dimanche 19 février 2017

J'ai lu - Une activité respectable


"Ma chambre sous les toits, peinte en vert translucide, était remplie de livres et de petits papiers - les livres, ma mère les y avait entassés l'été précédant mon entrée à l'école primaire, et je me souviens de comment nous nous tenions ensemble face au monument de pages qu'elle avait amassées dans la pièce. A ce moment, il y avait quelque chose dans ses yeux qui suppliai et qui s'en voulait de supplier, quelque chose qui ne voulait rien imposer à une si petite fille mais qui redoutait pourtant de ne plus rien avoir à faire avec elle si elle ne passait pas l'épreuve. C'était la première fois que je voyais ma mère être seulement elle, être tellement vulnérable que je l'ai gravée dans ma mémoire, blonde, enceinte de ma sœur, bouleversante, devant le butin qu'elle avait rassemblé pour me dire qui elle était, en réalité. Un monument identique de livres l'avait sauvée, elle, trente ans auparavant, d'une enfance complètement ratée, alors elle étalait son secret devant moi, elle m'expliquait ce qu'elle aimait le plus au monde, dans un mouvement qui était aussi un potlatch, une offre de richesse démesurée, et à laquelle il s'agirait peut-être de répondre un jour par un don encore plus considérable."
(extrait de "Une activité respectable" de Julia KERNINON, édition du Rouergue; illustration de Kitty CROWTHER)

samedi 18 février 2017

Roc, Rokh, Rukh ou Rukhkh - Sindbad le marin et Aladdin



"En jetant les yeux sur la mer, je ne vis que de l'eau et le ciel; mais, ayant aperçu du côté de la terre quelque chose de blanc, je descendis de l'arbre, et, avec ce qui me restait de vivres, je marchai vers cette blancheur, qui était si éloignée que je ne pouvais pas bien distinguer ce que c'était.
Lorsque j'en fus à une distance raisonnable, je remarquai que c'était une boule blanche d'une hauteur et d'une grosseur prodigieuses. Dès que j'en fus près, je la touchai et la trouvai fort douce. Je tournai à l'entour pour voir s'il n'y avait point d'ouverture; je n'en pus découvrir aucune, et il me parut qu'il était impossible de monter dessus, tant elle était unie. Elle pouvait avoir cinquante pas en rondeur.
Le soleil alors était prêt à se coucher. L'air s'obscurcit tout à coup comme s'il eût été couvert d'un nuage épais. Mais, si je fus étonné de cette obscurité, je le fus bien davantage quand je m'aperçus que ce qui la causait était un oiseau d'une grandeur et d'une grosseur extraordinaires, qui s'avançait de mon côté en volant. Je me souvins d'un oiseau appelé roc dont j'avais souvent ouï parler aux matelots, et je conçus que la grosse boule que j'avais tant admirée devait être un oeuf de cet oiseau. En effet, il s'abattit et se posa dessus, comme pour le couver."


"- Je pense qu'il ne manque qu'une chose à ce palais pour être le plus beau du monde. On m'a dit que sur le mont Caucase vivait le rokh, un oiseau d’une grandeur prodigieuse, et que ses œufs étaient d'une splendeur inouïe...
[....] Aladdin [...] sortit de ses habits la lampe qui désormais ne le quittait plus et la frotta. Le génie apparut.
- Il manque à ce dôme un oeuf de rokh. Apportes-en un et suspends-le.
Contrairement aux fois précédentes, le génie ne partit pas exécuter l'ordre. Il entra dans une épouvantable colère:
- Sois maudit pour ton ingratitude! Le rokh est mon maître! Quoi? Tu voudrais que je t'apporte mon maître qui t'a couvert de bienfaits et que je le pende pour décorer ton palais? Tu mériterais d'être réduit en cendres, toi, ton palais et toute ta descendance!"

