"Elle éprouva un sentiment identique mais pire, d'une certaine façon, à propos des centaines et des centaines d'ouvrages qu'elle avait lus, romans, biographies, quelques livres sur la musique ou la peinture: elle avait tout oublié, de sorte qu'il devenait vain de même dire qu'elle les avait lus; les gens accordaient beaucoup de poids à ce genre de prétention mais elle se doutait bien qu'ils ne se appelaient pas davantage qu'elle-même. Il arrivait qu'un livre subsiste à la périphérie de sa vision, comme une ombre colorée aussi floue et irrécupérable que ce que l'on voit depuis la vitre d'une voiture sous la pluie: si on regardait directement, ça disparaissait entièrement. Parfois une atmosphère, voire les rudiments d'une scène, se dégageait: un homme dans un bureau donnant sur Regent's Park, la pluie dans les rues; gravure brouillée d'une situation dont elle ne retrouverait jamais, ne pourrait jamais retrouver la provenance, dans quelque roman lu, Dieu sait quand, au cours des trente dernières années."
(extrait de "L'enfant de l'étranger" d'Alan HOLLINGHURST, Albin Michel)
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