mardi 2 septembre 2014

La Verticale de la lune

J'aime l'écriture de Fabienne JUHEL: elle est suave, sensuelle, grave, terrienne. Alors quand un autre de ses romans est arrivé en poche, je me suis ruée dessus. "La Verticale de la lune" est pourtant son premier roman.


Elle est encore une enfant et pourtant elle n'a pas vraiment d'âge. Elle, c'est la narratrice. Cette gamine intelligente passe son temps à déambuler entre la maison et le vaste terrain aux multiples arbres. Son monde est là: dans le végétal des troncs, des écorces, à la lumière de la lune. Son monde est aussi auprès de Teresa, la bonne mexicaine, trop grosse pour être aimée des hommes mais si pleine d'affection et d'amour.
Sa mère, Marie, est un feu follet. Présente, et pourtant distante, ou complètement absente, aux prises avec des amoures féminines. Elle n'est que de passage.
"Si je veux savoir de quelle humeur est maman, avant même de la voir, je n'ai qu'à observer le petit félin.
Qu'il se frotte à ses jambes en ronronnant comme un damné: elle est accommodante. Qu'il ronronne à distance, des ratés dans le moteur : elle est agacée. Qu'il grimpe dans l'escalier pour l'observer de loin, les oreilles couchées presque à l'horizontale, sa tête de lynx : elle est de très mauvaise humeur. Enfin, qu'il coure vers la première sortie accessible, le poil hérissé, la queue rase, le ventre à terre, en feulant hystériquement: maman a ses règles. Il déteste le sang des menstrues, elle aussi. Moi, non." 

Il y a aussi Nadine. "J'ai jeté Nadine dans le puits." L'histoire commence bien par ce geste symbolique de l'enfant, par sa colère ou sa tristesse. Elle ne parle de ses rêves ou de ses envies à quiconque, sauf aux arbres, témoins de ces escapades nocturnes, confidents et même partenaires de jeux sensuels.
Mais un jour l'Indien arrive, un sac de marin sous le bras et des armes de tueur. Il est bucheron. Cet homme est le perturbateur, l'agresseur, dans cet univers féminin. Il ne s'en prends pas aux humains, pas aux femmes ou aux filles, mais aux arbres. Des arbres vont tomber et la narratrice ne le laissera pas faire.

Ce petit roman suit cette enfant dans sa colère. Elle a tué et elle est prête à recommencer.
Elle espionne sa mère et cet Indien qui détruit son monde. Les arbres tombent mais pas tous (voir l'extrait de l'Indien). L'homme semble les respecter. Les uns sont déjà morts, les autres malades. Et puis lui aussi a ce rapport charnel avec eux. La nature sauvage pourrait être adoptée, soignée, la vie comprise et les cauchemars capturés.
Les corps féminins, adultes, sont ici palpitants. Aussi. La petite découvre l'onanisme et regarde ce qu'il se passe dans la tête des ainées. Le corps change et les fantasmes aussi. La connaissance fonctionnelle du corps et de la reproduction n'y changera rien.
Et puis il y a cette culpabilité. La sauvageonne a tué Nadine. Personne ne semble être offusqué. L'enfant s'est vengée mais de qui, de Nadine, de sa mère.
Au fil du récit, la vie se décrypte. La vraie vie, celle de cette enfant aimée par deux parents. Le mystère de la jeune héroïne en devient encore plus attendrissant. Entre les mensonges, entre les créations fantasmagoriques, tout l'univers de l'enfance apparait dans sa complexité, dans sa sensualité, son envie de possession de l'autre, son besoin intransigeant d'amour exclusif.

Vous pouvez suivre une très intéressante interview de Fabienne JUHEL concernant son écriture et ce roman, en deux parties, ici et .

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