vendredi 31 janvier 2014

Crépuscule en ville - La silencieuse


"Avant, je passai des heures à travailler dans l'atelier, et puis je sortais marcher, à la tombée du jour quand toutes les lumières s'allument et que la nuit n'est pas encore là. C'était l'heure que je préférais. Ou parfois plus tard, surtout quand la pluie faisait briller les trottoirs et que les fenêtres s'éclairaient en grands rectangles jaunes, avec cet exhibitionnisme tranquille des gens des grandes villes. Après les longues heures à travailler dans le corps à corps avec la sculpture, à lutter avec la matière récalcitrante, à tâtonner laborieusement dans l'attente que quelque chose s’impose enfin, je m'exaltais de voir la vie autour de moi, ravie de son indifférence. Je captais les lumières, les mouvements, les bruits, aux aguets de tout après le grand silence de l'atelier."

(extrait de "La silencieuse" d'Ariane SCHREDER, Philippe Rey; source peinture de John Atkinson GRIMSHAW)

mercredi 29 janvier 2014

A l'angle du renard

Cela fait longtemps qu'il est dans la bibliothèque, je n'avais pas osé le lire pendant longtemps, j'avais même lu le roman suivant de Fabienne JUHEL, "Les homme sirènes", avant. Et puis "A l'angle du renard" m'a fait de l'oeil, et en le voyant orné d'une nouvelle couverture dans les librairies (sortie poche), je me suis précipitée dessus. Et je n'ai rien écrit, un brouillon, juste un brouillon.
Et puis je l'ai relu.



Et comme à chaque fois avec cette auteure, je suis là, tenue, conquise. Nous ne nous aventurons pas dans son univers sans y laisser des plumes.

Arsène Le Rigoleur est un fermier, vieux garçon, terrien et sauvage. Il regarde ses nouveaux voisins arriver. A la place du vieux Morvan, une petite famille, le père, la mère et leurs deux enfants, Louis rouquin et solitaire, Juliette, la petite dernière de 5 ans.
La môme va traverser la rue et accompagner le fermier dans toutes ses activités de "soin" aux bêtes. Arsène décrit alors cet apprivoisement, entre lui le "tonton" et ce "feu-follet" de 5 ans. Le grand frère est toujours dans les parages, il est curieux et protecteur. A moins qu'il ai envie lui aussi d'avoir un ami. Et Arsène aimerait tant l'amadouer aussi. Et puis il y a cette mère, qui sent bon la violette et qui dans les yeux a ses éclats de roux qu'elle n'a pas dans les cheveux: éclats d'animalité, de ruse, de pertinence. Parce que oui, Monsieur Le Rigoleur n'a pas la tête de son patronyme et on ne sait jamais, il n'est peut-être pas du tout fréquentable.

Et effectivement, Fabienne JUHEL nous offre l'âme d'un tueur. Un ogre enfant, en prise avec ce que sont le sauvage, la peur, la frustration. Un enfant qui se venge, un adulte qui ne supporte pas ceux détroussant l'enfance. Une dévergondée moqueuse, un loup aux myrtilles ou une faiseuse d'anges, laveuse de corps sans vie.
Arsène est un tueur en série mais est-ce que l'innocence prend un risque avec lui? Il magnifie pourtant l'enfance, les émotions si souvent niées, occultées, ces silences, ces dessins, ces rires. Oui mais il y a aussi l'autre enfant, oublié. Qui lui parle? Qui joue avec lui?

Cet ogre moderne rend la pareil aux contes ancestraux. Ce n'est pas un loup pour le chaperon rouge mais bien un renard, parmi les autres. Un renard avec le museau plein de cette terre bretonne. Un animal sauvage, amadoué plus qu'apprivoisé, n'en déplaise au Petit Prince. Un renard qui se prend les pattes dans la plus pur des beautés, l'enfance, et qui pourtant est déjà pris au piège.

