mardi 29 septembre 2009

La pomme rouge

« Le 8 novembre

Mademoiselle,

Je me sens ridicule d’appeler ainsi une fillette de douze ans, une enfant gâtée, insupportable, un petit démon buté, pourtant je ne trouve pas un autre mot pour commencer ma lettre. J’aurais pu vous appeler : mon enfant. Mais, grâce à Dieu, je ne suis ni ne voudrais être votre père, si ce n’est pour avoir le plaisir de vous donner une bonne fessée. J’aurais pu dire : Guillemette, s’il n’avait fallu faire précéder votre nom de : ma chère. Non, non, mille fois non. Vous ne m’êtes pas chère, et votre nom ne veut rien dire. Où l’avez-vous déniché ? Quelle est la malheureuse vierge et martyre qui aurait osé s’appeler ainsi ? C’est plutôt un prénom poussiéreux et moyenâgeux de sorcière : Guillemette Babin, votre double, votre homonyme (cherchez donc ce mot dans le dico, petite ignare), une vieille sorcière d’antan (mais pourquoi dit-on que les sorcières sont vieilles ? J’en connais une bien jeune…) D’où vient donc Guillemette ? De guillemet, ou de guillemot qui est un oiseau palmipède plongeur ? Si c’est le féminin de Guillaume, permettez-moi de le trouver plus ridicule que le masculin de Guillemette.
Mademoiselle donc, petite donzelle impertinente, même si le terme vous comble d’aise, je n’aime pas beaucoup vos manières d’agir. Vous ne me connaissez que comme voisin d’en face, et je pourrais en dire long sur votre conduite à la fenêtre. (Passons…) Alors, dites-moi de quel droit vous m’avez littéralement assailli, au jardin public, et embrassé par surprise sur la joue ? Sous les rires et les cris de vos petites camarades ? Que vous apprend-on, à l’école, en dehors de la géographie et de l’orthographe ? Appelez-vous ça un jeu d’enfants sages ? Etiez-vous obligée de m’embrasser sous le vain prétexte qu’il vous fallait exécuter un gage ? Sachez, petite fille, que je ne veux pas être le jouet de vos Amstramgram. Et que je pourrais bien être vexé d’avoir été choisi par le sort plutôt que par un caprice de gamine. Je vous en veux surtout pour les huées de vos camarades. Sont-elles jalouses à ce point ? Quelle position ridicule que la mienne ! Et je m’enfonce encore davantage en vous écrivant ma réprobation, avec des mots de grande personne qui glisseront sans blesser. Pourtant, comme j’aimerais vous blesser ! Vous êtes laide, laide, laide, laide, laide…. Comprenez-vous ?

P.-S. – De rage, vous pouvez déchirer cette lettre, la piétiner ou la froisser, ou même vous en faire un bonnet d’âne, ça m’est égal
. »
(extrait de "La pomme rouge" de Francis GARNUNG" dont je parle là avec délice )

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