*source illustration: Toulouse-Lautrec
Léautaud nous donne à suivre ses ressentis par rapport aux premières femmes de sa vie, en commençant par sa mère. Il serait possible de ne lire entre les lignes qu’un complexe d’Œdipe non résolu, nous aurions tord. Il s’agit plus d’une irresponsabilité de cette mère. En plus d’abandonner son enfant, issu d’une relation de passage, dès le début, elle se permet de le revoir pour être moins une mère qu’une séductrice. Loin de cet amour maternel fondateur, solidifiant, soutenant, elle ne propose que la femme cible des pulsions. Nous avons aux deux entrevues qu’il aura avec elle, enfant et jeune homme, les manipulations de cette dame qui ne cherche qu’à plaire. Elle joue à chaque geste sur la limite de la décence. En manque d’amour filial, très vite accompagné par des femmes de « petites vertus », le petit ami s’égare à ne voir en la femme que cette source de charme, de séductions, de chaleur humaine sexuée (sans forcément en user). Même plus, il croit en ce dédoublement de tendresse, amoureux de désir et filial, comme lui peut dédoubler son amour en toutes cajoleries platoniques et ses pulsions sexuelles.
Une correspondance encore plus trouble voit le jour. Un jeune homme éperdu d’amour filial, maternel et de sentiment, s’éprend de la figure idéalisée de cette maman qui ne perd pas de son charme. Et cette mère se perd, joue, manipule, se reperd… elle dévie de ses sentiments maternels, sains, vers ceux plus troubles, des sentiments ambivalents pour cet homme qui a encore sous ses traits quelques uns des siens, un certain narcissisme, une envie de plaire, d’être aimé, de récupérer ce temps perdu, de magnifier le temps restant…et puis de la honte, du ressenti sur sa propre culpabilité.
Le petit ami, abandonné par sa mère, accompagné dans sa jeunesse par les maîtresses de son père, dormant dans la chambre de sa nounou tous les soirs, cherche l’agrément des femmes, de celles qui offrent leur corps et ne cachent rien, qui donnent ce qu’elles ont promis. Elles savent déceler « le sens profond des choses sérieuses». Serait ce un cynisme des relations amoureuses, du sentiment en lui-même ? Je ne l’ai pas lu comme cela, mais plus comme une idéalisation du sentiment, une distinction des pulsions et de la demande de chaleur humaine architecturante. De plus, je serais tentée, comme ce petit ami, de préférer les femmes usées (par l’amour encore plus que par le reste) aux autres, fades de sophistication, outrageusement riches jusque dans leurs antirides et étirements de peau, trop jeunes (en soulevant les jupons j’ai peur d’y voir des arrangements de mauvaises sorcières). Je leur envie cette « usure éclatante et triste ».
Jeune adulte, il retrouve une affection manquante en se rapprochant de ses femmes, « catins », et se trouve des similitudes de pensée, dénuée des compromis, un peu « fatigué avant l’ouvrage ». Ces rapports sont moins issus d’un amour d’adulte que d’un amour filial, lui lapant un sein dépassant comme un nourrisson plus que comme un amant.
Léautaud nous livre aussi ses appréhensions d’écrivain, sa méthode spontanée : commencer par être paresseux, emmagasiner, vivre dans des lieux de vie et non de musée et ne rien recommencer. Que j’aimerais le suivre dans cette voie…
« Voilà ce que c’est que de prêter les livres des gens que l’on connait : on s’entend dire sur eux des choses qu’on pense tout bas. » Je ne peux finir que par une des phrases de cet auteur, si proche de certains de mes cheminements vacillants : « Je voudrais encore que des bras affectueux me portent dans la vie pour m’en éviter les heurts et les fatigues. »
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