Les couvertures apportent une ligne... un invisible renard pris dans les phares d'une voiture... une enfant insouciante, libre, spontanée pas encore attrapée par l'ogre.
Mirontaine en parle très bien .


Une littérature qui ne veut pas penser, pour quoi faire, la vie est quand même trop courte - Instinct primaire

"Je ne supporte plus d'être limitée à la maternité. C'est aussi ma liberté d'écrivain qui est en jeu. Si la femme n'a pas la vision du monde en dehors d'elle-même et de ses propres problèmes, que tout ce qui n'est pas elle ou sa famille ne la concerne pas, que tout ce qu'elle recherche, c'est son double et qu'elle se targue de prescrire les lignes directrices de l'interprétation du monde selon des idées arrêtées, comment alors poser des questions au futur, à ce qui est à venir? N'est-ce pas là une diminution de la liberté créatrice? Comment écrire le monde qui vient si l'on ne peut pas sortir de son propre jardin?"

(extrait d'"Instinct primaire" de Pia PETERSEN, Nil éditions; source photographie)

mardi 28 janvier 2014

"Un jour, j'ai attrapé comme ça un jeune renard" - A l'angle du renard


"Obligé d'être le méchant dans l'histoire pour se rendre intéressant. C'est simple: il nous en veut.
La haine d'un môme, c'est quelque chose de terrible. Y a pas pire. Et je sais de quoi je parle.

Et puis voilà le gosse qui entre dans notre champ de vision. Culottes courtes, bottes de caoutchouc, pull à grosses côtes. Un véritable petit gars de ferme. Solide et brave. Il s'amuse à tracer des sillons dans la boue avec le talon de sa botte.
A le guetter, deux contre un, lui, les mains dans les poches, les pieds dans ses bottes, j'ai un pincement au coeur. J'ai eu tort de construire ce piège. C'est pas avec ça que je vais m'attirer les bonnes grâces du rouquin. J'aurais pas dû écouter Juliette. Il me plaît ce gosse, moi. C'est sûr, il est pas venu me chercher en premier, il m'a jamais adressé la parole non plus, et alors? J'étais pas très liant non plus à son âge. Pas un rigolo, ah ça non! Faut pas pousser mémé dans les orties quand même.
Mais y a Juliette, l'odeur de ses cheveux. Mon petit lot tiré au pigeon d'argile. Et je suis dans son camp.
Sans elle, je me retenais plus. J'ouvrais la fenêtre et je hélais le gamin. J'ai du chocolat, des madeleines ou des Traou Mad si tu préfères. Y a qu'à demander, Louis. On a là de quoi tenir un siège. On va monter un camp, faire du feu et on se racontera des histoires après. On se barricadera dans la maison et on inventera des ennemis. Des ennemis mortels, invisibles mais bien réels, qu'on battra à plate couture et qu'on enfermera dans les placards, dans le cagibi sous l'escalier. Dans le congélateur si y a plus de place. On sera plus forts à trois. Toi, moi,  Juliette. Forts ensemble. Viens, Louis, tu seras mon pote, un copain pour la vie. Croix de bois, croix de fer, si je mens, j'irai en enfer!"

(extrait de "A l'angle du renard" de Fabienne JUHEL, Rouergue, j'en parle ici; source de la magnifique photo rawpleasures, via feralkid)

lundi 20 janvier 2014

Où va-t-on quand on disparaît ?

L'auteure Isabel Minhos MARTINS, dont les livres étaient au début destinés pour de très jeunes enfants, nous offre depuis quelques années de petites pépites pour tous les âges.

