chansons le soir sous le balcon de sa fiancée...
Le fait de parler, le langage de l'amour avec des mots et aussi le langage des gestes d'amour, ce sont les actions qui donnent un contenu actif au verbe aimer. Presque toujours, aimer commence vraiment... quand on se le dit.
[...]
Parce que c'est le commencement de l'engagement de la volonté."
(extrait de "Aimer" de Michel PUECH, éditions Le Pommier; illustration de Sergio TOPPI extraite de "Sharaz de", interprétation des Milles et une nuits)

Ceci est de circonstance: je vous enjoins à faire l'amour, pour les plus jeunes à découvrir les papillons dans le cœur (ici petite sélection) et pour les plus grands à aboutir l'action du verbe aimer, par les paroles, les intentions, les gestes.
Pour les plus grands, suivre quelques versions exotiques, sensuelles et amenant le désir des "Mille et une nuits", du "Kamashastra" (et son fameux kamasutra) ou du tantrisme... avec quelques images, des shunga ou des Ai Yang Hua... Mais c'est vous qui voyez...

samedi 2 mai 2015

Habibi

Ouvrir cet énorme pavé pourrait faire peur mais Craig THOMPSON avec son "Habibi" offre une aventure et le fourmillement de détails proche d'un documentaire.

© Craig THOMPSON/ Casterman

Habibi, mon chéri ou ma chérie, affectueux comme pour un enfant. Dodola a été vendue en mariage par ses parents, à l'âge de la puberté. Son mari, un scribe, lui apprend à lire et à écrire et lui raconte des histoires. Le Coran, les "Mille et une nuits", La Bible, les poèmes deviennent des mots, des lignes.
© Craig THOMPSON/ Casterman

Son mari est tué, elle est captive et s’échappera avec Zam, un petit garçon. Elle en prend soin, il devient son enfant, son protégé, elle lui raconte des histoires, aussi. Et leur relation change petit à petit avec les années et les situations. Ils n'ont qu'une envie, être l'un près de l'autre. Ils se perdent de vue, se retrouvent, pareils mais différents.

© Craig THOMPSON/ Casterman

Dodola et Zam survivent en se protégeant l'un l'autre mais le récit ne défile pas chronologiquement. Les histoires orales prennent autant de place que leur réalité, les sauts dans le temps apportent aussi une certaine fébrilité. Comme leur vie, tout est instable, dangereux. Ils sont victimes des adultes, de l'esclavagisme, de la luxure.

© Craig THOMPSON/ Casterman

Habibi, mon chéri ou ma chérie, je t'aime. Dodola devient une femme et Zam grandit, victime aussi de ses premiers émois. La sensualité devient un autre personnage du récit. La féminité dans ce qu'elle a de matricielle, de fantasmé.

La bande dessinée est un acte de dessin mais aussi de calligraphie, cette calligraphie arabe qui ne se contente pas d'écrire des mots mais symbolisent mais dessinent une forme. L'encre a une place de choix ici: encre de vie, source d'eau. L'encre aussi dans les motifs géométriques de l'art arabisant.
Craig THOMPSON offre là aussi un condensé de culture maghrébine, le Coran mais aussi certains us, les légendes, les écrits des poètes et les histoires sensuelles.

© Craig THOMPSON/ Casterman

Il y appose avec finesse la Bible, des philosophes ou scientifiques, quelques peintures de notre culture (Jean-Louis GEROME, les odalisques, INGRES, ROSSETTI... ou... le chat de Cheshire?!). Ce n'est pas de l'Orientalisme ou de l’exotisme féerique mais une ouverture sur un monde incroyable, de a langue et de la spiritualité pourtant mise à mal par la réalité fictive de l'auteur
Dodola devient ainsi un Bouraq, sorte de sorcière, monture des prophètes, témoin des écrits sains. Grande sœur, maman, amante et passeuse d'histoires. (cf extrait ici)

A ce récit épique, dans le désert, les hammams, le sultanat, se mêle aussi étrangement des éléments de sur-industrialisation, de toxicité apportée par les humains. L'eau devient une denrée encore plus que rare, les détritus prennent toute la place et l'humanité ne montre pas son meilleur jour.
Sur 700 pages, l'homme et la femme se présentent dans leur trivialité et leur mauvais fond. Rares sont les personnages qui s'en sortent. L'auteur apporte aussi des thèmes plus tabous dans cette culture.