(1er extrait correspond au second voyage de Sindbad le marin, de la 73ème nuit, issu des "Mille et une nuits" traduction d'Antoine GALLAND, Maxilivre; le 2d extrait de "Sur les traces d'Aladdin" de Thierry APRILE; Gallimard jeunesse; premier tableau de Robert Swain GIFFORD, deuxième d'Elihu VEDDER)

jeudi 16 février 2017

Emerence - La porte


"Je détournais la tête, ne supportant pas son regard. Alors vint le moment le plus décisif, le plus bouleversant de ma vie, elle ouvrit la bouche et happa mes doigts entre ces gencives édentées. Si quelqu’un nous avait vues, il aurait pensé que nous étions des perverses ou des folles, seulement je savais ce que cela signifiait, parfois Viola [notre chien] n’avait pas d’autre moyen de nous faire comprendre quelque chose, je connaissais ce mordillement, ce langage canin exprimant l’extase et le bonheur sans limite."
(extrait de "La porte" de Magda SZABO, livre de poche;  photographie extraite du film d'Istvan SZABO, adapté du livre, avec Helen Mirren en Emerence)

Oukiok - Je suis le chapeau


"A cette époque, lorsqu'une mère mourait avant les deux ans de l'enfant, et si aucune femme ne se décidait à l'allaiter, on supprimait l'enfant. Le père hésitait. Sa sœur, elle-même jeune maman, a les seins gonflés de lait. Mais cette femme n'a aucune envie d'adopter le nouveau-né. Et comme le père tarde à réagir, c'est elle, la tante, qui ramasse une pleine poignée de neige et s'apprête à l'enfouir dans la gorge du nouveau-né pour l'étouffer. Pressentant le danger, ce dernier tourne la tête dans tous les sens. D'une main, la tante l'immobilise et lui ouvre la bouche. De l'autre main, elle approche la neige. Ses doigts tremblent. La grand-mère, qui vient de perdre sa fille, se met à pleurer bruyamment. Les enfants joignent leurs pleurs au chahut, dehors les chiens aboient, le vent gémit, mais à la surprise de tous c'est la tante qui braille le plus fort. Tous ces hurlements n'en font qu'un seul, glacial, épouvantable, qui résonne gravement entre les parois de l'iglou. Les yeux révulsés, la tante s'écarte brusquement du nouveau-né et recule en maudissant Aterangui, qui lui mord à pleines dents la fesse gauche. Rien à faire, les hommes ont beau s'y prendre à plusieurs, Aterangui ne desserre pas sa mâchoire d'un millimètre. Une minute entière. Jusqu'à ce que la tante s'évanouisse.

Alors le nouveau-né, un garçon, recrache le peu de neige qui lui encombre la bouche,, la grand-mère arrête de pleurer, et les autres enfants font silence. Ils le regardent, lui, le nouveau. Tout le monde dévisage cet enfant miraculé, qui vient d'échapper à une mort programmée.
[....]
Pittattaritseq, le père, tarde à donner un nom au garçon. [....] [il] hésite encore. A force d'hésiter, il abandonne, et c'est Aterangui qui se charge de choisir un nom pour son frère. D'un doigt, elle trace ce nom dans la neige: Oukiok (ce qui signifie "hiver"). Elle le grave sur la pierre, elle le dessine sur le front de son frère. OUKIOK.
Car Aterangui est muette. Définitivement muette."
(extrait de "Je suis le chapeau" d'Alex COUSSEAU, éditions du Rouergue; illustration extraite de "Apoutsiak" de Paul-Emile VICTOR)

dimanche 12 février 2017

"Avez-vous déjà observé des papillons, Monsieur le Maire?" - Le rapport de Brodeck


"[Les papillons de la variété "Rex flammae"] vivent en petits groupes et on pense qu'il existe chez eux une sorte de solidarité qui les pousse à se rassembler lorsque l'un d'entre eux trouve de la nourriture en quantité suffisante. Ils tolèrent alors au sein de leur groupe des lépidoptères d'autres espèces... Dès qu'un prédateur survient, les "rex flammae" semblent se prévenir les uns les autres et se mettent à couvert... Les papillons, qui un instant plus tôt étaient intégrés au groupe, paraissent ne pas avoir l'information... et ce sont eux qui se font manger par l'oiseau. En livrant ainsi une proie au prédateur, ils garantissent leur survie. Lorsque tout va bien pour eux, la présence d'individus étrangers ne les dérange pas... mais dès qu'un danger se présente, qu'il en va de l'intégrité de leur groupe, ils sacrifient ceux qui ne sont pas des leurs."
(extrait du "Rapport de Brodeck" de Manu LARCENET d'après le roman de Philippe CLAUDEL, éditions Dargaud)

mardi 7 février 2017

L'île du temps perdu

C'est avec plaisir que je retrouve cette auteure italienne. "L'île du temps perdu" de Silvana GANDOLFI est un court roman plein de douceurs et de vivacité.


