J’avais un souvenir intense du livre de Jacques de Lacretelle, « Silbermann ».
En le relisant par hasard, j’ai ressenti plus un malaise…de ne pas avoir compris tout à l’époque et de me trouver un peu dévoilée aussi.
La lecture était imposée par la scolarité. Souvent j’ai aimé ce que j’ai dû lire : les Kipling, Kessel, Vallès, Renard ont tous eu un écho en moi. Celui-ci ne fit pas exception. Je l’avais lu la sensibilité à fleur de peau. Je l’avais lu avec ces larmes pour un être solitaire, sans ami parce que juif. J’avais aimé cette histoire d’une amitié improbable entre un jeune juif, David Silbermann, et un protestant dans une France antisémite des années 1920.
Et puis aujourd’hui, ma lecture fut bien différente. D’abord un enthousiasme pour l’intelligence de David Silbermann, pour ces connaissances, ces facilités, sa capacité à mettre de la vie dans un texte lu.
Puis une réflexion sur l’antisémitisme. Une bien belle redécouverte. Belle parce que je ne me rappelle plus avoir eu une exposition aussi accessible à tous (pour une œuvre de fiction de l’époque et avec mon humble culture) de ce qui fait notre rapport à l’autre, notre dégout possible par rapport à ce peuple (avant même les camps de concentration de la seconde guerre mondiale). Belle, parce que pour démarrer la réflexion, il y avait des pistes. C’est vrai que maintenant je suis encore plus touchée par cette culture juive, son oralité et ses écrits, son héritage de parole et sa maïeutique inscrite dans l’éducation. Mais j’ai l’impression d’avoir été seule à la lecture. Je trouve que nous manquons, que j’ai manqué, des éléments de discussion. J’aurais aimé des débats scolaires permettant de se faire un esprit critique, d’aller plus avant, de comprendre la question juive. J’ai toujours cru que l’enseignement devait aussi aider les parents à mettre les points de vue en opposition, à aller chercher les arguments des uns et des autres pour se faire sa propre opinion. J’aurais alors peut-être vu que le plaidoyer de Silbermann sur la cause juive à son pendant physique et intellectuel dans les mots du narrateur. Des éléments raisonnés mais aussi d’autres plus sourds : une intelligence mal mise à profit, une vanité, un orgueil, une caricature physiologique raciste.
« - Crois-tu donc que je ne le méritais pas ? N’en déplaise à ta mère, cette bonne protestante qui a si bien pratiqué à mon égard la charité évangélique, mon amitié valait mieux pour toi qu’aucune autre, sois-en assuré. Rappelle-toi nos entretiens, songe à tout ce que je t’ai fait connaitre et comprendre. Trouvais-tu un profit analogue auprès de tes camarades ordinaires et même auprès des gens de ton entourage ?... Allons, réponds ! …Mais je n’ai qu’à revoir ta figure lorsque tu m’écoutais, je n’ai qu’à répéter tes propres paroles. Une fois tu m’as dit que dans une conversation avec moi tu avais l’impression que les idées te venaient plus vite, plus nombreuses, et que tu pouvais les développer plus intelligemment. …Eh ! C’est un mérite estimable que d’exercer une telle action sur l’esprit de quelqu’un. Cette capacité d’animer un cerveau n’est pas départie, que je sache, aux êtres inférieurs… »
A l’époque de ma première lecture, je n’avais pas été choquée par cette présentation de Silbermann, présentation aussi admirative des qualités spirituelles et aussi dépréciative de sa manière d’agir, de son physique et de sa culture.
Et puis il y a ce compagnon d’école, le narrateur, assez proche de ce que je fus : lâche, s’investissant d’une bonne conscience par simple vanité : « Je sacrifiais mes désirs aux siens sans regret. Mon rôle n’était-il pas de me consacrer entièrement à son bonheur et de racheter par cet acte les actes des méchants ? Lorsque le consentement me coûtait, je répétais en moi-même : « C’est ma mission. » ». Amical de circonstance, choisissant l’espace et le temps de ces relations (moins intenses avant de partir en vacances pour ne pas avoir à souffrir de l’absence de l’ami) ou quelques unes plus douces.
Alors cette relecture m’a permit de remettre certaines idées en place, d’assumer vouloir choisir la « voie difficile, abrupte, où l’on gravit sans repos, où l’on se heurte à mille obstacles (…). » Pas une vie d’investissements obligatoirement physiques mais bien investissement mental, réflexion continuelle, débat intérieur, remise en cause constance de mes mollesses, de mes lâchetés. Je me suis retrouvée aussi un peu dans Silbermann : « L’absence de discussion était pour son esprit un désœuvrement insupportable. » Il est malheureux seulement de voir que cette lecture, imposée dans la cadre scolaire, n’est été qu’une trace baveuse de bonne conscience, un « monument aux morts » pour se remémorer (ou justement oublier)…une lecture en superficie, sans débat, sans réflexion, ou comment justement laisser en marge les causes et les conséquences de nos faiblesses et dégoût de l’autre, ou comment ne pas donner à tout un chacun les moyens de se prémunir contre la méconnaissance ou l’imbécilité.