© Craig THOMPSON/ Casterman

Là est peut-être le bémol à ce magnifique ouvrage: l'auteur propose de la magie, du graphisme, du symbolisme, un récit d'amour avec ses deux héros mais aussi d'autres détails plus lourds, plus glauques (le violence sexuelle est un élément de pouvoir et la personne n'est qu'une chose). Le propos sur la masculinité, le désir, l'enfantement et la volonté de parenté aurait pu se suffire. Peut-être une volonté de l'auteur de proposer à son lecteur de revenir pour y lire une autre trame, à chaque étape de notre vie.

dimanche 20 janvier 2013

Les Mille et Une nuits



En lisant "Les Mille et Une nuits", traduction de Joseph-Charles MARDRUS, texte plus complexe, alambiqué, empli de poèmes, sonnets, plus proche d'une oralité arabe mais aussi de "manières" érotiques et d'éléments fantasmés d'un orientalisme fastueux (j'en reparlerais un jour), je ne peux qu'être nostalgique de la version enfant lue par ma tante, version simplifiée, orientaliste et bien-sûr convenable.
Je n'ai aucun souvenir de l'histoire, aucune nuit (même celles rajoutées comme Ali Baba ou Aladin) mais je garde en mémoire les illustrations qui me fascinaient: celles de Gustaf TENGGREN, vous en retrouverez certaines en suivant ce lien et celui-là.
... la Reine serpent entre autre

(source d'autres illustrations)

jeudi 31 mai 2012

Grains de beautés et autres minuties d'un collectionneur de mouches

"Grains de beautés et autres minuties d'un collectionneur de mouches" de Frédéric CLEMENT est un petit roman de sensualité picturale, sonore, imaginaire et physique.


Mr Zérène du groseillier est demandé auprès de la Marquise Adélaïde des Ailleurs, nouvellement veuve, pour proposer ses talents de portraitiste auprès de la dame et de ses enfants.
"Sur le chemin qui longe la Ciselée, Mademoiselle Louise-Amélie, votre demoiselle, et Charles-Henri, votre petit Monsieur, d'une brindille taquinaient un scarabée, un grand cerf-volant mâle. La scène était jolie, avec les reflets  de la rivière, je n'ai pas pu résister à sortir mes couleurs, et faire cette pochade... à même le dos du cerf-volant... (...)"

De ce pavillon chinois au milieu de la propriété démarre une parenthèse sensitive, enchantée, entre commandes et défi: une mise à l'épreuve du désir.
Piqué au vif et succombant aux charmes de la Marquise pas si farouche, le peintre part en Chine promettant de remplir la petite boite de "grains de beautés" offerte comme contenant des preuves par la désirée.  " De la pointe de son ongle Marquise prend la mouche posée sur sa gorge, à l'orée de la vallée d'Organdi, et glisse la Majestueuse dans la boite bleu, en porte-bonheur, "en talisman de taffetas", chuchote-t-elle. (...)
Votre papillon moucheté s'est recroquevillé en son état de chrysalide. Laide. Feuille sèche. Souche."

Les mouches du désir se succèdent: d'une discrète, encore insoumise, à une effrontée, discrète, voluptueuse, soupirante... Le peintre, au teint vert de gris pendant tout son voyage en bateau, suit un capitaine dans sa tournée. A chaque étape, une contrée exotique et mystérieuse, une île, une crique, à chaque arrêt, un pillage sensuel des pirates. Et pour Zérène, une collection, respectueuse, stupéfaite, succombée, de "grains de beauté" ou mieux encore, de grains de désirs, de pâmoison, de volupté, de jouissance.

