"A dix pas d'elle, Givens repéra soudain la silhouette menaçante d'un puma accroupi derrière un bouquet de sacuista. Les yeux jaunes du fauve luisaient de convoitise; sa longue queue s'allongeait en frémissant derrière lui, et sa croupe se balançait silencieusement comme celle de tout félin qui se prépare à bondir.
Givens fit ce qu'il put. Son révolver était là-bas, dans l'herbe, à trente mètres de lui. Il poussa un grand cri d'alarme et se jeta entre la princesse et le puma.
La "bagarre", comme Givens le raconta plus tard, fut brève et assez confuse. En arrivant sur la ligne de bataille, il perçut vaguement une forme obscure et allongée qui fendait les airs dans sa direction, en même temps qu'il entendait un couple de détonations. Puis cent livres de lion mexicain lui dégringolèrent sur la tête, et l'aplatirent sur le sol avec un bruit sourd. Il se rappela plus tard qu'il avait crié: "Ça suffit comme ça! C'est pas du jeu!" Puis il rampa comme un ver pour se dégager et se releva, la bouche pleine d'herbe et de terre, avec une grosse bosse derrière la tête, causée par le contact violent de son crâne avec la racine d'un orme aquatique. Le puma gisait sans mouvement. Givens, profondément vexé, et croyant à une supercherie, brandit son poing vers le fauve en criant:
- J'te parie encore vingts dollars que tu m'mets pas sur les épaules...
Puis il reprit connaissance.
Josefa était debout derrière lui, et rechargeait tranquillement son revolver à crosse d'argent. Un coup élémentaire pour elle, après tout. La tête du puma constitue une cible beaucoup plus facile à toucher qu'une boite de conserve se balançant au bout d'une corde. Un sourire provocant et malicieux se jouait sur ses lèvres, tandis qu'une étincelle moqueuse jaillissait de ses yeux noirs. Le sauveur manqué sentit la honte de son fiasco lui brûler le cœur. L'occasion unique venait de se présenter à lui, cette occasion dont il avait si souvent rêvé. Et voilà qu'elle avait dégénéré en farce! Sûrement, dans les bosquets voisins, les nymphes et les faunes devaient se tenir les côtes. Une scène d'amour? Pff! Plutôt un numéro de vaudeville, quelque chose comme "Bibi Givens dans son sketch hilarant avec le lion empaillé"!
- C'est vous, monsieur Givens? demanda Josefa de sa voix de contralto, tout à la fois assurée et melliflue. Vous avez failli me faire rater mon coup quand vous avez crié. Vous vous êtes fait mal à la tête en tombant?
- Oh, non! dit Givens posément. Ce n'est pas ça qui m'a fait mal."
(extrait de "Contes du Far West" de O.HENRY, éditions Phébus; sculpture d'Arthur PUTNAM)
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