© Isabel MINHOS MARTINS et Madalena MATOSO/ Éditions Notari

"Où va-t-on quand on disparaît?" illustré par Madalena MATOSO parle de changements. L'eau s'évapore et monte au ciel, les nuages sont comme des fantômes et reviendront en pluie, les chaussettes restent toujours perdues une par ici, l'autre par là dans des endroits incroyables. Les doubles pages nous parlent du soleil, de son départ qui n'en est pas un mais bien 1 petit tour et puis revient, ou des roches qui, elles aussi, disparaissent.
Ce sont des leçons de chose avec en soi une belle poésie. Mais bien plus que cela, la mort est le sujet principal de ce livre. Elle est intrinsèque à la vie, pour tous, même pour les choses les plus pérennes dans son caractère de disparition. Elle ne se manifeste ou ne se comprend pas de la même manière, ne se vit pas non plus pareil en fonction de la situation. Ce manque, cette petite mort, est aussi celui de l'autre partit, ailleurs, sans soi mais pas forcément décédé.
Le propos est délicat, parle de religion sans jamais les indiquer. Ce sont des "idées" qui amènent à croire que nous allons tous quelque part, revenons, partons loin au paradis ou ailleurs, restons fantômes.
Il est question de cette absence de l'autre, où va-t-il?, mais aussi de ce manque à celui qui reste.
"Si on disparait sans que personne ne s'en rende compte, on ne disparait pas vraiment: pour que quelque chose disparaisse, il faut que quelqu'un l'ait d'abord vu et s'aperçoive ensuite de son absence.
Pour disparaitre, il faut toujours être deux." Avec l'absence il y a la solitude, marquée par les illustrations, et beaucoup de questions, si difficiles, sans réponse... comme une pelote de laine à démêler... quelque fois l’opération est possible avec de la patience, d'autre fois, il ne reste que soi, qu'un "écho". 

© Isabel MINHOS MARTINS et Madalena MATOSO/ Éditions Notari

Les illustrations assez géométriques pour certaines apportent un côté labyrinthique au propos, même si une ligne noire nous aide à trouver le chemin, vers l'après. Ce sont des pelotes de laine, des tables dont la perspective ne s'arrêtent pas, des branches d'arbres qui n'en finissent pas. Ce sont aussi des personnages en attente.

© Isabel MINHOS MARTINS et Madalena MATOSO/ Éditions Notari

Il y a des disparitions d'enfants sous la table pour nous faire sourire, des hommes transis avec leurs bouquets de fleurs ne voyant pas arriver l'être tendre, il y a des plages qui se créent là parce que leur sable est parti de là-bas mais il y a aussi le plus douloureux et ce livre permet d'en parler. Le livre est loin d'être triste pourtant.

© Isabel MINHOS MARTINS et Madalena MATOSO/ Éditions Notari

Et même dans le propos, nous partirons oui, mais en s'imaginant danser.
"Nous pouvons aller dormir ou danser. Ou danser pendant que nous dormons.
C'est mieux que rien...
Le rien est un endroit trop vide pour que quelqu'un puisse s'y trouver. Et si tout le monde finissait par y aller, il cesserait rapidement d'être le rien. (Et on ne peut pas lui faire une chose pareille.)"

Livre sacrément recommandable! Merci aux éditions Notari, continuez vos propositions touchent toujours juste!

dimanche 19 janvier 2014

"Tarte pêches-framboises [...] C'était un ami qui me l'avait enseignée, qui lui même l'avait apprise en regardant faire sa grand-mère, dans la ferme qui vendait des sapins de Noël [...]" - Long week-end

"Il faut conserver les ingrédients au froid.
Il est plus facile d'ajouter de l'eau que d'en retirer. Ne travaillez jamais trop la pâte.
Ne vous laissez pas séduire par tous des instruments coûteux qu'on vous présente dans les catalogues. La paume de la main est l'instrument parfait pour appliquer une croûte.
Notamment celle du dessus: c'est à ce stade que le pâtissier plonge dans l'inconnu. L'unique chose que vous ne devais jamais faire: hésiter. Laisser tomber la pâte sur les fruits, d'un geste sec, est un acte de foi. Comme de sauter par la fenêtre - douze heures après avoir été opéré en urgence d'une appendicite, par exemple - et de croire que vous allez atterrir sur deux pieds."
(extrait de "Long week-end" de Joyce MAYNARD, 10/18, je vous en parle )