La poésie est sur toutes les pages, toutes les lignes. Le texte respire, hume, se moire, transpire, jouit. Les respirations se font langoureuses ou saccadées. Les mots se parent de couleurs, de textures, d'odeurs et même de créativité par les croquis sur le vif d'un peintre épris de sa muse.

Ce conte offre des grains de beauté à foison, en langage d'entomologiste, de botaniste, de peintre... des changements d'états, de textures, de chaleurs, de désirs.
A chaque page, l'abordage des contrées, l'invasion des paysages et la rencontre des créatures fantastiques et merveilleuses ne sont que des explorations de la sensualité humaine, féminine et masculine. Des invasions poétiques du désir charnel et des métaphores impudiques, pourtant tout en pudeur.
Comment ne pas succomber, encore, au talent impressionniste de la volupté et de la jouissance de vie et de mort, de cet amateur de mots. N'hésitez pas à lire le billet de Lily et merci encore à elle pour cette superbe lecture.



jeudi 23 septembre 2010

Les derniers flamants de Bombay


"Les derniers flamants de Bombay" de Siddharth Dhanvant SHANGHVI m'a offert un beau moment de lecture.
Karan SETH est un provincial, monté à Bombay pour fuir une partie de son enfance et se donner les moyens de ses ambitions photographiques. "En arrivant à Bombay, j'ai décidé de constituer des archives énormes, vraiment originales... des choses les plus insignifiantes. La mousse dans le quartier des lavandiers, Dhobi Talao. Le claquement de la queue d'un cheval galopant tôt le matin sur le champ de courses de Mhalaxmi. Les balustrades poussiéreuses d'immeubles décatis de Kala Ghoda. Tout doit pénétrer mon objectif et aller se loger dans cette espèce de bibliothèque permanente... Afin d'y parvenir, si je devais détruire les murs et briser les vitres, je le ferais pour tout voir : brut, effroyable, parfait... J'espère créer des archives épiques de Bombay..." Pour vivre il devient photographe people et doit faire un reportage sur un pianiste parti, en pleine gloire, jouer l'ermite mondain, Samar ARORA. En suivant sa cible, il rencontrera Zaira, l'actrice bollywoodienne en vogue. Leurs rencontres sont inattendues et sont même presque hors de propos et pourtant Karan entre dans ce cocon que Samar, son amant Léo et Zaira ont fabriqué autour d'eux. Une famille de réconfort, de confidence, de réflexions intellectuelles et d'honnêteté.
En fouillant dans cette ville bondée, mystérieuse et odorante, Bombay, à la recherche d'un objet/défi d'une amitié naissante, Karan rencontre une femme perdue dans sa vie, Rhea DALAL. Karan connaitra l'amour charnel, passionnel, avec cette femme mariée. C'est peut-être mon bémol... un peu trop de charnel quand le sensuel suffisait.
Tout démarre de là, de ces rencontres impossibles. Une amitié entre Karan, Samar et Zaira... une amitié à défaut de l'amour. Une fuite aussi du sentiment. Un amour impossible après avec cette femme mariée, aimée par son mari absent, qui a laissé sa personnalité au profit du couple.

Le livre est tranchant, peut-être un peu caricatural et pourtant j'ai aimé. Il y a d'abord ce choc des cultures que nous présente l'auteur, choc entre cette Inde bollywoodienne qui bouge, jeune, mondaine, clinquante et superficielle, et ce jeune homme humble et travailleur accompagné par ses personnages en marge, dans les excès mais aussi dans une profonde révolte. Une solitude dans la multitude...
Puis avec le drame, un meurtre sordide, Zaira tuée lors d'une inauguration mondaine par un fils de ministre éconduit, le livre ouvre une seconde partie plus lourde, plus "écoeurante" avec la justice indienne, la corruption, les à-priori indiens. Les coulisses d'un jugement apparaissent dans toute leur horreur. Mais bien plus qu'une peinture de la société, ce sont les personnages et leurs humeurs qui donnent à ce roman toute son importance. Karan, Samar et même Rhéa prennent une épaisseur, une noirceur. Les illusions sont perdues et nous suivons Karan et Samar en perdition. La vie devient une multitude d'échecs. Et oui il y a quelques détails extrêmement sordides et peut-être de trop dans ce roman mais n'est-ce pas juste une forme de manifestation d'une culture indienne en proie aux meilleurs mais aussi à la mort comme aspect plus présent, plus visible que dans notre société ?