Deux enfants, Giulia et son amie Arianna, se perdent dans une mine lors d'une sortie scolaire. Dans le noir, puis sur l'île. Un volcan expulse sur ces pentes tout ce qui a été perdu sur terre. Elles comme les objets, elles comme les monuments, elles comme les musiques pas encore écrites, elles comme les émotions.
Elles rencontrent les enfants habitant l'île. Passablement gentils jusqu'à ce qu'ils poussent dans une crevasse un vieux grand-père désorienté lors d'une sortie de sa maison de retraite. Comment choisissent-ils ceux qui ont le droit de vivre et les autres? Il faudrait avoir envie de rester sur ce lieu magique, ne pas souhaiter retrouver sa vie d'avant. Mais ce n'est peut-être qu'un qui-pro-quo. Jour après jour, elles découvrent tous les habitant, les enfants, les adultes, les perdus pour tous même pour l'humanité et l'existence des atolls d'îles par zone géographique de lieux de perte.
Les repères temporels sont différents, pas de véritable nuit, pas d'heure mais les grondements irréguliers du volcan. Cela ressemble à un pays merveilleux. Sur cette île, ceux qui se sont perdus, ceux qui sont à même de paresser, de rêver, de perdre du temps, de perdre le temps. Il y a même dans les trouvailles autour du volcan des magnifiques émotions (espoir, patience, courage, mémoire) à se masser sur le corps contenus dans du plancton ou des lapilli volcaniques. Prendre soin de ses rêveries, de soi.
Le lieu est magique mais il est aussi voué à se détériorer. N'existe-t-il pas derrière le marais des cannibales? Humains perdus comme tous mais ayant respiré près de fumerolles toxiques, le temps noir. Apathiques, se mangeant les uns, les autres, même eux-même. Le gaz ne serait-il pas en train de se répandre? Le marais les séparera-t-il toujours? Mais le monde réel est le pire dans ce désastre annoncé.
"[...] toutes ces fumerolles correspondent à du temps perdu, mais pas celui des insouciants, pas celui qui nous fait vivre. En face jaillit le temps que les gens perdent sur Terre par stupidité, par manque d'initiative. Le temps gâché à cause de bureaucratie, des embouteillages. Tu comprends? C'est un temps destructeur, noir, qui dévore celui qui le subit."
Il faudra prendre ses responsabilités, choisir l'action, vivre sur l'île ou retourner à la vraie vie... pour ceux qui peuvent.

Et puis le livre est un roman, l'auteure le précise mais elle ajoute aussi qu'il s'agit d'une histoire racontée par Giulia: ce seraient ses souvenirs d'enfance. mais comment croire une telle chose? C'est trop merveilleux et angoissant? Silvana envoie des lettres à son amie, l’héroïne, pour l'informer de son avancée dans la rédaction de l'histoire. Elle doute, la questionne et rêve que l'île est vraie.

A travers ce conte, l'enfance se dévoile dans sa spontanéité, son indolence, son oisiveté (cf extrait), comme des qualités à préserver. Les adultes, qui les conservent, eux, sont encore des rêveurs, des découvreurs ou des mal adaptés. Le livre tente de faire un pont entre le merveilleux et le monde adulte, la paresse comme construction de soi, retour à soi et la vraie vie. C'est doux et chaud!


L'oisiveté - L'île du temps perdu




"Chère Giulia,

[....]
Au fait, est-ce que tu trouves que je me fais bien comprendre quand je parle d'"oisiveté"? Ou bien, à sa parution, y aura-t-il des adultes pour interdire ce livre à leurs enfants, en prétextant qu'il ne faut jamais rester à ne rien faire et que l'oisiveté est la mère de tous les vices; que qui ne fait rien n'a rien et que, même dans Pinocchio, il est dit que c'est une très vilaine habitude dont il faut se débarrasser dès le plus jeune âge!
Bien entendu, l'oisiveté de l'île, c'est autre chose: c'est réussir à se confronter avec soi-même sans s'ennuyer, s'intéresser à des choses insignifiantes, comme le vol d'un moustique, pour y découvrir la mélodie du soleil et les lois de l'univers.
Mais c'est aussi décider que si l'on veut faire quelque chose, quoi que ce soit, alors cela vaut la peine de le faire avec énergie et passion pour que ça réussisse. Sans oublier, cependant, que l'action est juste l'une des manières de vivres, et non la seule.
Pour résumer, l’oisiveté est l'art de faire en ayant l'air de ne rien faire.
Tu es d'accord avec ça?
[....]
S."
(extrait de "L'île du temps perdu" de Silvana GANDOLFI, éditions Les Grandes Personnes - j'en parle là; source photo de Kate T.PARKER)

