jeudi 30 octobre 2014

La couleur du lait


Mary a les cheveux couleur du lait. Blonde? A reflets? Elle est la petite dernière d'une famille de fermiers. Le père, rude et froid, aurait aimé avoir des garçons pour l'aider à la tâche. Ce sont pourtant quatre filles qui s’échinent jours et nuits dans ses champs.
Est-ce parce que celle-ci a une pâte folle? Est-ce pour son caractère bien trempé et franc? Mary se verra prêtée au service du pasteur Graham au presbytère. Elle a 15 ans et tout son monde change.
Dure à la tâche, elle s'ennuie dans cette nouvelle maison où le plus clair de son temps est pris à s'occuper de Madame. Remonter les draps, les oreillers, refaire le lit, aérer... cette pièce bleue.
Elle rejoint Edna, déjà employée à tenir la maison.

Se mettre au service de personne n'est pas le même travail que celui de la terre. La matière et les bêtes lui offraient une reconnaissance. Les actes au service d'une maison semblent déchargés de fond et pourtant. Ce sont ses attentions à la malade de la pièce bleue et à son grand-père cloitré dans la réserve de pommes, là-bas à la ferme, qui tiennent Mary. Elle a une présence réelle.
Elle ne joue pas, ne s'attache à aucun rôle, elle est juste elle-même.

"alors de quoi est-ce que vous voulez discuter? vous m'avez pas appelée ici rien que pour boire le thé et causer de la pluie et du beau temps?
tu es vive. je ne parlerais pas d'intelligence parce que tu n'es pas instruite, mais tu as quelque chose.
quoi donc?
une astuce innée peut-être, de l'esprit.
et c'est pas comme un cerveau instruit?
non, je ne crois pas, c'est informe, plus animal, plus primitif.
animal?
je ne voulais pas t'insulter. les animaux sont des survivants, ils n'ont pas besoin qu'on leur enseigne quoi que ce soit. mais ne t’inquiète pas de ça.
je m’inquiète pas. quand je ne peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas. si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
le révérend a joint les mains.
tu sais que tu aurais beaucoup à apprendre au reste du monde?
j'ai ri. et moi je crois que j'ai rien à apprendre à personne.
mais si . mary."

Ce passage au presbytère va lui retirer la naïveté qu'elle avait encore, elle n'est pas dupe du fiston coureur de jupons, comme elle ne l'est pas de l’ambiguïté du maître. Et pourtant, vive, intelligente, elle est humiliée, bafouée. Elle se résout à l'être aussi pour s'offrir une autre richesse, celle de la lecture et de l'écriture. Cette éducation lui est fatale. Autant Edna n'avait de futur que ses suaires, autant Mary pensait avoir un avenir.

Ce court roman, "Couleur de lait" de Nell LEYSHON, marque l'ouverture d'un autre possible qu'est l'alphabétisation. C'est aussi la fin d'une vie simple, franche, dure mais où Mary pouvait être solide. Elle ne pouvait pas, comme cela, changer de monde. Neil LEYSHON nous offre là la parole écrite de son héroïne, une écriture sans majuscule aux phrases courtes, presque factuelles.

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4 commentaires:

  1. Très tentant ce roman, je note.

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  2. Nadael: bienvenue entre mes billets. Tant mieux!

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  3. Je viens de découvrir ce titre dont beaucoup parlent sur les blogs notamment. J'ai beaucoup aimé, mais ce ne sera pas un coup de cœur : je me suis parfois ennuyée (chez le pasteur en particulier). Un nom d'auteure à retenir néanmoins.

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  4. Itzamna: non pas un coup de coeur non plus mais certains passages m'ont donné envie de les relire... et c'est assez suffisant quelque fois pour mon plaisir ;))

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