"Or, quand Tatiana réfléchit à voix haute, elle le fait souvent (c'est une drôle d'habitude) en posant un insecte sur le dos de sa main
une coccinelle, une fourmi, un scarabée,
n'importe quoi:
elle s'empare mécaniquement des bestioles qui passent,
et elle parle, concentrée, en les regardant trottiner,
passant de main en main, la peau, la peau
toujours recommencée.
Eugène regarde Tatiana regarder l'insecte, se demande ce qu'elle trouve à ce minuscule marathon,
à la chatouille de ces toutes petites pattes;
peut-être que cette opiniâtreté,
ce fonçage en ligne droite,
cette éternelle et rectiligne décision,
l'aide à tracer la route de ses idées à elle?
Ses idées,
ce sont celles de quelqu'un qui ne pense pas
à l'implosion du soleil,
et il y a donc des choses qu'elle espère
et qui l'apeurent;
Eugène aime sa manière cahotante de les présenter." [...]
" Il se dit: "C'est une gamine".
Gamine est un terme pratique. Gamine égale
mignon, gamine égale enfant et sœur.
Gamine est raide; gamine exclut les courbes
lourdes, les seins en poire;
Gamine est fraîche; gamine n'a pas l'attrait brûlant
des aventures;
Gamine est lisse; gamine n'a pas d'escarpements
ni d'encoignures.
Gamine on la borde. On lui lit des histoires
édifiantes pour la faire dormir.
Gamine on lui fait son éducation.
Eugène se sent comme investi d'une grande mission.
Il sait ce qu'il va lui répondre; il compose dans sa tête une réponse pleine
de ces trois années qu'il a vécues de plus qu'elle;
de ces dizaines de livres qu'il a lus de plus qu'elle;
de ces nombreuses amours qu'il a eues de plus qu'elle."
(extraits de "Songe à la douceur" de Clémentine BEAUVAIS, éditions Sarbacane)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire