"Loin des bras" de Metin ARDITI nous plonge dans les solitudes d'une communauté.
L'Institut Alderson est une école renommée en Suisse. Les parents fortunés envoient leurs fils pour leur faire profiter d'une éducation de qualité: enseignement de premiers niveaux incluant le sport comme dépassement de soi et la danse comme entrainement à la vie.
Mais depuis la mort du fondateur, sa veuve entrevoit la fin de l'Institut. Il faut remplacer certains professeurs, minimiser les coûts... peut-être même vendre.
Vera D'Abundo arrive pour un remplacement comme professeur d'Italien. Elle est au bord de l'effondrement. Et par elle, tous les liens se détricotent et les cheminements se dévoilent.
Chaque membre de l'équipe dirigeante, enseignante ou d'organisation, a eu une vie avant l'Institut, pleine de secrets que tous connaissent pourtant. Des amoures contre-nature ou homosexuelle, le rôle d'un homme pendant la guerre, la culpabilité d'une mère, la dissimulation, la honte, l’opprobre antisémite, l'éducation privilégiée mais aussi sacrifiée, les conséquences de la collaboration.
"- Ici, c'est la foire aux voiles déchirées. Chacun a subi la tempête. C'est d'ailleurs ce qui nous rassemble. Les élèves, les professeurs, le personnel, Mme Aldersson... il y aurait du boulot pour une escouade de couturières... Du genre qui cousent sur des machines à gros fil! Des enfants qui, à sept, huit, dix ans, croisent à peine leurs parents... Qui des mois durant ne reçoivent aucune caresse... Qui restent à l'Institut des huit, dix, onze ans! Vous imaginez leur état à la sortie? Ces garçons resteront des mal-aimés toute leur vie."
Ce livre parle de douleurs et de culpabilités. Les femmes et hommes se débattent avec un passé. Ils ont subis et se sentent dans l'obligation de continuer à subir. A l'Institut, l'organisation est rodée, l'emploi du temps chronométré, les enseignants sont impliqués dans le rouage. Et pourtant ils n'ont pas prise sur leur présent, comme une parenthèse. La modification de structure à prévoir pour l'Institut et l'arrivée de la nouvelle recréaient des liens et focalisent les
souffrances de tous.
Et là, c'est l'école et la vie.
Le décalage entre les attentes parentales, vouloir le mieux, vouloir la fierté, vouloir que son enfant "brille", et la vie, pleine d'abandons, d'exigences personnelles, de solitudes.
Chacun cherche un pis-aller, une attache... mais seul: prendre des
photos pour trouver une maitrise, traduire un auteur pour garder une
identité, jouer pour oublier, etc...
" - C'est important d'attaquer avant la note, fit Gülgül. On n'est pas à l'école, n'est-ce pas?
On est dans la vie... Dans la vie, on attaque la vie, n'est-ce pas? On
saute sur la vie. Allez, on attaque juste un peu avant la note."
Tout au long apparait cette mise à l'écart, des enfants par leurs parents, des adultes par la vie. Mais le soulagement, le lâcher-prise seront peut-être au rendez-vous... par le pire ou par la danse.
"C'est ça, la consolation, fit Irène.
Elle laissa passer un silence et ajouta:
- C'est quand on est prêt à être blessé à nouveau. La voilure s'est déchirée, on l'a descendue, on l'a recousue et on l'a hissée. On reprend la mer.
Elle ajouta d'une voix à peine audible:
- Il a quelque chose de monstrueux, ce mot de consolation. Un beau jour, le passé se fait plus petit. Et on a honte de mieux vivre."
Il faut peut-être être "setchmé", choisis... ou se choisir comme quelqu'un de bien.
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