Je ne savais pas que penser non plus de cet auteur, Truman CAPOTE, personnage visuel autant que littéraire. Alors j’ai commencé la lecture doucement, comme dans un songe, pour découvrir, et le récit et le potentiel ressenti de lecture de cette mademoiselle. « Les domaines hantés » de Truman CAPOTE a fait le reste.
Joel, un enfant de douze ans, va découvrir son père, après des années d’absence paternelle et la mort de sa mère. Il part dans une contrée lointaine peuplée de personnages fantomatiques. L’histoire est belle mais plus encore ce sont les émotions à fleur de pages qui ne vous laissent pas indemnes. Les rencontres humaines sont à chaque fois comme une découverte d’un pan caché de sa personnalité. Et loin d’être une quête de père, il s’agit bien là d’une quête de soi : son paternel n’a pas la clef de toute son existence en devenir et les réponses et personnes référentes ne sont pas là où il les croyait. J’ai beaucoup aimé trois personnages en plus du garçon et dans chaque j’ai eu l’impression de lire la personnalité complexe du garçon, jeune homme et homme d’âge mûr.
Comme une panthère en cage, Zoo la servante noire, est enfermée par son devoir envers son père. Elle parait être la femme dans tout son charme féminin, sensuelle comme une femme fatale, louvoyante, à la violence contenue et vécue, un peu mutine. Sa quête de « neige », une fois sa liberté non retenue, comme un rêve d’existence, lui ramène la cruelle vérité et tarit sa vitalité…
Cet oncle Randolph, vieux jeune, aux goûts efféminés, qui se découvre une sexualité autre en devenant adulte. C’est un homme en prise avec son passé, qui se complait dans une activité créatrice mais vit enfermé dans sa chambre, véritable « tombe de luxe », comme retiré de sa propre substance, déjà mort, encore mort (depuis sa naissance).
Et Idabel, ce garçon manqué, aux paroles plus matures que son petit corps. Cette témérité qui la pousse à se dépasser, à être en totale harmonie avec elle.
« (…) toute musique doit être entendue plus d’une fois. Et si ce que je te dis aujourd’hui te semble dénué de sens, tu ne le trouveras que trop clair quand tu y repenseras plus tard ; et quand cela arrivera, quand ces fleurs épanouies dans tes yeux, fleurs qu’on ne retrouve jamais, seront fanées, alors, bien que nulle larme n’ait jamais pu dissoudre mon propre cocon, je pleurerai un peu pour toi. »
Il en est de même avec cette lecture, si riche. Il me faudra bien plus d’une lecture pour assimiler la notion d’amour qui transpire des mots de Randolph : aimer n’est pas synonyme de pitié, ce n’est que pure tendresse, aimer c’est considérer un nombre important de petits riens comme essentiels à l’amour porté à l’autre…il ne faudrait pas concentrer toute son attention à l’être aimé, nous en perdrions le bonheur. Et que dire de cette fulgurance de l’amour : ce Narcisse, non pas égoïste mais seul détenteur de la vérité, son reflet est le seul compagnon réel de sa vie, le seul en mesure de répondre à ce besoin.
Et puis une sacrée leçon de vie sur l’homosexualité ou la bisexualité. Personnellement, j’ai toujours pensé qu’une démarche amoureuse se définit par l’objet d’amour en tant que personne plus qu’en tant que genre, se limiter à l’un n’est qu’une affaire de convention, d’éducation, de norme ou de marginalisation volontaire. « Le cerveau peut recevoir des conseils, mais pas le cœur, et l’amour n’ayant pas de géographie, ne connait pas de frontières ; pèse sur lui, enfonce-le aussi profondément que tu voudras, il trouvera toujours moyen de remonter à la surface, et pourquoi pas ? Tout amour qui nait au cœur d’une personne est naturel et beau ; il n’y a que les hypocrites pour reprocher à un homme ce qu’il aime, les illettrés émotionnels et les envieux qui, dans leurs inquiètes agitations, confondent si frénétiquement la flèche qui se dirige vers le ciel et celle qui conduit en enfer. »
La finitude de l’homme est partout : la mort est présente, animale ou humaine, comme allant de soi, mais aussi ce sentiment diffus tout au long de la vie : « (..) la jeunesse est rarement humaine : comment en serait-il autrement puisque les jeunes ne croient jamais qu’ils vont mourir… et surtout ne croient jamais que la mort vient (…) ». La décrépitude est aussi une part entière : les humains très, très, vieux, à l’extrême limite, qui peuvent soutenir le regard de la mort, ceux qui deviennent dépendants, simples végétales au regard omniscient, miroir des autres âmes et même plus de la sienne. La difformité (un cou de girafe, une main en bois) côtoie l’ambigüité des sexes.
Truman CAPOTE fait la part belle aux refoulements échafaudés ici en rêve éveillé. Comme si nous nous étions arrêtés de devenir ou comme si notre vision du monde avait été déformée sous l’effet d’un choc quelconque. Je me retrouve en Joel, dans cette quête de lui-même, avec l’envie de définir ce qui nous confine à l’état de Kay, anesthésié de la vie, dans « La Reine des neiges » d’Andersen. Le cahier des rêves de Dolorès, les rêves de Zoo et de Joel, leurs mensonges, semblent quelques fois plus réels que le reste.
Magnifique lecture qui me laisse un goût d’inachevé dans mon parcours : « Notre suprême désir c’est qu’on nous tienne…qu’on nous dise…que tout (tout est une drôle de chose : le lait de l’enfant, les yeux de papa, les bûches ronflantes dans le froid du matin, les hiboux, le camarade qui fait pleurer après l’école, c’est les cheveux de maman, c’est avoir peur, et les figures grimaçantes sur le mur de la chambre)…que tout finira par s’arranger. »