samedi 8 octobre 2011

Neandertal (et des poussières)

© Yann FASTIER et MORVANDIAU/ L'atelier du poisson soluble

Je n'en avais pas parlé après la lecture. Quelle erreur! Parce qu'il faut bien l'avouer "Neandertal (et des poussières) " de Yann FASTIER et illustré par Morvandiau est une petite bombe d'humour. Pour tout dire il m'a valu des fous rires dans le métro (et ce n'est pas si courant que cela, et pour moi, et pour les autres).
Yob dévoile des moments de sa vie préhistorique autour d'une vingtaine d'histoires. Mais ne vous y fiez pas, même si certains détails peuvent rappeler ces temps anciens, le propos est très moderne.
Alors oui Yob parle de leurs moyens de survivances (chasse, pêche et ce feu que les Cro-magnons maîtrisent, eux les arrogants), des relations dans la communauté, avec les femmes, avec les autres communautés. Les situations quotidiennes sont revues et corrigées, des apéro, de l'écossage de chenilles, des gazelles qui taquinent les chasseurs, des fossiles gelés.
L'humour vient de l'anachronisme des réflexions, des valeurs. Les références culturelles sont à toutes les pages, cinématographiques, d'atmosphère d'enfants des années 80 (le kiki de tous les kiki, Cheeta accompagnant Tarzan, Rahan). Mais aussi par les références à l'évolution (pousse opposable, position debout, venir du singe ou de la mer), aux connaissances anthropologiques, historiques (dinosaures) et aux inventions.
Les histoires débattent de racisme, de naissance de l'univers ou de Création avec Adam et Eve (Nadam' et Ef), de sagesse, d'art "contemporain" et rupestre, de moralité, de gustatif.

© Yann FASTIER et MORVANDIAU/ L'atelier du poisson soluble

L'évolution arrive aussi pour le langage, de nouveaux mots aux notions complexes que l'on trouve en allant faire pipi au fond de la grotte, là où il fait noir et où il y a un bruit d'eau. Le style de Yann FASTIER apporte aussi ces métaphores très parlantes dans le contexte. Il joue avec les images, avec les mots, avec nos propres réflexions contemporaines et c'est jubilatoire.

© Yann FASTIER et MORVANDIAU/ L'atelier du poisson soluble

Les illustrations de Morvandiau apportent comme un esprit caricature qui soutient aussi l'humour du texte.

Et au final, il fait parti de ces livres que j'aime lire à voix haute à une tiers personne, adulte qui plus est. A relire aussi après avoir relu "Pourquoi j'ai mangé mon père" de Roy LEWIS.

Merci à L'atelier du poisson soluble!

mardi 4 octobre 2011

Le faire ou mourir

"Le faire ou mourir" de Claire-Lise MARGUIER est un court roman choc. Dam DeCaro est un adolescent de presque 16 ans aux prises avec la difficulté de vivre cet âge des possibles, ou plutôt des impossibles futurs.

Jeune au corps de "frite molle", il est solitaire. Seul parce qu'effacé, seul parce qu'aussi trop intelligent. A travers ses confidences offertes à une oreille attentive (le lecteur est tutoyé) nous avons accès à sa souffrance. " Il y a le ciel au dessus de moi, mais je ne le vois pas. Moi j'ai toujours vu que ce qui est sombre, ce qui est noir et effrayant, les monstres sous le lit, les fantômes dans le placard, la mort à l'angle de la rue."
Oui les thèmes sont violents et ardents: l'homosexualité, la scarification, le piercing, la violence extrême. Mais il n'y a pas là d'accumulation sordide mais bien une finesse des propos.
Dam (Damien) est un adolescent mal aimé à la recherche d'attention. Les autres ne semblent pas les plus méchants, même si les signes de coup sont visibles. C'est bien dans le cercle familial que le pire peut exister.
La famille se replie dans un autoritarisme et un étiquetage de l'adolescent sans prendre la peine de communiquer. Ils se fient aux indices vestimentaires, scolaires et conventionnels. Tout serait une affaire de crise d'adolescence, cela lui passera. Mais ils passent à côté de lui.