- pour Lily et In cold blog pour qui la transmission de la pâte à tarte est aussi un magnifique moment -

samedi 18 janvier 2014

Long week-end

Lire un livre lu par une autre, de celle qui a une place à part. Lire un livre, les mots d'un auteur (bien traduits) et y partager entre les lignes la sensibilité de l'amie. Je ne pourrais jamais dire à quel point ces échanges de livres m'apportent, je me construis et te devine entre les pages, aussi.


"Long week-end" de Joyce MAYNARD est ainsi une lecture transmise. Je ne savais pas ce que j'en attendais. Tant mieux, je ne fus que plus touchée au point de finir le dernier chapitre en rentrant d'une sortie, assise seule sur un banc devant la mairie dans mon chaud manteau.
Henry a treize ans et vit avec sa mère depuis le divorce de ses parents. Son père a refait sa vie, une autre femme, un autre fils et une dernière issue de cette nouvelle union. Et sa mère, ne voulant plus sortir, accumulant les boites de conserves et les soupes tout prêtes pour ne surtout pas ressortir, pour aucune raison.
Un jour, lors d'une course extérieure nécessaire, un homme se présente devant Henry. Il est mal en point et demande de l'aide. Dans leur vie où rien ne se passe jamais, le gamin et sa mère vont accepter l'inimaginable: accueillir l'homme, évadé de prison, dangereux meurtrier. Et le quotidien dévoile des merveilles, des gestes, des mots, des attentions... l'homme n'est pas celui que l'on croit.

Henry est le narrateur et l'histoire se déroule selon ses humeurs. La puberté est là, les fantasmes sexuels mais aussi ses besoins d'affection, ses envies de famille, de ceux qui n'ont besoin de personne d'autres qu'eux-même, ensemble, pour être heureux. C'est aussi son passage à la vraie vie, de protecteur de sa mère à adolescent, d'une survie à une vie.
L'évadé, Franck, montre des dispositions à la patience. Il a eu le temps, le temps pour réfléchir, le temps pour aussi savoir comment il souhaite maintenant parler aux autres, s'occuper de ceux qu'il affectionne, de ceux qui se réfugient hors du monde, de ceux qui n'y ont pas accès. Avec une tarte, une pose de vernis, un cours de pâtisserie ou des jeux mais aussi un bain, une coupe d'ongles et une vraie présence à l'autre qui ne fait que tressauter et baragouiner.
La mère, Adèle, est perdue, désemparée. Elle ne fait que se refermer et pourtant elle aime danser, et pourtant elle aime la vie et même les gazouillis de bébés, enfin peut-être.

Pendant un long week-end, la vie change et modifie les espoirs. Il s'agit d'amour filiale, d'amour sensuel, d'amitié mais aussi de culpabilité. Tout le rapport à l'autre prend de l'épaisseur.
Quelles sont alors les prises de risques possibles? Quelles sont le priorités dans la vie?
Ce livre est une forme de maturité, masculine oserais-je dire, mais surtout de ceux qui voient leur vie défiler sans y avoir accès.

Vous trouverez l'avis beaucoup plus argumenté de Lily ici (merci encore), le magnifique billet d'In cold blog et celui de Theoma .

Au fait, le livre a eu une adaptation cinématographique. J'avais vu le film et je vous en parlais là.

vendredi 17 janvier 2014

Persée et Méduse

Ne boudons pas notre bonheur, un autre album est passé en format minuscule et c'est tant mieux: "Persée et Méduse" de Christine PALLUY et illustré par Aurélia FRONTY offre une nouvelle porte d'entrée sur la mythologie grecque. Je ne peux que confirmer que les adaptations de Christine PALLUY, dont je vous parle là, sont vraiment fabuleuses pour les plus jeunes lecteurs (ou auditeurs).

