mardi 29 septembre 2009

Une si longue lettre


Je suis rentrée par la fenêtre dans une maison en deuil, celle de l’héroïne d’ « Une si longue lettre » de Mariama BÂ. J’ai suivi les confidences de Ramatoulaye à son amie Aïssato et ai découvert un monde : la condition féminine au Sénégal.

Que c’est intimidant d’arriver là, de lire les mots d’une autre, cette femme fictive, si réelle pourtant, que j’imagine être la femme dans la norme là-bas.

Ce livre, fort, épistolaire, reprend le parcours d’une vie féminine, du moins dès son adolescence. Le choix d’un mari comme l’aboutissement social, familial et sociétal d’une communauté : un choix de raison et non de cœur. Une éducation traditionnelle, religieuse, amène les jeunes pubères à se vouer à être la femme, une des femmes, d’un homme.

*source cauris

J’aime les avis masculins placardés qui reprennent une biologie instinctive comme prétexte : « J’ai vu un film où les rescapés d’une catastrophe aérienne ont survécu en mangeant la chair des cadavres. Ce fait plaide la force des instincts enfouis dans l’homme, instincts qui le dominent, quelle que soit son intelligence. Débarrasse-toi de ton excès de sentimentalité rêveuse. Accepte la réalité dans sa brusque laideur. » Quel grand écart entre cette aventure extraordinaire, si forte en spiritualité et en vie (j’y reviendrais), que ce drame humain et ce prétexte à la polygamie consommée.

La condition féminine du Sénégal traditionnelle m’est transmise de plein fouet: élevée dans l’élan de l’Islam, pour rendre honneur à son mari, en étant convenable, en restant dans sa caste, nourricière et mère. Etre une femme et accepter les autres femmes de son mari, les charges financières qu’un soutien de famille, mâle, doit à celle d’où il vient, se soumettre au tour (séjour réglementé du polygame dans la chambre de chaque épouse) et au déshonneur en cas de rupture conjugale de son fait. Par l’histoire de son amie, l’émancipation de la femme, comme le passage de l’Afrique traditionnelle à une Afrique plus moderne, plus féministe, apparait et traine derrière elle tous les « déshonneurs » des traditions. Etre jusqu’à sa mort la femme de, perdre sa personnalité à la mort de son mari, cela aussi m’apparait bien loin de nous.

Alors ce passage entre deux Afriques apparait, autonome par rapport aux actions et idées des anciens colonisateurs, amis intéressés. Une réévaluation à la hausse d’une société et de ces individus qu’il faut liée à l’éducation : « Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et mœurs ; nous faire apprécier de multiples civilisations sans reniement de la nôtre ; élever notre vision du monde, cultiver notre personnalité, renforcer nos qualités, mater nos défauts, faire fructifier en nous les valeurs de la morale universelle (…) »

Les livres semblent des aides, des tuteurs, des supports : « Tu eus le surprenant courage de t’assumer. (…) Tu t’assignas un but difficile ; et plus que ma présence, mes encouragements, les livres te sauvèrent. Devenus ton refuge, ils te soutinrent.
Puissance des livres, invention merveilleuse de l’astucieuse intelligence humaine. Signes divers, associés en sons ; sons différents qui moulent le mot. Agencement de mots d’où jaillissent l’Idée, la Pensée, l’Histoire, la Science, la Vie. Instrument unique de relation et de culture, moyen inégalé de donner et de recevoir. Les livres soudent des générations au même labeur continu qui fait progresser. Ils te permirent de te hisser. »

Ce livre parle aussi de l’amitié, si riche, si précieuse, ici décrite comme émotion plus forte que l’amour. Il retrace aussi quelques éléments de l’éducation familiale des enfants comme une condition féminine et amène une réflexion sur les traditions et le religieux.
Une très belle lecture pour aller encore plus loin dans le rapport des traditions à nos états de vie, à nos réflexions sur l’éducation, à nos ouvertures amicales. Vous en voulez encore plus, aller donc lire le superbe billet d'Arlette et ici. Malice nous ammène à une autre lecture, aussi sur la condition des femmes...

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