jeudi 28 avril 2011

Départs d'enfants

© Nicolas GERRIER et Gaëlle CHARLOT/ L'atelier du poisson soluble

"Départs d'enfants" de Nicolas GERRIER et illustré par Gaëlle CHARLOT est un
condensé d'enfance. Ce sont 30 textes courts, des tranches de vie qui relatent des départs. Il y a de la magie à la lecture de ces pages.

Les départs sont nombreux, très symboliques de l'enfance.
Certains moments sont anecdotiques, comme ce départ de table, caprice et jalousie pour une portion trop petite, un départ de course avec les individualités de mômes coureurs, un tour de jeu, un départ en colonie, un trajet en voiture, encore une histoire du soir ou des fantasmes de métiers.
D'autres prises de paroles marquent d'un fer rouge la condition des enfants dans le monde: un mariage arrangé, un enfant soldat, une petite ouvrière... ou une sortie de "conditionnelle", une entrée dans le trafic de rue, un retour dans la famille biologique étrangère.
Il y a aussi les étapes de vie qui prennent des proportions énormes pour les bambins (ou jeunes adultes) et tout un univers qui s'ouvre, de jeux, de rêves, des sentiments, de peurs, de honte aussi quelque fois. Des moments de vie où s'inscrivent les attentes des enfants, leur caractère changeant, leur besoin de se positionner et de se faire réconforter. Les adolescents sont ici présentés avec leur part d'"étrangeté", leur besoin d'être relié mais aussi leur incroyable finesse de compréhension du monde.

"Allez ma vieille, c'est l'heure. Vas-y. Pars. Ferme les yeux, pousse la porte et fais le grand saut. Regarde, Josie, je vole!
Zoé, 15 ans
Nouveau départ"
© Nicolas GERRIER et Gaëlle CHARLOT/ L'atelier du poisson soluble

Dans tous les départs, il y a l'émotion brute. Certains auraient pu tomber dans le pathos, il n'en est rien. Là, les mots des enfants, que leur attribuent l'auteur, touchent juste, l'émerveillement est là comme l'indicible. Les anicroches de la vie comme sa noirceur sont déroutées par une perspicacité, une maturité, une sérénité même dans les moments les plus fous.
Nicolas GERRIER nous offre là de subtiles focus et propose une vision de l'enfance spontanée, fraiche, impertinente mais aussi si pleine de sagesse. Les enfants y sont quelque fois plus impressionnants que les adultes sauf cas sublimes de chansons, d'atmosphères, de regards. Les peurs parentales, les manques de communications, les éducations hâtives, les lois, une autre forme de temporalité sourdent derrière les mises en évidences des enfants.
Ce livre se relie encore et encore, pour sourire, rire, pincer les lèvres et se serrer la gorge!

© Nicolas GERRIER et Gaëlle CHARLOT/ L'atelier du poisson soluble

Les illustrations de Gaëlle CHARLOT sont d'une sensibilité à fleur de peau, les mimiques y sont, les univers et pertinences enfantines aussi. Elle apportent effectivement un plus, une émotion complémentaire qui ne nous échappe pas lors des départs les plus fulgurants, les plus durs, les plus sauveteurs ou les plus insidieux.

Merci L'atelier du Poisson soluble.

jeudi 7 avril 2011

La nuit de Léon

© Yannick JAULIN et Elodie NOUHEN /Didier Jeunesse

"La nuit de Léon" de Yannick JAULIN et illustré par Elodie NOUHEN est un conte, mêlant poésie, pertinence, chaleur humaine et un chouïa de linguistique vendéenne.
Léon est un nomade, sans domicile fixe. Il arrive ici le soir de Noël, il fait froid, il est seul et cherche un abri. Personne n'ouvre sa porte. Mais au bout du village, une femme, belle comme une fée, semble l’attendre et lui indique une maison. Mais attention il ne faut pas avoir peur...

© Yannick JAULIN et Elodie NOUHEN /Didier Jeunesse

Deux personnages perdus se rencontrent et frottent leurs solitudes l'une à l'autre, choisie ou subie. Solitude des chemins, solitudes de la vie, solitude conséquence d'un refus de contact de la part des autres, au chaud dans leurs maisons. Le rapport à l'autre est très présent, celui sans abri comme celui qui dérange et que nous ne comprenons pas.
L'histoire se passe en une nuit, d'un vol de légumes, d'une maison abandonnée sur l'instant, d'un lit et de peu de paroles. Mais la reprise du contact permet un échange au delà des mots et c'est aussi la parole, transmission, évocation, apparait comme un cadeau, trésor de convivialité et d'amour.
Ce conte nous offre comme un baume pour le cœur. Là où l'homme se retrouve perdu, la vie et la terre offre son ventre, son cœur, ses tripes. De la solitude, des vies brisées, peuvent aussi sortir des contes, des histoires, des rencontres. Le don est humain et terrestre. En cela, les quelques mots de patois arrivent à point nommé, mettant une très légère distance sur une atmosphère au demeurant très précisée par le reste du texte. La relecture avec définitions donnent encore un autre cachet à l'histoire.

