Ouvrir cet énorme pavé pourrait faire peur mais Craig THOMPSON avec son "Habibi" offre une aventure et le fourmillement de détails proche d'un documentaire.
© Craig THOMPSON/ Casterman
Habibi, mon chéri ou ma chérie, affectueux comme pour un enfant. Dodola a été vendue en mariage par ses parents, à l'âge de la puberté. Son mari, un scribe, lui apprend à lire et à écrire et lui raconte des histoires. Le Coran, les "Mille et une nuits", La Bible, les poèmes deviennent des mots, des lignes.
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Son mari est tué, elle est captive et s’échappera avec Zam, un petit garçon. Elle en prend soin, il devient son enfant, son protégé, elle lui raconte des histoires, aussi. Et leur relation change petit à petit avec les années et les situations. Ils n'ont qu'une envie, être l'un près de l'autre. Ils se perdent de vue, se retrouvent, pareils mais différents.
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Dodola et Zam survivent en se protégeant l'un l'autre mais le récit ne défile pas chronologiquement. Les histoires orales prennent autant de place que leur réalité, les sauts dans le temps apportent aussi une certaine fébrilité. Comme leur vie, tout est instable, dangereux. Ils sont victimes des adultes, de l'esclavagisme, de la luxure.
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Habibi, mon chéri ou ma chérie, je t'aime. Dodola devient une femme et Zam grandit, victime aussi de ses premiers émois. La sensualité devient un autre personnage du récit. La féminité dans ce qu'elle a de matricielle, de fantasmé.
La bande dessinée est un acte de dessin mais aussi de calligraphie, cette calligraphie arabe qui ne se contente pas d'écrire des mots mais symbolisent mais dessinent une forme. L'encre a une place de choix ici: encre de vie, source d'eau. L'encre aussi dans les motifs géométriques de l'art arabisant.
Craig THOMPSON offre là aussi un condensé de culture maghrébine, le Coran mais aussi certains us, les légendes, les écrits des poètes et les histoires sensuelles.
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Il y appose avec finesse la Bible, des philosophes ou scientifiques, quelques peintures de notre culture (Jean-Louis GEROME, les odalisques, INGRES, ROSSETTI... ou... le chat de Cheshire?!). Ce n'est pas de l'Orientalisme ou de l’exotisme féerique mais une ouverture sur un monde incroyable, de a langue et de la spiritualité pourtant mise à mal par la réalité fictive de l'auteur
Dodola devient ainsi un Bouraq, sorte de sorcière, monture des prophètes, témoin des écrits sains. Grande sœur, maman, amante et passeuse d'histoires. (cf extrait ici)
A ce récit épique, dans le désert, les hammams, le sultanat, se mêle aussi étrangement des éléments de sur-industrialisation, de toxicité apportée par les humains. L'eau devient une denrée encore plus que rare, les détritus prennent toute la place et l'humanité ne montre pas son meilleur jour.
Sur 700 pages, l'homme et la femme se présentent dans leur trivialité et leur mauvais fond. Rares sont les personnages qui s'en sortent. L'auteur apporte aussi des thèmes plus tabous dans cette culture.
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Là est peut-être le bémol à ce magnifique ouvrage: l'auteur propose de la magie, du graphisme, du symbolisme, un récit d'amour avec ses deux héros mais aussi d'autres détails plus lourds, plus glauques (le violence sexuelle est un élément de pouvoir et la personne n'est qu'une chose). Le propos sur la masculinité, le désir, l'enfantement et la volonté de parenté aurait pu se suffire. Peut-être une volonté de l'auteur de proposer à son lecteur de revenir pour y lire une autre trame, à chaque étape de notre vie.
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