© Christine PALLUY et Aurélia FRONTY/ Milan jeunesse

Dans cette aventure, les dieux se jouent encore des hommes. Acrisios, le roi d'Argos, a eu une magnifique fille, Danaé. Mais pour préserver son royaume, il souhaite aussi avoir un fils et va s'enquérir de son futur, l'oracle lui indique alors que non, point de fils mais un petit-fils qui mettra fin à ses jours. De peur, il enferme sa fille bien-aimée.
Mais Zeus, le roi des dieux, est amoureux de la belle, il se transforme en pluie étincelante et caressante, et fait un enfant à Danaé, Persée. Le roi d'Argos s'en rend compte et condamne sa fille et son bébé en les enfermant dans un coffre à la dérive sur les eaux. Ils sont recueillis. Persée grandit, Danaé resplendit au point de donner envie à un autre roi, Polydectès: il veut épouser la mère.
Mais Danaé ne veut pas et Persée prend la défense de sa mère. Le roi ruse: je veux alors que tu m'offres des chevaux. Par manque d'argent mais surtout par orgueil Persée lui propose plutôt la mort des trois sœurs Gorgones, ou plutôt de la seule que l'on peut tuer, Méduse.
Persée part ainsi à l'aventure et se fait aider des dieux, Hermès, Zeus et Athéna. Il déjouera les sœurs Grées, sœurs aussi des Gorgones pour arriver à ses fins... et l'oracle aura raison, il tuera son père.

© Christine PALLUY et Aurélia FRONTY/ Milan jeunesse

Le texte est assez court permettant vraiment d'aller à l'essentiel de l'histoire pour cette première approche. Les noms importants sont aussi de couleurs. Cela aide à ne pas trop se perdre avec la multitude des intervenants.

© Christine PALLUY et Aurélia FRONTY/ Milan jeunesse

Les illustrations sont toujours une plus-value dans ces petits albums. Très colorées, elles portent le héros dans un fond abstrait avec juste quelques petits détail. C'est chatoyant et très chaleureux. Même les monstres ou créatures apparaissent comme fantasmagoriques.

jeudi 16 janvier 2014

"- C'est une veste avec des boutons de roi, a dit La Môme" - Une part de ciel


" L'ainé a pris la veste de matelot de Marius et il l'a brandie au-devant de la locomotive. Comme une cape de torero. Il n'a pas reculé quand le train est passé, il a retiré la veste au dernier moment, l'a ramenée sur le côté, une cambrure élégante, le mouvement parfait du tissu qui frôle la carlingue sans la toucher. Le train a sifflé et il a filé en emportant le dernier wagon.
Le garçon m'a défiée, il devait s'attendre à ce que je l'engueule.
- Avec un courage pareil, tu devrais pouvoir faire quelque chose de bien dans ta vie..., j'ai dit.
J'ai croisé ses yeux et j'ai vu quand ça a frémi, il y a eu un temps bref où, sous son crâne de piaf, quelque chose qui s'était perdu s'est enfin réjoui."
(extrait de "Une part de ciel" de Claudie GALLAY, Actes sud, photographie trouvée sur le tableau pinterest de "La rate au court bouillon")

mercredi 15 janvier 2014

L'île au trésor

Depuis quelques temps nous lisons, enfin je lis au petit auditeur de 7 ans, des adaptations de classiques. Et ce fut avec beaucoup de plaisir que je suis rentrée dans cette lecture après la biographie jeunesse de son auteur et le petit livre d'un de ses illustrateurs, Mervyn PEAKE.

