samedi 10 juin 2017

"- Ah oui ? C'est quoi la vie? C'est où?" - Kinderzimmer

Je ne fais plus d'avis de lecture. Plus le temps. Non, c'est faux. Le temps je pourrais l'avoir, le prendre d'ailleurs et retrouver le plaisir de parler d'un livre opportun.
Je n'en ai plus le courage, cela reviendra ou pas.

Il y a tout de même des lectures que je ne peux pas taire, de celles qui vous chamboulent, qui seront bien dans une pile de livres à relire. "Kinderzimmer" de Valentine GOBY fait partie de ces livres, un coup de poing dans le plexus.
Une descente aux enfers, les camps de la mort pendant la seconde guerre mondiale, des moments de présent pur où la vie doit prendre le dessus. Une morsure d'un chien de SS évitée, et voilà l'espoir. Il est si ténu. Mila arrive au camp avec sa cousine et enceinte. Elle décrit ses corps décharnés, ce manque d'humanité, ces squelettes ambulants plus proches de la mort, de la pourriture, de la décomposition que d'un semblant de vie. Et il y a ce pincement au corps, ce ventre dur, ce foetus qui sera sa perte ou son bonheur. L'Allemagne ne peut pas perdre dans le camp, mais elle ne peut pas vraiment gagner, un concert d'ongles, des pianos offerts aux vents et à la pluie, des épingles coincées dans l'entre-jambe, des morceaux de savon... Il y a un scintillement d'humanité, là, juste là... dans un brossage de dents.


"- Tu ne brosses plus tes dents. Tu ne peignes plus tes cheveux avec tes doigts. Tu ne laves plus ton visage. Les coutures de ta robe grouillent de poux. Tu t'écorches. Tes vêtements sont tachés. Tu pues.
Assise sur la paillasse, Mila ne répond pas.
- Deux nuits que je dors avec toi. Je t'ai vue au début, quand tu es arrivée. Tes cheveux blonds et lourds et ta peau de lait. Tu avais la nuque droite. Regarde-toi.
Teresa passe la main sur les cheveux de Mila, mèches crépues en boules d'algues mortes [...]
- Tu ne te mouches plus qu'avec les manches de ta veste. Tes ongles sont dégoutants. Moi je suis ici depuis trois ans. Vois mes dents. Mes ongles. Mes cheveux. J'ai fait raser ma tête pour éviter les poux. [...]
Mila essaie de dégager sa tête, de décrocher la main de la Polonaise en soulevant ses doigts un à un mais la fille serre, enfonce les joues de Mila entre les mâchoires comme on force la gueule d'un chien. De la bouche de Mila ne sort plus qu'un borborygme.
- Je ne te lâche que si tu y vas, que si tu te jettes contre les barbelés.
[...]
- Non? Tu n'as pas envie? Je t'ai vue quand ton amie est morte, j'ai vu comme tu te palpais le corps, ça te soulageait que la mort l'ait prise, elle. Je t'ai vue lui enlever son sac et lui arracher ses chaussures, des chaussures meilleures que les tiennes, et tu as tout de suite mangé son pain. Tu voulais vivre. Tu n'iras pas te jeter contre les barbelés. Mourir maintenant ou plus tard ça ne t'est pas égal. Alors debout, va te laver les dents!"

(extrait "Kinderzimmer" de Valentine GOBY, Babel Actes sud; source photographie)

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