Le jeune homme comprend tout toujours plus vite que les autres: "Tu finis par te retrouver loin devant, et loin devant c'est pareil,que loin derrière, t'es tout seul, avec la différence que loin devant, les gens sont jaloux et curieux à la fois. Et cruels." Il cogite et bouillonne de sentiments non exprimés. Ses actes sont signe de négligence affective.
Le malaise pousse aux questionnements et aux passages à l'acte. Et les solutions paraissent fermées pour un adolescent, pas encore adulte, pas encore libre d'être juste lui-même. La révolte, l'agressivité, le repli sur soi, le choix d'appartenir à un groupe différent, le suicide ou la résignation. Dam choisit la passivité à l'extérieure et la furie maîtrisée seul, la scarification, comme marque sur soi, contrôle de sa douleur. Contrôle aussi des pressions internes: avec le sang s'écoule les tensions avant explosion.
L'homosexualité est au cœur du propos aussi. L'acte mais surtout ce qu'il implique: cet amour d'un être avant d'être celui d'un sexe. C'est aussi le regard d'autrui: l'homosexualité comme une sensibilité particulière, provoquant presque un respect de la différence, des attentions et des précautions pour des personnes extérieures et habituées aux enfants (enseignants et médecins) et une peur, une intolérance et une colère dans le cercle familial.
L'absence de communication inter-générationnelle couplée à cette découverte d'un autre rapport aux autres, à soi et à ses sentiments, de ce rapport de soutien et de prise de position de la mère de son ami, amène Dam dans ses retranchements. Laisser libre la parole et les sentiments ou se canaliser et pleurer. "Des fois j'étais mal à en crever, sans raison, mais j'avais pas envie que ça s'arrête, comment t'expliques ça? Si ça s'arrêtait, c'était le vide, et le vide ça me foutait la trouille pire que tout. J'attendais de cumuler pour que je finisse par pleurer (en cachette, j'avais compris) et que ça me soulage un peu. C'était comme si pleurer ça me consolait."
Il est à bout, peu de personne l'écoute. "Je ne me sens pas capable d'assumer la vie."

L'histoire a deux fins, cela pourrait déstabiliser mais l'idée est belle. Loin de proposer un happy end et une fin brutale c'est surtout le moment où tout diffère qui est intéressant: comme quoi le pire effectué, ce n'est peut-être justement pas le pire.

Un très bel entretien avec l'auteure chez In Cold Blog et son superbe avis documenté



samedi 1 octobre 2011

L'enfant & le temps


"L'enfant et le temps" de Bernadette GUERITTE-HESS est une bible pour ceux qui s'intéressent aux notions spatiotemporelles dans les apprentissages et le développement intellectuel et logico-mathématique des enfants.

Ce livre très complet fait le tour de la notion de temps, d'une part ce que nous entendons par les mots, d'autres part la logique à laquelle ils font appel. Et le sujet est d'importance. Il y a bien-sûr les pathologies liées aux relations au temps comme la dyschronie, les difficultés d'apprentissages des mesures du temps. Mais la temporalité entre bien plus dans nos vies que ce que nous pourrions croire. La notion abstraite doit devenir objective pour permettre de s'ancrer. Ainsi l’existence, l'histoire, le passé-présent-futur, la durée, les événements ou le mouvement dans le temps, l'âge et la généalogie doivent se matérialiser. D'autres part, les mesures ne sont pas évidentes et font appel à des mobilités d'esprit particulières et des équivalences numériques à maîtriser (seconde, heure, journée, date, semaine, mois, année, siècle, saison).

La partie "petite chronique" remet en contexte cet apprentissage de la logique temporelle, par le développement de l'enfant jusqu'à l'âge adulte et sa confrontation au temps offrant ainsi un aiguillage sur les exercices pratiques à mettre en œuvre à tel âge pour développer autant sa maîtrise des mesures du temps que l’anticipation, la rétroaction, le raisonnement etc...

Les autres parties, elles, proposent de très nombreuses activités permettant de reconstituer les notions, puis les opérations mathématiques, au sens de vivre des situations en temps réel pour créer des représentations graphiques et mobiles rendant ainsi les outils visibles. Et le choix est vaste, délimité, évolutif et se base sur 50 ans de carrière d'orthophoniste et de psychomotricienne.
Les exercices impliquant souvent beaucoup de matériel mais très facile d'accès (pensez donc aux 60 allumettes représentant les secondes, dans leur boite d’allumette représentant la minute, les 59 autres boites remplies pour faire l'heure etc...). Les "modes d'emploi" sont extrêmement précis et ramènent chacun à une difficulté particulière.

