"Il attend, immobile, pendant plusieurs heures, l'orange est la seule tache de couleur sur l'herbe. La buse apparait soudain mais reste en altitude. C'est une buse à queue rousse dont le plumage se pare de reflets brun-rouge. Elle plane et Treadway s'adresse à elle comme il s'adresse à la nyctale boréale et à d'autres animaux sauvages du Labrador. Il n'a nul besoin de parler à voix haute et ne fait que lui décrire silencieusement le plan qu'il a concocté [...]. Treadway sait que la buse est un animal impitoyable. Il sait qu'une femme qui s’aventurerai ici pour cueillir des myrtilles ou des airelles avec un petit enfant, et surtout un bébé, devrait prendre garde à ce que la buse ne vienne pas le lui arracher. La chose est déjà arrivée, peut-être avec cette buse-là, et elle peut se reproduire [...].
Mais Treadway a lu Pascal, la Bible et les philosophes, et il a lu les poètes aussi, et bien malgré lui, c'est à eux que la buse le ramène. Ce n'est pas le discours d'un animal sauvage qu'elle lui sert, peut-être parce qu'elle a trop souvent survolé les clochers, les bibliothèques et les musées qui abritent les pensées des hommes civilisés. Il ne s'attendait pas à ça d'une buse. Et tandis qu'elle plonge et passe en vol rasant en direction des crêtes de Signal Hill dominant l'océan, là où vivent ses proies - capelans, jeunes morues et oursins à la laitance rose pêche -, cette buse lui parle et lui répète encore et encore un très ancien message. Mais ce n'est pas le message que Treadway aurait voulu entendre."
(extrait d'"Annabel" de Kathleen WINTER, Christian Bourgeois éditeur; buse de John James AUDUBON, source Natural history Museum, London)
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