Dictionnaire fou du corps

Nous sommes là sur un livre clivant. De mon côté, j'ai décidé de plonger avec enthousiasme dans cette proposition débordant les tabous et invitant aux pétillements du cœur.

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

"Dictionnaire fou du corps" de Katy COUPRIE est une somme de définitions, 801 mots.
Il faut se méfier, en plus des onomatopées (zzzzz) d'autres sont faux (abdomignon). Vous trouverez, pour chaque, le sens propre et/ou le sens figuré, le sens anatomique ou spécifique
Le corps humain est ainsi présenté anatomiquement en pièces détachées, les organes, les os, les éléments plus petits et leur nom encore peu connus de tous: scapulo-huméral, wormien, xiphoïde, jéjunum.... Et premier choc, pour certains, les organes génitaux sont présents et pas seulement dans leur schéma anatomique interne.
Mais vous aurez aussi d'innombrables mots tournant autour de notre perception du corps: sa silhouette, sa beauté, ses mouvements en plus de ses fonctions (danse - sacre du printemps ou danse macabre-, jeu, acrobatie, rire, massage, loucher, bronzer, lévitation, se laver...).
Puis d'autres, pour pouffer de rire ou rire sous cape: pellicule, poil, pus, pet; rot, furoncle, se dégarnir ou tablette (de chocolat).

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

Exemple les pages consacrées au H : ha, habillé, haleine, hâle, hammam, han, hanche, haut-le-coeur, haut-le-corps, hep!, hérédité, hermaphrodite, hibernation, hirsute, hirsutisme, hiver, homme, hoquet, hormone, humain, humeurs, hybride, hymen, hypoderme, hypothalamus.

Le choix des mots est déjà subjectif: en plus de découvrir son corps, c'est toute notre façon d'en parler, d'en rire, d'en jouer jusqu'au désir qui apparait. Ce n'est pas qu'une vulgarisation scientifique, ici le corps est maltraité avec douceur, chatouiller avec ardeur et les petites brimades remises dans un contexte d'humour et de relativisation.
Puis les définitions se veulent jeux de mots, accompagnées de fausses citations (avec quelques vraies) : pour décapiter "Qu'on lui coupe la tête! Qu'on lui coupe la tête!" (La Reine de cœur). 

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

GALIPETTE n.f. 1* Sorte de roulade désordonnée que les enfants effectuent volontiers, en général la tête la première et en rigolant. Les adultes ne savent plus vraiment faire la galipette. Ils font le grand saut. 2* Fig. Faire des galipettes: faire l'amour. Voir Gymnastique, Sexe.

FANTÔME n.m. Corps de rêve sous un drap. Être impalpable, le fantôme se convoque, mais ne répond pas au téléphone. S'il laisse un mot, c'est "je reviens". Voir Esprit, Immatériel.

CHIRURGIE n.f. Fig. Choix de l'opération: addition, soustraction, multiplication ou division. Voir Ablation, Amputation, Césarienne, Greffe.

Bien-sûr il est question de sexe, déjà en les présentant avec différentes appellations, dans leur fonctionnement mais aussi dans de très nombreux mots associés. Accouplement, reproduction, extase, han, coït mais point de fornication ou de foutre: le langage, même s'il peut déstabiliser certains, n'en est pas moins choisi.

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

Et puis il y a l'aspect visuel. Le livre se veut une compilation de termes scientifiques et d'humour, les illustrations suivent cette tendance: des gravures anatomiques anciennes avec des dissections illustrées (stylisées ou très réalistes), des dessins d'écorchés, des schémas d'organes, des dessins du squelette; mais aussi des photos de bouches, d'yeux, de mains; mais aussi de très nombreux croquis sur le vif de mouvements et positions en gros traits colorés, des croquis de gestuel, des aplats de position, des ombres, des tâches.