Le temps, immatériel, est ainsi disséqué dans son instant t, sa mesure, la durée, le mouvement, les opérations sur lui, le langage autour et le vécu.
Trois aspects de la mesure des durées sont mis en évidence: l'apprentissage des conventions, l' entrainement aux opérations mentales et l'organisation de structures logiques autour de l'équivalence numérique.
La pensée logico-mathématique et le langage sont alors mis en rapport, de l'un sans l'autre avec les les rééducations vécues avec des enfants sourds et malentendants, mais aussi dans leur rapport de causalité. Tout le langage concerné autant en mots, qu'en donnés, en vecteurs de temps, en précision temporelles (événements ou durées, simultanéité ou successions, temps emboités ou durées se chevauchant, lé début ou la fin) est explicité.

Les mises en motricité des notions abstraites apportent vraiment une appropriation matérielle de ces abstractions. Et sachant que le quotidien est plein de structures logicaux-mathématiques et que des lacunes temporelles affectent la vie de tous les jours, l'insertion dans une société construite autour des conventions temporelles mais aussi les énoncés de problèmes mathématiques, ce livre est vraiment une très belle proposition pour tous les éducateurs, professeurs et parents d'enfants entre l'école maternelle et le collège.
A ouvrir, décortiquer et mettre en pratique de suite!


jeudi 15 septembre 2011

Jours sans faim


"Elle se vantait à voix haute d'avoir tout encaissé, tout digéré, elle avait chaussé ses bottes de mille lieues pour se barrer loin de tout ça, pour affronter le monde. Jusqu'au jour où cette enfance blessée lui est remontée d'un seul coup. Acide. Elle avait beau mâcher, ruminer, déglutir, ça ne passait plus. Elle croyait qu'elle était quitte, qu'elle avait eu sa dose. Elle croyait qu'elle pouvait s'en tirer comme ça, presque indemne, à peine un peu plus sensible, mais elle n'en finissait plus de faire rouler dans sa bouche ces petits morceaux d'enfance comme des cailloux terreux qu'elle refusait de cracher. Elle ne voulait pas grandir, comment peut-on grandir avec ces blessures à l'intérieur de soi? Elle voulait combler par le vide ce manque qu'ils avaient creusé en elle, leur faire payer ce dégoût qu'elle avait d'elle-même, cette culpabilité qui la reliait encore à eux."
Lou DELVIG, "Jours sans faim"

vendredi 9 septembre 2011

La maison où tu n'arrives jamais

La participation de Joanna CONCEJO à un livre est souvent (toujours?) gage de sensibilité.
Celle qui m'a donné envie de continuer mes pérégrinations dans son univers, Cristiana, a offert de très beaux billets sur cette illustratrice : n'hésitez pas à lire le magnifique interview sur son blog La boite à thé (blog à recommander).

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

"La maison où tu n'arrives jamais" de Paloma SANCHEZ IBARZABAL et illustré par Joanna CONCEJO est un petit bijou.
L'enfant est perdu dans la nuit et ne retrouve pas sa maison. Il déambule dans un univers onirique, pieds nus chaussette (oui, oui). Il cherche sa maison dans une forêt, les arbres feuilles deviennent des feuilles mortes dans le vent. Poussé par des voix encourageantes, toujours différentes, l'enfant avance dans son rêve, cherche son chez lui.

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

La perte de repères est ici flagrante. Il erre dans des univers en état d’apesanteur, où les éléments s'entrechoquent. Le milieu aérien et marin côtoient le sol. Le monde animal change de proportions. Le mobilier, les tasses de thé, un dragon, des poissons pochoirs comme des éléments de paysage.

La peur du noir est transmise par cette perte temporaire de la vue, les yeux masqués par des ailes de papillons de nuit, la tête devenue source de sensations félines. Les végétaux se font forêt, prison. Le bruit des klaxons de voiture, des mouettes, du vent ponctuent la nuit. Le bruissement des papillons deviennent preuve de présence fantomatiques.
L'angoisse est aussi dans la perception du monde et du temps: la fin du monde, le début, une journée, le néant, la solitude.
Mais ce n'est pas un cauchemar, les sensations de chute, de fuite, sont amoindries par la présence d'éléments magiques, comme un dragon, une grande ourse constellation aux allures de peluche aux yeux brillants, repère dans la nuit. La lune amortit comme un gros ballon, une étoile se fait aide. Et surtout, il y a ces voix qui poussent l'enfant à continuer le rêve, la recherche, à ne pas se laisser aller au malaise.