En le relisant par hasard, j’ai ressenti plus un malaise…de ne pas avoir compris tout à l’époque et de me trouver un peu dévoilée aussi.
La lecture était imposée par la scolarité. Souvent j’ai aimé ce que j’ai dû lire : les Kipling, Kessel, Vallès, Renard ont tous eu un écho en moi. Celui-ci ne fit pas exception. Je l’avais lu la sensibilité à fleur de peau. Je l’avais lu avec ces larmes pour un être solitaire, sans ami parce que juif. J’avais aimé cette histoire d’une amitié improbable entre un jeune juif, David Silbermann, et un protestant dans une France antisémite des années 1920.
Et puis aujourd’hui, ma lecture fut bien différente. D’abord un enthousiasme pour l’intelligence de David Silbermann, pour ces connaissances, ces facilités, sa capacité à mettre de la vie dans un texte lu.
Puis une réflexion sur l’antisémitisme. Une bien belle redécouverte. Belle parce que je ne me rappelle plus avoir eu une exposition aussi accessible à tous (pour une œuvre de fiction de l’époque et avec mon humble culture) de ce qui fait notre rapport à l’autre, notre dégout possible par rapport à ce peuple (avant même les camps de concentration de la seconde guerre mondiale). Belle, parce que pour démarrer la réflexion, il y avait des pistes. C’est vrai que maintenant je suis encore plus touchée par cette culture juive, son oralité et ses écrits, son héritage de parole et sa maïeutique inscrite dans l’éducation. Mais j’ai l’impression d’avoir été seule à la lecture. Je trouve que nous manquons, que j’ai manqué, des éléments de discussion. J’aurais aimé des débats scolaires permettant de se faire un esprit critique, d’aller plus avant, de comprendre la question juive. J’ai toujours cru que l’enseignement devait aussi aider les parents à mettre les points de vue en opposition, à aller chercher les arguments des uns et des autres pour se faire sa propre opinion. J’aurais alors peut-être vu que le plaidoyer de Silbermann sur la cause juive à son pendant physique et intellectuel dans les mots du narrateur. Des éléments raisonnés mais aussi d’autres plus sourds : une intelligence mal mise à profit, une vanité, un orgueil, une caricature physiologique raciste.
« - Crois-tu donc que je ne le méritais pas ? N’en déplaise à ta mère, cette bonne protestante qui a si bien pratiqué à mon égard la charité évangélique, mon amitié valait mieux pour toi qu’aucune autre, sois-en assuré. Rappelle-toi nos entretiens, songe à tout ce que je t’ai fait connaitre et comprendre. Trouvais-tu un profit analogue auprès de tes camarades ordinaires et même auprès des gens de ton entourage ?... Allons, réponds ! …Mais je n’ai qu’à revoir ta figure lorsque tu m’écoutais, je n’ai qu’à répéter tes propres paroles. Une fois tu m’as dit que dans une conversation avec moi tu avais l’impression que les idées te venaient plus vite, plus nombreuses, et que tu pouvais les développer plus intelligemment. …Eh ! C’est un mérite estimable que d’exercer une telle action sur l’esprit de quelqu’un. Cette capacité d’animer un cerveau n’est pas départie, que je sache, aux êtres inférieurs… »
A l’époque de ma première lecture, je n’avais pas été choquée par cette présentation de Silbermann, présentation aussi admirative des qualités spirituelles et aussi dépréciative de sa manière d’agir, de son physique et de sa culture.
Et puis il y a ce compagnon d’école, le narrateur, assez proche de ce que je fus : lâche, s’investissant d’une bonne conscience par simple vanité : « Je sacrifiais mes désirs aux siens sans regret. Mon rôle n’était-il pas de me consacrer entièrement à son bonheur et de racheter par cet acte les actes des méchants ? Lorsque le consentement me coûtait, je répétais en moi-même : « C’est ma mission. » ». Amical de circonstance, choisissant l’espace et le temps de ces relations (moins intenses avant de partir en vacances pour ne pas avoir à souffrir de l’absence de l’ami) ou quelques unes plus douces.
Alors cette relecture m’a permit de remettre certaines idées en place, d’assumer vouloir choisir la « voie difficile, abrupte, où l’on gravit sans repos, où l’on se heurte à mille obstacles (…). » Pas une vie d’investissements obligatoirement physiques mais bien investissement mental, réflexion continuelle, débat intérieur, remise en cause constance de mes mollesses, de mes lâchetés. Je me suis retrouvée aussi un peu dans Silbermann : « L’absence de discussion était pour son esprit un désœuvrement insupportable. » Il est malheureux seulement de voir que cette lecture, imposée dans la cadre scolaire, n’est été qu’une trace baveuse de bonne conscience, un « monument aux morts » pour se remémorer (ou justement oublier)…une lecture en superficie, sans débat, sans réflexion, ou comment justement laisser en marge les causes et les conséquences de nos faiblesses et dégoût de l’autre, ou comment ne pas donner à tout un chacun les moyens de se prémunir contre la méconnaissance ou l’imbécilité.
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