© Robert Louis STEVENSON, Stéphane FRATTINI et Sébastien MOURRAIN/ Milan jeunesse

"L'île au trésor" adapté de Robert Louis STEVENSON par Stéphane FRATTINI (à qui nous devons d'autres magnifiques adaptations de la mythologie grecque, Ulysse et Hercule) et illustré par Sébastien MOURRAIN est un album parfait pour entrer dans l’œuvre de cet aventurier.

Bien-sûr nous découvrons Jim rencontrant le pirate Billy Bones dans l'auberge tenue par ses parents. Il meurt avant d'être retrouvé par une autre bande de pirate et laisse un coffre avec dedans des pièces et une carte au trésor, celui amassé par le redoutable pirate Flint.
Jim se l'approprie et se confie au docteur Livesey qui l'a soutenu à la mort de son père. C'est décidé ils partirons à la chasse au trésor sur la goélette l'Hispaniola. L'équipage se compose aussi de vauriens mais il faut arriver à l’île au trésor même si le cuisinier n'est autre que le dangereux pirate Long John Silver.
En vue de l’ile, les camps se forment et les morts s'accumulent. Comment récupérer le trésor et repartir en mer en pleine santé?

© Robert Louis STEVENSON, Stéphane FRATTINI et Sébastien MOURRAIN/ Milan jeunesse

Stéphane FRATTINI nous offre une adaptation parfaite pour harponner les plus jeunes. La férocité des pirates, les combats et les astuces de Jim et de son équipe sont ici très bien amenés, chapitre par chapitre permettant de l'action à toutes les pages. La complicité ambiguë de Jim et de Long John Silver apparait en filigrane comme celle plus franche entre le premier et le docteur mais assez pour donner envie d'en savoir plus.

© Robert Louis STEVENSON, Stéphane FRATTINI et Sébastien MOURRAIN/ Milan jeunesse

Les illustrations de Sébastien MOURRAIN sont toujours attrayantes. Des doubles pages d'atmosphère, des mises en situations de pirates assez redoutables et une certaine bonhommie du trait.

mardi 14 janvier 2014

Le goût de la sanguine dans ma bouche s'est mêlé à celui de la fumée - Une part de ciel


"Le jour de l'incendie, maman avait pris pour nous des oranges dans un sac en papier, on les avait épluchées avec nos doigts. D'habitude, elle nous donnait des biscuits, des gâteaux ronds et lisses qu'elle appelait Chamonix, ils étaient fourrés de marmelade et enrobés d'une pellicule de sucre lisse. Ce soir-là, elle avait seulement des oranges. Des sanguines bouleversantes, avait-elle dit. Nous, on préférait les mandarines parce que c'était plus doux et plus simple à peler. Elle avait rétorqué que les sanguines n'étaient sans doute pas les meilleures des oranges mais que c'étaient les plus belles, et que pour cette raison nous devions être heureux de les manger.
Elle avait pressé les peaux entre ses doigts pour faire suer le zeste, ça nous avait piqué les yeux, on avait ri."
(extrait de "Une part de ciel" de Claudie GALLAY, Actes sud, magnifique photographie de Clutter&Chaos, site d'atmosphère à recommander chaudement! via pinterest)

jeudi 9 janvier 2014

Je devais, j'imagine, la détester comme certaines personnes détestent les serpents, les chenilles, les souris ou les limaces - Trop de bonheur

Encore une fois, je vais succomber à la facilité: deux extraits pour parler d'un recueil de nouvelles saisissant. "Trop de Bonheur" d'Alice MUNRO nous offre des portions de vie de femmes et tout est affaire de finesse, d'enlisement, de désespoir, de solitude, de désenchantement, très loin d'une forme moderne de bonheur. J'espère vous en reparler bientôt comme de quelques autres romans adultes lus ces derniers temps.

Dans le lot, une nouvelle qui par bien des manières m'a touchée au cœur: "Jeu d'enfant". Une vision d'enfant, un malaise encouragé par une alliance d'enfants perdues et une vie avec dans son sillage un cauchemar non pas subi mais perpétré.