© Paloma SANCHEZ IBARZABAL et Joanna CONCEJO/ OQO éditions

Et puis aussi, restent des traces d'un chez-lui dans toutes les pages. Un chat est le point d'accroche de l'enfant, son pelage est monde en soi, sa présence est observatrice mais aussi réconfortante.

Nous émergeons de ce voyage dans le mystérieux des rêves avec apaisement. Le texte poétique et encourageant accompagne les images déstabilisantes. Les illustrations montrent, elles, l'imbrication du réel et de l'onirique. Un très beau livre pour se détendre avant de sombrer dans les bras de Morphée.

jeudi 25 août 2011

L'Ogresse en pleurs... et Cuisine de Sorcière

Je succombe toujours devant un livre illustré par Wolf ERLBRUCH. En plus de ces images si spécifiques j'ai souvent l'impression de suivre un choix de texte précieux, éclairé, souvent autant pour adulte (voire plus?) que pour enfant, à la limite aussi du non-sens quelques fois.

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

"L'Ogresse en pleurs" de Valérie DAYRE illustré donc pas ERLBRUCH ne déroge pas à la règle et c'est un coup de cœur.
Une femme méchante, une ogresse, veut faire encore pire que toutes ses actions jusque là: elle souhaite manger un enfant. Elle est difficile et fait le tour des villages pour trouver le bon, celui qui sera le plus appétissant.
Mais à force d'être exigeante, elle se fait repérer et les enfants vivent cachés. Elle se fâche et décide d'en manger plus d'un, milles et un, sans y parvenir. Elle dépérit jusqu'à en croquer un.

Le propos est grinçant. L'ogresse fait peur et elle mange l'enfant. Cependant ce n'est pas un livre si effrayant. Elle menace mais les astuces des enfants et des parents apportent une touche d'humour: les petiots se font plus grands en taille, se costument, restent chez eux.
C'est encore plus une histoire de parents:
"- N'importe lequel! gémissait maintenant l'affamée. Donnez-moi le plus maigrichon, le plus couillon! (elle avait abaissé ses prétentions).
Dans les maisons, on se taisait. Des couillons? Des maigrichons? Si on en avait, on se les gardait."

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

Le texte de Valérie DAYRE joue sur les termes: un enfant "à croquer". Et c'est bien la parentalité et l'amour le sujet du livre. L’ogresse a des yeux "brillants-gourmands" et cherche l'enfant idéal. D'ailleurs j'aime cette réplique "- Celui-là est trop futé, je ne veux pas avoir à lutter." Au fil des pages, les enfants, les nôtres, apparaissent les plus tendres à nos yeux, les plus à même d'être aimés. C'est de son enfant que l'on s'éprend et dont nous souhaitons être parent.
Je ne vous livre pas la plainte finale de l'ogresse mais qu'elle est belle!
Le vocabulaire nous propose mille et une manière de nommer l'enfant et ces jeux de mots exquis donnent envie d'aimer par gourmandise.

© Valérie DAYRE et Wolf ERLBRUCH /Milan

Les illustrations de ERLBRUCH sont toujours si particulières. Des aplats de tissus, comme des pochoirs, des tampons japonisants, des lieux lunaires et très proches de DE CHIRICO. Le repas de l'ogresse est magnifique d'épouvante (à regarder même avec des enfants!).
Et que ces lunes, astre protecteur, sont belles en témoins de notre parentalité.
***

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

"Cuisine de Sorcière" de Johann Wolfgang GOETHE et illustré par Wolf ERLBRUCH est un petit en-cas au doux goût de je n'y comprends rien mais j'aime.
Ici la quatrième de couverture nous apporte plus de sens que le texte du livre: "La sorcière prépare pour Faust le breuvage de rajeunissement et Goethe lui faire dire une formule magique qui n'est qu'un jeu turbulent de chiffres stimulant l'imagination et, en particulier, celle du grand illustrateur Wolf Erlbruch." Et c'est ainsi qu'il faut le prendre, comme une parenthèse dans l'initiation aux pièces "Faust" de l'auteur.

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

Ici la recette de la sorcière est très mystérieuse, ce qui apporte un plus est le pied de nez graphique de l'illustrateur. Il donne à vivre les chiffres, il cartographie les formes et fait des nombres des textures. Ci-dessous le fabuleux: "Le quatre perd"

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

Le rajeunissement ou l'éloignement de la mort (déambulant sur l'infini du huit)... j'aime son personnage... récurrent.