© Yannick JAULIN et Elodie NOUHEN /Didier Jeunesse

Elodie NOUHEN offrent de magnifiques illustrations où la froideur humaine apparait nettement. Les contrastes de couleurs froides et chaudes mettent en valeur le temps, le cœur et les émotions refoulées. Son travail de collage et de grande précision dans les textures propose une atmosphère en dehors du temps. Les ours polaires n'en sont presque pas, les rats sont géants. Les détails, les flocons et une certaine intimité précise et colorée ramènent aussi comme une impériosité à rester concentré sur l'humain.

samedi 2 avril 2011

Fumée

© Anton FORTES et Joanna CONCEJO/ OQO

"Fumée" d'Anton FORTES et illustré par Joanna CONCEJO est un album fort. Il ne se lit pas facilement, pas en raison d'un contenu flou ou pompeux, non, non rien de cela: mais bien par le sujet, les camps de concentration. Mais si les drames de l'Histoire ne vous font pas fuir de suite, que vous envisagez de les présenter à vos enfants, n'hésitez pas à lire ce livre, il est subtile, pertinent, difficile, très profond mais il permet d'accéder à cette part de l'histoire d'une manière extrêmement sensible.

Le texte est fort et marque la trame du drame. Ce sont des mots d'enfant, de ce fils qui a suivi ses parents en camp de concentration. Entre les lignes, ce sont tous les efforts d'une maman pour cacher le pire, pour préserver la vie, pour garder l'espoir.
Les détails de la détention (de juifs et de gitans) arrivent: l'alimentation où les pommes de terre ont presque plus de présence que les personnes, les médecins dont il faut se méfier, les conditions de vie, les échanges, les "travaux" et ces absences, ces disparitions.
"Nous dormons enlacés, serrés par les autres."

© Anton FORTES et Joanna CONCEJO/ OQO

Les illustrations de Joanna CONCEJO apportent énormément au livre. Ces croquis au crayon de papier apportent le côté éphémère des vies. Certaines ombres ne sont que des esquisses, en rouge, rose ou bleu. La végétation apparait aussi, comme une survivance de l'espoir, un pétale par-ci, un pissenlit là... même un cauchemar de dragon vert comme la verdure autour, le jardin d'avant.
Les habits sont plus marqués que les visages, les horreurs sont symbolisées et les "bourreaux" apparaissent comme des oiseaux de proies: au dessus, voyant tout.
"Je ne pleure jamais, parce que le bébé qui pleurnichait la nuit fut emmené, et sa mère n'arrête pas de cirer; et moi, je ne veux pas que maman crie."

© Anton FORTES et Joanna CONCEJO/ OQO

Le livre est bien-sûr magnifique, effrayant et permet de mettre en avant une part d'ombre de l'Histoire. A chaque parent d'expliciter doucement, au fur et à mesure, chaque détail. Pour que chaque vie ne soit pas juste une ligne, pour remettre des visages. Merci infiniment à Cristiana de La Boite à Thé de m'avoir susurrer ce titre.

© Anton FORTES et Joanna CONCEJO/ OQO

"A tous ceux qui ne se soumettent jamais à la vérité des vainqueurs."

vendredi 1 avril 2011

Mon père est un homme-oiseau

© David ALMOND et Polly DUNBAR/ Acte sud junior

Je devrais le savoir, avec un David ALMOND pas de risque d'être déçue! Alors oui, "Mon père est un homme-oiseau" de David ALMOND et illustré par Polly DUNBAR est une très belle proposition pour les enfants de plus de 5 ans. Libouli, je suis sûr que tu me comprends (même si tu n'as pas gardé tous les billets le concernant).

Dans cette famille, il ne reste que 2 personnes: la fille, Lizzie, et le père. La mère est morte mais nous n'en saurons pas plus. Dans cette famille, c'est Lizzie le pilier, elle soutient son père, l'aide à vivre le jour présent: manger, (mâcher, avaler), se vêtir, se laver. Et ce père se laisse aller. Il n'est que l'ombre de lui-même tout en voulant redevenir fantastique pour sa fille. Alors il décide de se transformer en homme-oiseau, il se fabrique des ailes, recrache sa tartine pour déglutir des vers de terre. Le Concours de l'Homme Volant arrive à point nommé. Il va pouvoir prouver à sa fille sa valeur.

© David ALMOND et Polly DUNBAR/ Acte sud junior

Les thèmes de David ALMOND sont encore bien là: une éducation alternative où l'imaginaire, l'amour filial et parental ont beaucoup plus de place que le conventionnel. Oui pourquoi pas prendre le défi d'un concours pour apprendre autrement, de la nature par exemple, de ces oiseaux qui reviennent encore dans les rêves (comme pour "Skellig"). Il y a aussi tout ce rapport au rôle des parents dans l'éducation, pas seulement tournée vers l'école. Le travail d'équipe père-fille, l'imaginaire construit à deux, l'émulation pour un projet plus finalisé.
Il y a aussi ce respect de l'homme dans sa fragilité, dans sa fébrilité temporaire. Le père de famille, qui pourrait perdre presque la garde de son enfant aux dires des autres, de cette tante par exemple, est ici décrit dans tout son amour pour sa fille, dans son exigence d'être fabuleux.
"- Mais Papa, dit-elle avec douceur en lui prenant le bras gentiment. Je te demande juste d'être mon papa.
Papa réfléchit un instant. Il plongea ses yeux dans ceux de Lizzie.
- C'est vrai?
On aurait dit que cette idée ne lui avait jamais traversé l'esprit."

© David ALMOND et Polly DUNBAR/ Acte sud junior

Ce livre est plein d'amour, de poésie de la vie. Et les illustrations de Ponny DUNBAR apportent par de douces touches de textures de la poésie dans ces images pastelles.