C'est avec la troisième partie que le livre prend son ampleur. Les amitiés et les amours se délitent et deviennent autres. L'homosexualité bordée comme une originalité mondaine entre cet indien et cet américain, Samar et Léo, laisse place à une autre forme plus sous-jacente. Les nuances sont nombreuses: un préjugé, une honte, une infection, une descente aux enfers et une passion... puis une amitié de tous les malheurs, de toutes les désillusions, un rapprochement envers et contre tout. Le sida apparait aussi en filigrane, pas comme un détail mais bien une forme de marque de la vie, une empreinte de la perte.

En plus de l'histoire en tant que telle, le rapport aux arts m'a émue. Ils sont mis à l'honneur dans ce roman, même s'ils restent ici comme inachevés: la comédie romantique et dansante bollywoodienne comme une caricature indienne et de la femme, la musique sans plus de sens, de vitalité, l'écriture comme un jeu de stratégie et de recommencement, la poterie comme une passion et un exutoire mais sans aboutissement, la photographie pas comme un flash à l'instant t. Pour chacun, l'art se doit de révéler, d'aider l'artiste ou l'artisan à entrevoir autrement la vie. L'art a une éthique, une grandeur, apporte une étincelle dans les yeux et la vie et se veut, utopiquement, être le sauveur.
C'est cet art photographique, ce don de Karan, fulgurant et brut, qui apporte une ligne directrice au récit et offre un espoir. Qu'est-ce que j'aurais aimé avoir "Le Singe en laiton" dans les mains:
"Dans la splendeur pointilliste des images: un homme démantelé. La flaque de sang. Un soupir, un regret. Pour saisissantes qu'elles fussent, Rhea savait ce qui manquaient à ces photos: Karan avait peint autour d'un vide, il n'avait pas peint le vide."

Lily nous offre un billet plus construit et souligne la perte, Antigone a aimé, Tamara offre une demi-mesure et ce billet plus charpenté continuera à vous donner envie.
Alors oui le style est alambiqué, c'est à savoir. In cold Blog reprend effectivement ces lourdeurs de style et ce trop plein pour certains lecteurs, c'est ici avec une idée des opinions des autres lecteurs. Merci à Babélio et aux éditions des 2 terres pour cette lecture.

lundi 30 novembre 2009

La pomme rouge


Je me suis laissée aller à une énième lecture de ce déploiement amoureux, « La pomme rouge » de Francis GARNUNG.



Ce livre m’est important, trouvé sur un étalage de bibliothèque avec une petite phrase d’accroche laissée là par un bibliothécaire éclairé, je l’ai lu, fébrile, troublée et impatiente. Je l’ai acheté aussitôt et il m’a suivie depuis dix ans. A la seconde lecture, j’ai été impressionnée par les exercices de style et cet effeuillage du sentiment amoureux ou mieux des attirances pour l’autre sexe comme dévoilement de la sexualité. Je l’ai relu pour y lire entre les lignes des demandes, de l’ « irrespect » comme vraie démarche amoureuse…être en deçà de la morale ! Comme je vous le disais, je l’ai offert, acheté et prêté…et je continuerais.
Je l’ai relu aussi parce que la première lettre de ce roman épistolaire que je dévoilais en attendant un billet plus construit à provoquer des lectures et de magnifiques billets, d’Holly golightly tout d’abord, et de Lily après (il fallait bien que je lui propose cette lecture). J’ai eu envie de vous laisser mon ressenti, ou du moins celui de cette lecture, différente de celles des anciennes ou des prochaines, tellement ce livre est riche de niveaux.