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

Il s'agit d'un objet culturel. Des partis-pris, des choix audacieux, de petits chocs visuels, du jargon scientifique, des mots crus, des digressions. Au détour des pages, vous trouverez Batman, Louis de Funès, Einstein, Médusa, le Minotaure, Superman, Pinocchio, Vélasquez et tant d'autres (car les fausses citations nous ouvrent encore des portes!).

© Katy COUPRIE / Thierry Magnier

Le dictionnaire répond à de nombreuses questions possibles, déroute aussi, fait sourire, fera rire le plus jeune lectorat mais il garde ce je ne sais quoi, qui même après explication, laisse l'émerveillement de la découverte ou de la pratique (du développement amoureux jusqu'au désir et au plaisir par exemple).
Coup de coeur donc!

jeudi 2 février 2017

Sally Jones

Hum, hum, une narratrice gorille, une belle couverture. Oui, j'étais déjà presque conquise avant de lire "Sally Jones" de Jakob WEGELIUS.

© Jakob WEGELIUS/ Thierry Magnier

Nous le savons tout de suite, Sally Jones, d'un seul tenant pour l'interpeller - parce que les gorilles n'ont pas un prénom et un nom mais un seul patronyme -, est douée. Elle comprend le langage humain, sait lire et écrire - mais pas parler - et a de sacrées compétences en mécanique. Ce roman est son histoire, sa quête de la vérité après que son employeur et ami, Henry Koskela dit le Chef, se soit fait incarcérer à tort pour meurtre.
Ils sont arrivés à Lisbonne sur le bateau de Chef, une escale pour trouver une cargaison à transporter afin de renflouer les caisses. Un homme à la moustache fine leur propose le cheminement de carreaux de faïence, azulejos. Mais ce travail entrainera la perte du Chef. Il est arrêté et Sally Jones doit s'enfuir. Elle s'enfuit à travers une ville où personne ne veut d'elle, où elle fait peur. Elle est recueillie par Ana et Mr Fidardo.

© Jakob WEGELIUS/ Thierry Magnier

Son ami emprisonné pour 25 ans, elle décide de l'attendre, de lui rendre la vie plus douce et de prouver son innocence. Au fil des chapitres son enquête l'amène à se cacher pour ne pas risquer d'être enfermée dans le zoo de la ville, tuée, vendue... Et là voilà qui part en Inde avant d'être capturée.

Ce gros roman de plus de 500 pages se lit d'une traite. L'aventure est au rendez-vous, par les toits, par bateaux, trains ou avions, dans des conditions de bête incarcérée, de travailleuse ou de luxe. Parce que oui, Sally Jones est une bosseuse: elle est mécanicienne marine mais se voit aussi repriser des chaussettes, éplucher des oignons, réparer des accordéons, espionner un harem.
Elle nous enchante en jouant aux échecs, en luthier improvisé, en animal impulsif et affectueux.
Les personnages sont truculents, l'atmosphère sensorielle (colorée mais aussi musicale avec le fado, gustative avec quelques spécialités portugaises dont les pâtisseries pastei de nata ou les boissons d'homme). Les tribulations de ce gorille nous entrainent dans des enjeux politiques et commerciaux mais aussi dans des jeux de pouvoir, d'intimidation, d'amitié et de tendresse entre humains et entre humains et animal.

Le choix anthropomorphique est un parti-pris bien mené: Sally Jones comprend les hommes, se lie d'amitié, vit avec eux et même travaille mais elle reste ce grand singe un peu effrayant, déroutant les individus et entrainant une autre manière de voir les situations.
L'auteur, Jakob WEGELIUS, illustre aussi ses pages avec le portrait des personnages principaux, dessins de début de chapitre ou carte des voyages de Sally Jones entre le Portugal et l'Inde jusqu'au Pendjab.
Cela donne envie découvrir la première partie de la vie de Sally Jones, avant qu'elle ne rencontre le Chef, soit "Sally Jones, la grande aventure".

Pause jeunesse

Prendre du temps pour tapisser un abri pour l'enfant que j'étais. Cela servira peut-être...