jeudi 20 mai 2010

Le petit prince


"- Cette nuit... tu sais... ne vient pas.
- Je ne te quitterai pas.
- J'aurais l'air d'avoir mal... j'aurais un peu l'air de mourir. C'est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n'est pas la peine.
- Je ne te quitterai pas.
Mais il est soucieux.
- Je te dis ça... c'est à cause du serpent. Il ne faut pas qu'il te morde... Les serpents, c'est méchant. Ça peut mordre pour le plaisir...
- Je ne te quitterai pas.
Mais quelque chose le rassura:
- C'est vrai qu'ils n'ont plus de venin pour la seconde morsure...
Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre en route. Il s'était évadé sans bruit. Quand je réussis à le rejoindre il marchait décidé, d'un pas rapide. Il me dit seulement:
- Ah! tu es là...
Et il me prit par la main. Mais il se tourmenta encore:
- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai...
Moi je me taisais.
- Tu comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là. C'est trop lourd.
Moi je me taisais.
- Mais ce sera comme une vieille écorce abandonnée: ce n'est pas triste les vieilles écorces...
Moi je me taisais.
Il se découragea un peu. Mais il fit encore un effort:
- Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les étoiles. Toutes les étoiles seront des puits avec une poulie rouillée. Toutes les étoiles me verseront à boire...
Moi je me taisais.
- Ce sera tellement amusant! Tu auras cinq cents millions de grelots, j'aurais cint cents millions de fontaines...
Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait...
- C'est là. Laisse-moi faire un pas tout seul.
Et il s'assit parce qu'il avait peur.
Il dit encore:
- Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable! Et elle est tellement faible! Et elle est tellement naïve. Elle a quatre épines de rien du tout pour la protéger contre le monde...
Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il dit:
- Voilà... C'est tout...
Il hésita encore un peu, puis il se releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pas bouger.
Il n'y eut rien qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Çà ne fit même pas de bruit, à cause du sable."
(extrait "Le petit prince" d'Antoine SAINT-EXUPERY)

2 commentaires:

  1. Vraiment magnifique ce texte.
    je l'écoutais déjà enfant, dit par Gérard Philippe, sur mon éléctrophone... Je me souviens très bien de ces instants. Je ne l'ai lu qu'un peu plus tard. Mais j'entends encore la voix..

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  2. Lily: je l'ai découvert assez tard en fait, après 16 ans et le charme avait le goût de premiers attachements... (s'apprivoiser).

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