Il s’agit là des lettres écrites par François, la trentaine, à sa voisine de 13 ans, Guillemette. Il s’éprend de cette enfant, en la regardant par la fenêtre, en suivant ses activités de gamine. Il lui écrit pour donner plus de contenance à ses avances, les lettres arrivent par la poste, il faut qu’elle aille les chercher en cachette, cela rajoute au consentement mutuel : « Car il faut que les mots d’affection se promènent, prennent l’air, et roulent comme les pierres qui n’amassent pas mousse, cette horrible moisissure des choses mortes. N’est-il pas ? comme disent les Anglais. » L’effeuillage du sentiment amoureux est aussi l’effeuillage sensuelle de cette enfant, aux débuts de sa puberté, de cette biche aux aboies et si consentante en fait. Ce « satyre » est en fait beaucoup plus irrespectueux que l’amoureux de « Lolita » de Vladimir Nabokov. Mais de cet irrespect de l’amour : ce n’est pas un comportement vicieux, profiteur mais plutôt un révélateur, un amoureux du passage de l’enfance à l’âge adulte.

Ne vous méprenez tout de même pas, les intentions sont là, les termes sont justes sans être outranciers ni trop crus. Les gestes amoureux prennent corps mais là aussi l’amour est à concevoir dans sa totalité. François est un « ruminant » de l’amour : il décortique avec poésie, fébrile, tous ses émois, les détails sensuels, visuels, les aléas d’absence et de présence qui rythment et donnent de l’élan dans la relation. « Le loup est un poète. Il aime ce qui est beau. Il aime ce qui est bon. Et n’est-ce pas la même chose ? Ce qu’on lui reproche, c’est de ne pas faire semblant. Sa poésie, il l’a dans la peau, et il la nourrit. » Guillemette devient une muse, comme celle d’un peintre, curieux de révéler au grand jour (ici à son cœur attentif et détruit de trop d’attente) les plus belles beautés : ses postures de danseuse en tutu et ballerines, sa bouche sanguine comme mordue et ses poses alanguies pleines de suggestion que son auteur n’assume peut-être pas encore.
Nous suivons grâce aux lettres de cet homme (sans jamais lire les réponses de la demoiselle, ni vivre réellement leurs rencontres) les étapes pour apprivoiser une enfant. « Une amitié ne peut germer qu’à l’ombre, dans une serre chaude, au creux d’une main. Il faut un secret entre nous, même un secret de polichinelle, pour nous unir. » Les lettres doivent être brûlées ! C’est surtout un retour à cet émerveillement de l’enfance : des taquineries, des inventions fantasques (comme de voyager à l’insu de tous en prenant un train tellement long que quand la locomotive arrive à la gare d’arrivée, le dernier compartiment est à la gare de départ), des jeux de mots juste pour rire, des effets de style pour le plaisir, des activités enfantines et des défis de vie spontanée (un duel aux billes ou un jeu de marelle comme baromètre des audaces). Pas de mauvaise retenue, du sérieux dans tout et aussi de la rigueur dans la démarche…créer son propre conte, en savourer tous les instants (comme de goûter les pâtes lors de la cuisson par bouchée entière et ne garder presque plus rien pour le moment « légal » de dégustation !).