© Johann Wolfgang GOETHE et Wolf ERLBRUCH /La joie de lire

mercredi 24 août 2011

Ulysse et le Cyclope

© Christine PALLUY et Aurélia GRANDIN/ Milan jeunesse

"Ulysse et le Cyclope" de Christine PALLUY et illustré par Aurélia GRANDIN offre un autre duel mythologique.
Nous retrouvons Ulysse juste après la guerre de Troie lors de son retour au pays. Il découvre avec ses compagnons une île inconnue leur permettant de prendre du repos et de se rassasier.
Et Ulysse, curieux et intrépide, va chercher à explorer plus loin, l'île d'en face. Et là dans une grotte, où sont entreposés de grandes quantités de lait de chèvres et de brebis, des fromages, vit un Cyclope, Polyphème.

Alors oui, les ruses d'Ulysse sont ici bien rendues pour les enfants et aussi le caractère orgueilleux du personnage principal. La mise en avant d'un seul élément, la confrontation du héros face au monstre, apporte une lisibilité au récit, quand le feuillet de complément propose la mise en situation.
L'histoire n'est jamais finie et la conséquence du défi d'Ulysse voulant à tout prix être reconnu le perd. L'adaptation pour enfants ne limite pas les drames et s'est aussi une bonne chose: la mythologie n'est pas qu'une accumulation de combats et d’héroïsmes mais des individualités pleines de défauts et de nombreux drames humains.

© Christine PALLUY et Aurélia GRANDIN/ Milan jeunesse

Les illustrations d'Aurélia GRANDIN offrent un aspect surréaliste. Les contrastes sont importants sont importants et marquent bien le lieu, extérieur ou enfoui dans la grotte. Son partis-pris de présenter les hommes quasiment que de profil et le cyclope de 3/4 accentue la différence. Le côté surréaliste est compléter par un bouc à la "face de Picasso" et l'épopée, elle, est superbement illustré par un début et une fin avec une cartographie imaginaire.

Encore une belle proposition de cette collection Le fil d'Ariane: vous pouvez retrouver
"Thésée et le Minotaure" là
"Pégase et Bellérophon" ici

lundi 8 août 2011

Là où vont nos pères

© Shaun TAN /Dargaud

J'ai enfin pu me délecter de la lecture de "Là où vont nos pères" de Shaun TAN. Florizel m'avait harponnée là.
L'homme se prépare. Il choisit de partir, de laisser pour un temps sa famille et sa maison afin de trouver mieux ailleurs. Ailleurs, l'étrange, le merveilleux de la terre rêvée, un pays aux multiples codes ethniques, un monde protecteur, plus riche en travail et nourricier comme pourraient le symboliser les immenses statues égéries (oiseau conservant son œuf, animal aux provisions ou hommes en pleine fraternité).
Il fuit un pays déserté où les gens se calfeutrent à l'intérieur de chez eux par peur de ce monstre tentaculaire, ombre serpent qui s'insinue partout. Et commence l'exil, le voyage d'un individu pris dans la masse des populations en partance. A l'arrivée, il y a les démarches administratives, les formulaires, l'identification et le nouveau départ. Se refaire une identité, une vie dans un autre pays, avec d'autres codes, un autre langage, d'autres us et coutumes. Et rencontrer d'autres immigrés.

© Shaun TAN /Dargaud

Cette bande-dessinée, véritable roman graphique sans parole, est une histoire de l'exil.
Une histoire réglementée par les contrôles de l'immigration: la visite médicale, les nouveaux papiers voire même l'étiquetage des arrivants (qui pourrait rappeler d'autres formes de signes distinctifs moins amicaux). Une histoire de fuite aussi, de tragédies et d'utilisation du malheur des autres avec les passeurs bien cupides.
A travers le héros et ceux qu'ils rencontrent ce sont les destins de ceux qui partent. Ce qu'ils fuient et ce qu'ils recréent ici, sur la terre d'accueil. Tous ces individus sont mêlés à la multitude, juste un élément de cette grande transhumance.

© Shaun TAN /Dargaud

L'auteur choisit une version, non édulcorée, mais positive: que l'immigration soit organisée, volontaire, collective pour le travail ou que ce soit une immigration individuelle de refuge contre une société inégalitaire, une guerre, les immigrés sont accueillis.
L'exil n'est pas une évidence. La fuite, la valise comme seul monde, seul lien avec la famille. Et cette adaptation à la langue, aux écritures, aux coutumes, aux méthodes, aux machines, aux transports, aux mesures du temps, aux aliments étrangers.
L'apprentissage est aussi difficile pour le premier arrivant que pour les suivants, enfants compris. Et puis l'immersion amène l'intégration, une assimilation respectant les ethnies d'origine.