*photographie de Diane ARBUS (je ne peux que vous encourager à entrer dans son monde délicat de la différence en suivant les portes ouvertes par Lily )

"Les enfants se servent de ce verbe "détester" pour exprimer diverses choses. Il peut signifier qu'ils sont effrayés. Non qu'ils se sentent en danger d'être agressés - comme cela m'arrivait, par exemple, quand de grands garçons à vélo s'amusaient à passer en trombe juste devant moi avec des hurlements terrifiants, alors que je marchais sur le trottoir. Ce n'est pas un danger physique que l'on redoute - ni que je redoutais dans le cas de Verna -, c'est plutôt je ne sais quel sortilège, quelle ténébreuse intention. Quand on est très jeune, c'est un sentiment que peuvent nous inspirer la façade de certaines maisons, ou le tronc d'un arbre, ou plus encore les caves moisies et les placards profonds."

"L'ouvrage auquel elle faisait référence était né d'une thèse dont on m'avait déconseillé la rédaction. [...] Il s'intitulait Idiots et idoles [...] Ce que je tentais d'explorer, c'était l'attitude des membres de diverses cultures - on n'ose pas dire "primitives" pour les décrire - face aux personnes mentalement ou physiquement uniques. Les mots "débile", "handicapé", "arriéré" étant évidemment exclus et mis au rebut eux aussi, et probablement à juste titre - pas simplement en raison de ce qu'ils dénotent de sentiment de supériorité et de sécheresse de cœur, mais parce qu'ils ne décrivent pas vraiment la réalité. Ils laissent de côté une bonne part de ce qu'il y a de remarquable, voire d'admirable - ou en tout cas de particulièrement puissant -, chez ce genre de personnes. Et l'intérêt fut de découvrir l'existence d'une certaine mesure de vénération, aussi bien que de persécution, et de l'attribution - pas entièrement dénuée de fondement - de toute une gamme de capacités considérées comme sacrées, magiques, dangereuses ou précieuses."

(issu de la nouvelle "Jeu d'enfant", extraite de "Trop de bonheur" d'Alice MUNRO)

vendredi 3 janvier 2014

L'eau de notre peau d'enfant - Monde sans oiseaux

"La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l'intérieur de notre corps. Parfois, il se réveille, s'agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aargh! Et c'est lui qui nous suce le sang, de l'intérieur, qui boit toute l'eau de notre peau d'enfant. Mais que devient-il, quand on meurt?"
(extrait de "Monde sans oiseaux" de Karin SERRES, Stock, illustration de Stefan ZSAITSITS)

jeudi 2 janvier 2014

L'écriture alimentée par le matériau de la vie - Zelda et Francis Scott FITZGERALD selon "Alabama song"


"Je savait avant lui. Écrire, je savais avant que lui-même n'ait posé le premier stylo sur le premier feuillet du premier carnet. Écrire, je savais et j'ai alimenté tous ses chefs-d’œuvre, non pas comme muse, non pas comme matière, mais comme nègre involontaire d'un écrivain qui semblait estimer que le contrat de mariage incluait le plagiat de la femme par l'époux. Les shrinks en blouse blanche ont une théorie: j'en veux à Scott parce qu'il s'est servi de moi pour toutes ses héroïnes, qu'il m'a prise pour matériau et m'a volé ma vie. Mais c'est faux, car cette vie était à nous deux, ce matériel nous le partagions. La vérité est qu'il s'est servi de mes propres mots, qu'il a pillé mon journal et mes lettres, qu'il a signé de son nom les articles et les nouvelles que seule j'écrivais. Que voulez-vous que je ressente? Piégée, abusée, dépossédée corps et âme, c'est ainsi que je me vis. Cela ne s'appelle pas être."
(extrait de "Alabama song", de Gilles LEROY, autobiographie fictive de Zelda FITZGERALD, épouse de Francis Scott FITZGERALD, folio)