Quelques lectures ont été plus anxieuses. L’amoureux marque un certain dégoût pour la femme, y préférant une enfant pas encore formée, à peine nubile : « le mot femelle qui rime avec mamelle est trop horrible. C’est une chaleur trop moite et enveloppante, à la fois offerte et imposée, inévitable. » La femme aurait été « encrassée », « engraissée » d’une féminité « onctueuse ». Moi si pulpeuse, si déformée par la féminité, je lisais entre les lignes une horreur à être devenue adulte. En relisant (maintenant que je suis aussi déformée par la maternité), j’ai l’impression de m’être méprise. Ce n’est pas tant le corps de la femme qui insupporte François mais bien cet « allant de soi » sexuel, cette convention, ce choc des corps inévitable. Ce serait que suivre un chemin tout tracé, déjà suivi par d’autres, non dynamique, non créatif, la femme a un jus trop sucré : « Combien je préfère l’acidité à ce jus sucré ! Il n’y a pas si longtemps, à la campagne, je considérais avec envie la première et unique cerise d’un arbrisseau. Je n’ai pas pu résister au plaisir d’y mordre ( …) il m’a semblé que j’aspirais directement toute sa sève rafraîchissante, et que je la stimulais. » L’androgynie est peut-être aussi là en rapport avec ses amours passées, cette petite fille quand il était petit garçon, cet amour non achevé, même pas entamé et pourtant si bien ébauché. Le temps, personnage à part entière du roman comme le souligne si bien Lily, l’a fait vieillir dans son corps et ses attentes quand son amour est resté le même…il recherche l’objet d’amour inchangé.

*source photo du film "Pretty baby" de Louis MALLE avec Brooke Shields

La question de la morale revient souvent. Il s’agit bien des angoisses de François par rapport aux regards des autres, mais plus dans leur méprise que dans leur compréhension. Il est admis d’une grande personne qu’elle soit le parent, l’éducateur, le « répétiteur » mais pas qu’elle reprenne le chemin de l’enfance. Son corps est devenu sexué et propre à la consommation et ses attentes ne peuvent être que charnelles en tant qu’ogre sexuel. François cherche, fouille, revient sur ses pas, ses pensées, ses gestes, il se retient. Il se dit carnassier mais aussi la proie de ses tourments.
La morale voudrait que nous ne voyions là que le satyre, poussant une enfant à la faute. Effectivement, il essaye de la rendre consentante aux gestes des grands, il cherche l’éclosion de la femme. Elle l’est, consentante, peut-être plus du jeu de séduction que des gestes, mais elle se sent en sécurité tout de même : cet homme est l’élément stable, sa mère ne la voit pas grandir, lui la voir s’épanouir. Il se délecte d’elle, oui, mais n’est pas le plus coupable. Que dire de cette mère qui encourage les entrevues, lit peut-être les lettres dès le début, profite de cette présence masculine, joue de sa séduction, utilise cet homme. Est-elle si dupe ?
Mais le temps et les insinuations ramènent au devant de la scène la réticence, la mesure. La notion de péché fait son apparition, elle est inculquée par les autres et par le temps mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ou bien de l’amour d’un homme qui ne veut pas grandir, que les attitudes des adultes effraient par leurs caricatures. La victime devient alors François, victime de son amour, de la morale et du temps : « Où pourrais-je me sentir en sécurité, si chaque geste est irréparable et manque son but ? Que vais-je faire alors de mon amour, avec mes pattes d’ours ? Et quelle mascarade je nous prépare ? »Même s’« il est impossible de faire entendre raison aux gens raisonnables et résonnants », François me parait s’être fourvoyé dès le début : à vouloir revivre son amour de jeunesse et prendre sa revanche sur le temps, il a été le loup dans la bergerie mais surtout la victime de l’utopie du pouvoir salvateur de cette enfant. Elle était jeune mais la puberté arrivant, le temps des premières initiations se finit et la sève se tarit. Le loup et le chaperon rouge ont tous les deux goûté au fruit défendu comme nous le lit si bien Holly golightly.
*source Claire Wendling (sensualité entre cette créature, qui préfère se faire mal que de toucher à elle, et cette enfant)

Mais qu’est-ce que j’aimerais que Guillemette est répondu par l’affirmatif à François quand il lui a dit : « et puisqu’il te faut des remord à tout prix, remords, à pleines dents ! »