Cela fait longtemps que je voulais lire cette bande dessinée. Parce qu'elle parle d'un sujet qui me touche, j'avais peur d'être déçue. Et bien non!
© Joseph LAMBERT/ Cambourakis
"Annie Sullivan et Helen Keller" de Jospeh LAMBERT raconte les premières années d'éducation d'Helen, enfant de 6 ans, sourde et aveugle à la fin du 19ième siècle. Il s'agit d'une histoire vraie très célèbre aux États-Unis.
Helen a perdu la vue et l'ouïe avant ses 2 ans. Elle s'enferme dans la confrontation, l'isolement tactile et la non communication. Annie Sullivan est embauchée pour l'éduquer et va s'investir complètement.
En parallèle des efforts et progrès d'Helen, nous découvrons le passé chaotique d'Annie. Laissée avec son frère dans un hospice à l'âge de 10 ans, elle y vit dans des conditions déplorables et y perd son frère. A 14 ans, presque aveugle d'un œil, elle intégrera l'Institut Perkins, pour enfants aveugles, sans savoir écrire ou lire même son nom et en sortira la meilleure de sa promotion. Les avancées d'Annie éclairent celles d'Helen et inversement.
© Joseph LAMBERT/ Cambourakis
Cette bande dessinée tout public est un magnifique hommage aux enfants victimes de handicap. Joseph LAMBERT illustre avec énormément de finesse le flou dans lequel Helen vit avant de rencontrer Annie.
Ne se vivant que tache grise informe dans un néant, elle a à peine des bras, les éléments qu'elle touche n'ont aucune importance, aucune existence, seules la nourriture et les bras réconfortants, roses, de sa maman semblent y avoir une place. Et puis les bras bleus d'Annie, du professeur. Les bras puis les doigts. Helen ne supporte pas le contact physique, la frustration, les contraintes. Elle mange avec les doigts, casse, tape. Et puis Annie arrive. Il s'impose immédiatement, l'enfant doit se servir de couverts, demander les choses. Annie utilise la langue des signes. Alors l'imitation des noms apparait mais pas encore la notion des objets.
Le passage du vide à la conscience du monde est très émouvant. Helen va apprendre à désigner les objets, à les demander, à communiquer, à questionner. La relation de crise, d'agression, de violence, devient une relation de confiance, d'apaisement et d'éveil.
© Joseph LAMBERT/ Cambourakis
Les prises de position d'Annie sont vues de l'intérieur grâce à ses compte-rendus au directeur de l'Institut Perkins qui l'a recommandé auprès des parents d'Helen. Sa rage, son impuissance, son envie de contrôle sans atteinte des libertés d'Helen. "Mon défi le plus pressant consiste à la discipline sans briser sa volonté. Je dois exiger d'elle un minimum d'obéissance, mais je ne dois pas la contrôler uniquement par la force. J'ai besoin de gagner son amour." Elle utilise des supports de communication créés et mis à sa disposition par l'Institut: le langage des signes (ici le mot est épelé et ne peut pas être "signé" par un geste qui impliquerait le visuel), une bibliothèque énorme de livres en braille...
© Joseph LAMBERT/ Cambourakis
Il y a aussi de l'instinct dans cette jeune femme. Elle même sujette à l'isolement communicatif (fait de paroles insensées), elle veut ouvrir son élève au monde. Ne pas la subir et pour l'enfant, ne pas subir le monde. Cette éducation sur le tas, sans possibilité de programmer ou d'organiser, est fabuleuse. "J'ai décidé de ne pas lui donné de leçons régulières pour l'instant. Au lieu de quoi, je traite Helen exactement comme une enfant de deux ans. Partant du principe qu'elle a une capacité normale d'assimilation et d'imitation, je parle dans sa main comme on parlerais dans l'oreille d'un bébé qui entend. Je fais des phrases entières quand je lui parle, même si elle ne comprend qu'un seul mot. La phrase entière, répétée de nombreuses fois, va s'imprimer dans son cerveau. Peu à peu, elle l'emploiera elle-même." Cette bande dessinée est toujours d'actualité. A l'heure actuelle le handicap est encore trop souvent assimilée à une déficience, Annie Sullivan partait, elle, du principe que son élève était une enfant normale, pas un tyran qu'il ne faut pas contrarier mais bien un potentiel en éveil! Et puis, elle se confronte au réel, ne bride pas les questionnements de sa protégée, apprends en se trompant.
© Joseph LAMBERT/ Cambourakis
La part belle est donnée ainsi à cet épanouissement de l'enfant différent mais la bande dessinée offre aussi les affrontements d'idéaux, les préjugés d'une société, les orgueils d'adultes et les retombées médiatiques et financières d'une avancée dans la prise en charge des enfants. Par exemple la scission entre l'Institut Perkins et Annie Sullivan.