Cette terre d'accueil en elle-même est aussi le rêve de l'ailleurs. Un pays moderne, industriel, où les petits métiers sont aussi mis en avant. Les cultures, les ethnies cohabitent.
Le monde inventé par Shaun TAN est immense, vertical, très architecturé. Mais en plus des machines, des cheminées d'usine, il y a aussi toute une infrastructure (des transports en commun, une poste) et une profusion alimentaire.
En plus, l'homme ne semble pas être de trop, les logements sont là, exigus au départ mais offrant aussi des villages. Des statues gigantesques posent leur regard sur les habitants, non sans rappeler les divinités grecques, égyptiennes, cambodgiennes ou des mégapoles inventées pour les super-héros.
Le monde de l'auteur est aussi très humanisé. La promiscuité humaine ne restreint pas les services rendus. Les ethnies cohabitent et offrent une solidarité et une convivialité apaisante et fondatrice. Chaque habitant semble aussi être accompagné, et non victime d'isolement: un animal fantastique est "offert" et reste en permanence avec les individus.

Cette bande dessinée n'est pas forcément destinée aux enfants, elle faite de subtilité et de références. Les illustrations ont un rendu très peaufiné, elles sont minutieuses et très travaillées. L'usage du temps est là,

© Shaun TAN /Dargaud

dans cette double page de nuages, de ciels, d'étendue brumeuses comme des pensées mais aussi dans la patine des objets usuels, du quotidien ou le végétal marquant les saisons.
Les illustration oscillent entre des panoramas et des focus comme dans un film et un reportage photographique, où les récits des autres personnages sont présentés comme des photos jaunies. C'est aussi un livre témoignage où de nombreuses situations peuvent être réelles. Quelques images m'ont marquée particulièrement: ces oiseaux rencontrés en mer après un dur voyage comme la marque de la terre enfin proche ou ces origami comme trace éphémère du père, absence de la famille, présence et offrande.

© Shaun TAN /Dargaud

La découpe des "bulles" est aussi très particulière: double page sur les mondes en vue d'ensemble, oppressants ou accueillant, puis sur la temporalité (les nuages, le temps par le passage du temps sur la plante); enfin l'individu fondu dans la multitude.

Vous trouverez là un interview de l'auteur à propos de ce livre et ici un avis argumenté

mercredi 3 août 2011

Pégase et Bellérophon

© Christine PALLUY et Élodie NOUHEN/ Milan jeunesse

"Pégase et Bellérophon" de Christine PALLUY et illustré par Elodie NOUHEN est une autre proposition de la collection "Le fil d'Ariane".

Cet épisode est un peu plus complexe que "Thésée et le Minotaure" (billet en suivant le lien ci-dessus "le fil d'Ariane"). En effet, il fait intervenir plus de personnages secondaires.
Bellérophon est un jeune prince. Il souhaite dompter le cheval ailé mythique qu'est Pégase. Aidé par Athéna, il y parvient. Ils deviennent inséparables même dans les épreuves.
Un des combats mythiques qu'ils mènent est contre la Chimère.
Mais aussi la trame du récit poursuit la vie impétueuse de Bellérophon, de ces premiers défis où il est aimé et se croit invincible jusqu'à sa mort, seul.

L'histoire est noire mais aussi plus complexe pour des enfants car le parcours de Bellérophon est la conséquence de nombreux quiproquos et de sentiments humains complexes comme l'envie, le dédain, l'orgueil... en plus de la colère. Les dieux sont ici aussi plus présents. En fin de volume, toujours quelques explications complètent le propos est offre encore plus de richesses à l'histoire en amenant la mythologie dans le langage courant, aussi.

© Christine PALLUY et Élodie NOUHEN/ Milan jeunesse

Les illustrations d'Elodie NOUGHEN portent toujours le récit. Les couleurs rappellent ces épisodes entre les feuillages et le ciel, lieu de chevauchée de Bellérophon sur Pégase. Sa chimère, monstre massif, et son Pégase, cheval sans yeux et presque évanescent, donnent de l'ampleur à la scène de duel.Ce livre se lit aussi dans sa verticalité.